Remonter avec les baleines les courants froids du Pacifique sud en longeant le plus aride désert du monde, c’est le genre de saisissant contraste offert par le yacht de croisière de la compagnie du Ponant. Entre les deux, le véritable objectif de ce voyage hors du temps : l’Altiplano andin et ses nombreux vestiges de civilisations indiennes disparues, Incas, Quechuas, Aymaras… Du Chili à l’Équateur, en s’attardant au Pérou. Mythique.

JOUR 1. SANTIAGO À VALPARAISO

Le voyage s’ouvre sur un mythe : Valparaiso. Le grand port du Chili dispute à Rio le titre envié de plus belle baie du monde. Marins, écrivains et voyageurs louent l’éclat de cet amphithéâtre tourné vers le bleu profond du Pacifique. Perchées sur ses 42 collines, les maisons coloniales en bois multicolores rappellent l’époque glorieuse où l’escale dominait le commerce continental, au débouché du cap Horn. D’antiques funiculaires grinçants transportent toujours les promeneurs d’un quartier escarpé à l’autre, sous un magnifique ciel d’automne austral couleur océan.

C’est dans ce décor idyllique que nous embarquons pour quinze jours de croisière le long des côtes occidentales de l’Amérique du Sud et de l’immense désert d’Atacama. Destination Guayaquil, en Équateur, 4 000 kilomètres – pardon, 2 200 miles nautiques – au nord, portés par le courant froid de Humboldt. Celui qui conduit les baleines, dauphins et lions de mer des glaces de l’Antarctique au large des Galapagos. Il guidera notre bateau, le Boréal, un yacht de croisière de luxe qui n’embarque pas plus de 200 passagers… et autant de membres d’équipage. Presque l’intimité.

JOURS 2 ET 3. EN MER

À deux jours de visites à terre, depuis l’arrivée à Santiago jusqu’à l’embarquement, en passant par les impressionnants vignobles chiliens de la vallée de Casablanca, succèdent deux jours en mer. Assez pour découvrir l’équipage du commandant Étienne Garcia et les coulisses de ce navire à taille humaine, taillé pour l’expédition là où les habituels paquebots de croisière géants ne passent pas.  » Ce n’est pas parce qu’il est confortable que ce bateau ne peut pas emmener ses passagers dans des endroits inédits « , commente le seul maître à bord.

Capable de se frayer un chenal entre les icebergs ou dans les embouchures de fleuves, le Boréal peut aussi débarquer ses hôtes au plus près des points d’intérêt côtiers. Avec l’appoint de puissants zodiacs, s’il le faut. Autre atout très apprécié des voyageurs, comme on aura plusieurs fois l’occasion de le vérifier, sa maniabilité est telle qu’il peut courser les mammifères marins de rencontre, n’hésitant pas à virer souplement de bord si la baleine et son baleineau lui passent sous le nez.

JOURS 4 ET 5. IQUIQUE ET L’ATACAMA

Premières escales et excursions. On rencontre à Arica, à l’extrême nord du Chili, de jeunes Indiens qui n’ont jamais vu la pluie ! Mais c’est plus au sud que nous inaugurons l’Atacama, le désert le plus aride de la planète, s’étalant entre l’Amazonie, les Andes et le Pacifique. Au départ d’Iquique, la ville natale de Pinochet, qui y gagna ses galons de général avant d’aller voler le pouvoir à Santiago. Longtemps prospère grâce à l’exploitation du salpêtre, Iquique survit depuis la fermeture de la dernière mine en 1960. Les riches demeures patriciennes style renaissance espagnole sont des musées. Et si le souvenir du dictateur n’a pas disparu des mémoires, celui des mines reste gravé dans la rocaille et sur les murs des villes fantômes écrasées de soleil dans le désert. On visite Humberstone, inscrite au Patrimoine de l’humanité. Une invite à s’enfoncer plus avant dans ce paysage lunaire, où même les cactus hésitent à sortir de terre, mais où vécurent longtemps Indiens et aborigènes. En témoignent de nombreux vestiges comme ces géoglyphes de Pintados, exceptionnelle concentration de 355 figures animales sculptées dans la pierre en des temps ancestraux. Traces, aussi, d’anciennes oasis où l’on cultivait la vigne jusqu’à ce que l’avancée du désert triomphe de l’opiniâtreté des paysans.

JOUR 6. ARICA ET L’ALTIPLANO ANDIN

Du désert à la montagne, ici, il n’y a qu’une feuille de coca séchée. Que l’on infuse longuement dans l’eau bouillante pour produire le maté, l’incontournable remède local contre le mal de l’altitude. À consommer sans modération : la route de l’Altiplano grimpe vite et fort. Au détour d’un lacet, cette chaise vide plantée dans la rocaille :  » mon bureau « , crâne Victor Hùgo, notre guide – ça ne s’invente pas.

Vue époustouflante, à 360 degrés, sur les  » jupons des Andes « , comme on surnomme ici les contreforts des sommets de 6 000 m et plus, dont les couronnes de neige dominent l’horizon. La roche verdit progressivement, se pare de touffes d’herbe, puis d’étonnantes cactées désarticulées, enfin de buis et de fleurs. On entre au royaume des lamas et notamment de l’alpaga, à la laine soyeuse plus précieuse que la soie. Entre 3 000 et 4 000 m, quand il faut commencer à économiser son souffle, on atteint les premiers villages de paysans dont les origines remontent au temps des Aymaras, prédécesseurs des Incas. La terre est fertile, en altitude. Nous sommes au grenier du Chili – et du Pérou et de la Bolivie, tout proches. Ici passait le chemin de l’Inca, les ruines de nombreuses forteresses se confondent avec les rochers du paysage.

