Sonneries, moteurs, musiques d’ambiance… Redécouvrez les vertus du silence, dans un monde saturé par le bruit.

Tumulte de la circulation, sonneries intempestives, musiques d’ambiance… Nos oreilles, baignées dans un flot ininterrompu de sons, aspirent au repos…  » Dans un monde saturé par le bruit et la parole, le silence fascine « , remarque l’anthropologue David Le Breton (1). Fascine, certes, mais dans une certaine limite. Car il est avant tout un paradoxe.  » La plupart d’entre nous le recherchent autant qu’ils le fuient « , souligne le philosophe Michel Lacroix (2). Un simple exemple suffit à éclairer cette contradiction : certains font de l’isolation phonique une priorité dans l’aménagement de leur maison, ce qui ne les empêche pas de laisser, toute la journée, la télévision ou la radio occuper l’espace sonore pour lutter contre le vide, l’absence, le manque.

Des sentiments très ambivalents

 » Le silence a ceci d’ambigu qu’il peut faire émerger des sentiments très ambivalents. Il peut faire naître des angoisses, notamment quand il est subi. C’est le sentiment de la solitude, de la menace imminente, de l’absence de vie. D’un autre côté, il y a le silence positif, celui du recueillement et de la recherche d’intériorité. Cette confusion se manifeste également dans la communication avec autrui. Dans l’échange, le silence peut signifier tout à la fois l’hostilité, la bouderie, la gêne, mais aussi la compréhension mutuelle, l’harmonie amicale ou amoureuse. Le malheur, aujourd’hui, c’est qu’en voulant se prémunir contre le  » mauvais  » silence on porte préjudice au  » bon « , analyse le philosophe.  » Face au silence, les uns éprouvent un sentiment de recueillement et de bonheur tranquille, tandis que les autres s’en effraient et cherchent, dans le bruit et la parole, une manière de se défendre de la peur « , ajoute David Le Breton.

Et si, finalement, cette peur n’était qu’un malentendu ? S’il fallait juste prendre le temps de l’apprivoiser ? Le silence est une  » résonance entre soi et le monde, et non pas une qualité objective « , définit l’anthropologue. Seulement, voilà : depuis l’avènement de l’ère industrielle, il est de plus en plus difficile de s’en entourer. En ville, les lieux de silence se font rares, mis à part, peut-être… les cimetières. Alors il faut aller le chercher ailleurs. Au cours d’un séjour dans la quiétude d’un monastère. Au fil d’un trek solitaire en zone désertique. Lors d’une marche sur les sentiers d’une forêt paisible…

Dès le plus jeune âge…

 » La recherche du silence et de l’intériorité va de pair. Etre confronté au silence, c’est être confronté à soi-même. Une promenade silencieuse à la campagne, en forêt ou au bord de la mer nous met dans un état de disponibilité absolue. Elle est un bienfait, car on est à l’écoute de soi et de la nature, qui n’est pas muette.  » C’est là l’une des incompréhensions majeures dont souffre le silence : la croyance qu’il est une absence totale de son, de vibration.  » On n’accède jamais au degré zéro du son « , rappelle l’anthropologue. Il suffit d’ailleurs d’expérimenter le caisson d’isolation sensorielle pour se rendre compte que l’absence totale de bruit est sinon insupportable, pour le moins anxiogène. N’avoir pour environnement sonore que les borborygmes de nos intestins et les pulsations de notre c£ur nous ramène illico à notre condition de vulnérables mortels.

Aussi, pour que le silence ne devienne pas un  » vestige archéologique « , selon l’expression de David Le Breton, il faut cultiver l’aptitude à celui-ci et dès le plus jeune âge.  » Il faut inviter les enfants à se réconcilier avec le silence, recommande Michel Lacroix. Porter leur attention vers des sons discrets, ténus, presque inaudibles. Il faut également savoir leur faire profiter de la richesse des sonorités dont on dispose : chuintement, bruissement, ronronnement, frémissement… la palette est infinie.  » Et, dans les moments de profond agacement, il nous sera d’autant plus facile de clouer le bec à nos enfants parfois trop bavards en se servant de ce proverbe arabe :  » N’ouvre la bouche que si tu es sûr de dire quelque chose de plus beau que le silence « .

(1) Auteur de Du silence et de La Saveur du monde, Métailié.

(2) Auteur du Culte de l’émotion, Flammarion.

A lire : Les Pouvoirs du silence , par John Lane, Belfond.

Catherine Robin

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