Emilie Simon rêve de fausses coccinelles et de vraies chansons. Son univers de petite fille évoque à la fois Björk et Lewis Carroll. Visite de l’autre côté du miroir de cette chanteuse… pas comme les autres.

En concert au Botanique le 6 mai (tél. : 02 218 37 32).

CD  » Emilie Simon « , chez Universal.

Nourrie aux comédies musicales et aux sessions magiques d’un papa ingénieur du son, Emilie Simon, qui adore Tim Burton, présente un premier disque  » naïf et un petit peu sombre aussi « . Avec quatre titres en anglais et huit dans la langue de Bashung, à 24 ans à peine, elle réalise un album impressionnant de charme et d’inventivité. Ses morceaux déclinés d’une voix enfantine s’appellent  » Graines d’étoiles  » ou  » Il pleut  » et donnent de nouvelles couleurs à la pop électronique made in France. Artiste complète û elle écrit, produit, arrange et programme ses chansons û Emilie Simon signe ainsi une visite inspirée au pays des merveilles musicales de 2003.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous êtes habillée comme une petite fille, socquettes blanches, robe de poupée, coiffure romantique…

Emilie Simon : Ah bon (sourire). J’aime bien les accessoires, je suis une vraie fille. Parce que je suis tout le temps en studio, on pourrait se dire que je suis un garçon manqué mais pas du tout… Je suis fan des petits gadgets qui ne servent à rien.

Votre disque commence par plusieurs chansons oniriques et charmantes et, en cinquième position, arrive  » I Wanna Be Your Dog « , légendaire morceau d’Iggy Pop & The Stooges au contenu, disons, sulfureux (NDLR : il décrit une relation sexuelle masochiste)…

C’est histoire de réveiller l’auditeur (rires). J’aime bien faire des surprises. C’est sûr que c’est un peu sulfureux, mais ce n’est pas à prendre au premier degré. Quand je suis devant mon ordinateur, je m’éclate. Donc, quand j’ai une idée comme celle-là, j’y vais. Avec mes copains ados, à Montpellier, on écoutait beaucoup de ces disques des années 1960-1970. Avant, j’étais une petite fille normale, très travailleuse je pense. Je suis allée au Conservatoire dès 7 ans – solfège et chorale – mais je n’aimais pas…

Qu’est-ce qui ne fonctionnait pas ?

La discipline d’abord, la rigidité ensuite et puis le manque de sourire, de bonne humeur. Cela m’a donné envie de réagir, tant mieux pour ma musique aujourd’hui. Autant je pouvais être sage dans le cursus normal de l’école, autant musicalement, je n’ai jamais réussi à me soumettre à des codes. A la maison, la musique était un plaisir et arrivé au cours, elle devenait un calvaire. Au Conservatoire, j’ai vu des scènes mélodramatiques de petits enfants de 8 ans qui arrivaient devant des jurys hypersévères. J’ai toujours eu besoin d’évoluer dans une atmosphère calme, rassurante, bienveillante. Quand je me sens menacée, je m’en vais… Mais je ne suis pas restée très longtemps au Conservatoire : cela a plus été une période d’éveil musical qu’un chemin tout tracé.

Quels sont vos premiers souvenirs musicaux ? Votre père qui enregistrait de nombreux groupes de jazz dans le sous-sol de votre maison de Montpellier ?

Oui, les prises de son à la maison ( sourire). C’était un autre monde que de passer au sous-sol. Ce n’est pas tellement la musique qui me séduisait, c’était les musiciens, l’ambiance générale, les termes qu’ils utilisaient et que je ne comprenais pas, comme  » compression « , les  » chhuuut on enregistre  » (rires). Je découvrais tout cela comme une réalité parallèle : c’était des gens tout à fait normaux mais une fois qu’ils se mettaient à jouer, cela devenait autre chose. Un petit peu comme un conte de fées… C’est pour cela que j’ai écrit mon disque seule, parce que j’avais besoin de développer la bulle, les couleurs.

Après le bac, vous faites des études musicales et finissez par une maîtrise, à la Sorbonne, à Paris. Tous les signes d’une grosse tête !

Je ne sais pas, j’oublie vite les choses (sourire). A chaque fois que je fais une expérience musicale, c’est par curiosité, par plaisir…

Quel plaisir avez-vous trouvé en séjournant à l’Ircam, le laboratoire de musique très contemporain de Pierre Boulez ?

J’ai notamment participé à une Académie d’été, près d’Avignon… dans une chartreuse en plus, avec ce sentiment religieux qu’un tel endroit engendre. La musique transportait un côté d’autant plus  » messe  » que le soir, j’étais hébergée dans un ancien couvent et me trouvais seule dans une chambre vide avec un lavabo pour compagnon. C’était comme un jeu de rôle. J’arrivais de Paris, où deux jours avant, j’avais fréquenté un club techno, et puis, là je me levais très tôt pour aller écouter des compositeurs contemporains. C’était génial parce que j’aime bien les chauds et froids. Je ne pourrais pas faire une musique intellectuelle sans m’amuser.

