Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(*)  » Voyage au bout de la Route « , éd. L’Aube/Essai.

 » O n aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins « , ironisait déjà au xviiie siècle le libertin misanthrope Fougeret de Montbron. Aujourd’hui, face au ciel international devenu bien maussade, aux montées vertigineuses des tensions géopolitiques, le voyage comme moyen de connaître l’autre a plutôt mauvaise mine. Pis. Il exige même une fameuse dose de courage pour celui qui s’aventure hors des sentiers balisés.

Finie  » la route hard « . De plus en plus timide, le routard. Pour preuve, l’autopsie méticuleuse que lui consacre Franck Michel (*). Autrefois, le voyage se voulait porte ouverte vers la rencontre û des Tartares et des autres û et découverte de l’ailleurs. Un petit zeste d’audace, on explorait, découvrait, rêvait. Il arrivait même que l’on s’égare. Sur le milliard de touristes du IIIe millénaire qui s’agitent un peu partout dans le monde, combien de fins connaisseurs désormais des sociétés qu’ils ont croisées ?

Car la route, comme le voyage, sont devenus professionnels, flirtant même avec une forme de tourisme prédateur.  » Je n’est plus un autre, mais moi d’abord « , pointe Franck Michel. Le routard s’est embourgeoisé, il joue les bobos. Surtout ne pas se séparer de son portable ou s’éloigner d’Internet, rejoignant ainsi la cohorte des nomades nantis, celle qui bondit régulièrement dans l’ailleurs pour mieux rebondir ici.

Le nomadisme justement. De plus en plus imaginaire, affirment les sociologues. On bouge sans vraiment bouger. Et puis, il y a nomadisme et nomadisme. Celui qui anime le routard puise ses racines exclusivement en Occident. Dans les pays du tiers-monde, rappelle Franck Michel, il est subi et rarement volontaire. Mêmes routes poussiéreuses, certes, mais pas arpentées de la même façon ni dans les mêmes conditions. On se croise, mais on n’échange guère. Il arrive même que l’on se voie à peine. Juste un regard furtif, en passant.

Traîner ses guêtres sans dépasser les bornes, juste pour se sentir libre : des voyagistes, des chaînes d’hôtels, des contraintes de toutes sortes, tel pourrait être le nouveau droit chemin à dessiner.  » S’enrouter  » sans s’encroûter. Se défaire de la peur de l’inconnu, de l’autre, pour vivre et vibrer au contact de l’ailleurs. Lâcher le touriste pour laisser place au chasseur de préjugés, au messager de la paix. Et prendre soin, surtout, de ne laisser personne en bord de route.

Christine Laurent

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