JOUR 7. AREQUIPA

On pénètre au Pérou par sa deuxième ville, Arequipa, fondée en 1540 entre trois majestueux volcans enneigés et actifs : Misti, Chachani et Pichu Pichu (Pic Pic). La  » ville blanche  » tire son surnom de la pierre volcanique d’un blanc éclatant avec laquelle furent construites les maisons jusqu’au XIXe siècle. D’innombrables églises richement décorées témoignent de la domination espagnole sur les civilisations quechua et inca. Atmosphère d’un autre âge… Complètement figée même, au couvent de Santa Catalina, construit en 1579 mais ouvert au public en 1970 seulement, après quatre siècles de total isolement. Ville dans la ville, ce couvent, le plus grand du monde, hébergeait 450 carmélites recluses, sans contact avec le monde extérieur. Une vingtaine subsistent. On s’y replonge en plein XVIe siècle, à déambuler dans de véritables rues qui séparent les bâtiments monastiques, cloîtres, patios, chapelles et maisons particulières. Illuminés par des centaines d’£uvres – peintures, fresques, sculptures, chandeliers… – d’une rare beauté. C’est l’un des joyaux du Pérou.

JOURS 8 ET 9. LIMA ET NAZCA

Visite de la capitale et de ses musées pour les uns, de ruines, de temples et de tombeaux (pré-)incas pour d’autres, survol des mystérieuses lignes de Nazca pour les derniers, on est au Pérou et on ne s’en lasse pas. Impossible de tout évoquer, les merveilles se succèdent. Mention spéciale pour l’entrelacs de lignes géométriques qui représentent, parfois sur plusieurs centaines de mètres, jusqu’à 18 figures animales parfaitement dessinées. Les Nazcas les ont tracées plusieurs siècles avant notre ère. Certains pensent qu’ils étaient capables de voler, portés par des ballons ou des cerfs-volants que l’on peine à imaginer, serrés dans notre petit avion 12 places. Le mystère demeure…

JOURS 10 À 12. CUZCO ET LE MACHU PICCHU

Et nous voici au centre du monde… inca. Cuzco signifie  » le nombril  » en quechua. La capitale de l’empire découverte par les conquistadores en 1533 abritait alors 100 000 habitants, au beau milieu des Andes. Et assez d’or pour que l’envahisseur pense avoir trouvé l’Eldorado. D’énormes murs aux pierres géantes parfaitement ajustées servent toujours de fondations aux bâtiments construits ensuite dans le plus pur style espagnol, avec balcons et moucharabieh de bois finement sculptés. Bel exemple de synthèse culturelle entre les civilisations de l’Europe coloniale et de l’Amérique indienne, Cuzco demeure l’un des principaux centres artistiques contemporains du Nouveau Monde. C’est aussi le point de départ touristique de toutes les excursions vers la Vallée Sacrée, qui suit les méandres du Fleuve Sacré et débouche sur le site vénérable entre tous, juché sur son éperon rocheux : la Cité perdue du Machu Picchu, la plus belle et la plus secrète de tout l’empire inca, vieille de 600 ans et incroyablement préservée. Après sa découverte en 1911 par l’explorateur Hiram Bingham, il fallut près de près quarante ans pour trouver une voie d’accès assez praticable pour les archéologues. Un autre Chemin de l’Inca, reliant la citadelle à Cuzco, devenu un must pour les trekkeurs. Nous avons plutôt emprunté le Vistadome, ce train dont les fenêtres panoramiques révèlent les somptueux paysages de la vallée du fleuve Urubamba. Il en existe un autre, plus chic encore, exploité là-bas par la compagnie de l’Orient-Express.

JOUR 13. EN MER

De toutes nos rencontres marines, la plus incroyable est celle de ce banc d’innombrables dauphins – combien étaient-ils : 500 ou encore 1 000 ? – qui course le bateau pendant deux heures en jouant à saute-mouton dans les vagues, avec la plus parfaite synchronisation. Inédit, même pour le commandant Garcia, qui  » en a vu d’autres en vingt-cinq ans d’expéditions « .

JOUR 14. GUAYAQUIL

Déjà la fin du voyage. On aborde l’Équateur par l’embouchure du fleuve Guayaquil, pour accoster dans la ville homonyme, capitale économique de cet étonnant petit pays subtropical – on a quitté le sillage de Humboldt – dont la biodiversité est l’une des plus riches de la planète. Les jardins de la ville en offrent un aperçu : de nombreux iguanes s’y promènent en liberté, pour le plus grand bonheur des passants que leur dégaine préhistorique n’effraie pas. Pas plus que celle des tortues géantes des Galapagos, elles aussi de sortie. La croisière n’aura pas seulement remonté les siècles, mais aussi les millénaires. Réflexion faite au bar du Boréal, en sirotant un dernier pisco sour.

PAR PHILIPPE BERKENBAUM

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