Sur la pochette de votre premier disque éponyme, les coccinelles sont factices : pourquoi pas de vraies bébêtes ?

Cela aurait été un autre concept mais j’aimais ce côté plastique, faux, inquiétant, entre le jouet et la grosse coccinelle. Je voulais bien être résumée à cette image réalisée par une fille qui s’appelle Paf le chien !

La photo de la pochette montre votre dos tatoué !

Le motif est une fée avec des ailes. Je l’ai fait tatouer quand j’avais 15 ans. Mes parents m’ont offert ce tatouage pour mon anniversaire.

Arborer une trace indélébile, cela fait peur. Non ?

Non, je ne trouve pas et je ne l’ai jamais regretté une seconde. Je l’oublie d’ailleurs parce que cela fait partie de moi. Comme mon album, c’est une ligne de vie, une décision profonde de ne pas oublier les choses importantes. C’est très symbolique, c’est pour cela que je ne le regretterai jamais. Dans la fée, il y a un côté monstre et adorable, j’aime l’ambiguïté.

Ce n’est pas si terrible que cela !

Vous feriez-vous tatouer le nom d’un amoureux ?

Ah non, ça, ce n’est pas moi ! Et d’ailleurs, je n’imagine pas de me faire tatouer à nouveau.

Que raconte  » Il pleut « , l’un des titres les plus réussis de l’album, rythmé par le son produit par une allumette que l’on gratte ?

J’avais en tête une jeune femme qui regarde la pluie tomber sur une vitre. Le cadre est chaleureux… avec un feu ouvert. La jeune femme regarde assez fixement un point, comme quand je vous regarde, par exemple, sans vraiment m’interroger sur qui vous êtes (sourire). Elle pense à plusieurs choses à la fois et des idées désordonnées se bousculent dans sa tête, reviennent inlassablement au son d’une allumette que l’on gratte…

C’est comment chez vous ?

C’est tout rose avec des bulles, des espèces de pommes en plastique et de grosses lampes…

Comment appréhendez-vous le fait de vieillir ?

Je pense à la mort mais pas au fait de vieillir. C’est peut-être parce que la mort est là qu’on se donne beaucoup de mal à faire des choses, non ?

Universal, votre firme de disques, gagne beaucoup d’argent avec Star Academy. Est-ce qu’elle le réinvestit dans des disques tels que le vôtre ?

Je crois que oui, enfin bon, je ne suis pas entrée dans leurs comptes, hein ! Merci Star Academy si cela permet de financer des albums où les gens prennent plus de risques… comme celui qui ne marche pas du tout ! Pour ma part, j’ai été très agréablement surprise par les critiques. Cela dit, je préfère ne pas trop analyser : je ne pensais pas qu’on puisse me comprendre. C’est très émouvant. Comme l’a toujours été une console de mixage à mes yeux : une sorte d’instrument sacré auquel on ne touche pas. J’avais des blocages. Je ne me suis servie des machines que lorsque je me suis rendu compte qu’elles allaient me donner mon indépendance. J’avais en tête l’idée de faire mon album depuis que je suis toute petite. Ce que je voulais quand j’avais 6 ans, je l’ai réalisé maintenant, de A à Z, sans me compromettre, sans me  » foutre à poil  » û même si je le suis sur la pochette, mais là ce n’est pas vulgaire… Je n’ai pas joué sur autre chose que mon amour de la musique.

Votre mère ne fait pas de musique : elle est coiffeuse…

Oui, et c’est elle qui me coiffe sur la pochette, dans le clip aussi. Avec mon père, la relation est toujours passée par la musique ! Toute petite, j’allais voir mon père si j’avais un souci, une demande : il me chantait une chanson. Maintenant, il m’aide encore si mon ordinateur fait un bug.

Croyez-vous au destin ?

Si on fait un choix sincère dans la bonne direction, et qu’on y travaille, jusqu’à preuve du contraire, ce serait triste que cela ne fonctionne pas. J’ai l’impression d’être assez têtue : j’ai eu des moments où je pensais que mon disque n’allait pas intéresser des gens, je me disais :  » C’est pas grave, je vais faire ma pochette toute seule, le sortir sur un petit label et je vais m’éclater « … L’idée principale, c’était de le faire !

Vous n’avez jamais deux fois la même tête sur les photos !

C’est vrai, c’est bizarre, mais j’aime bien le concept d’avoir plusieurs visages. Ce disque, c’est mon bébé, enfin j’espère que je serai quand même plus attentionnée avec mon vrai bébé, parce que celui-ci, il vit dans plein de magasins, seul. Ce n’est pas très cool.

Propos recueillis par

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