Sartre avait prédit que le xxie siècle serait féminin. Comment les hommes vivent-ils ce chamboulement identitaire ? Sont-ils en crise ? Et quels sont leurs souhaits ? Le point avec la psychiatre et psychanalyste Muriel Flis-Trèves.

A l’heure où George Clooney et David Beckham sont qualifiés de  » mecs plus ultra « , les hommes s’interrogent sur leur devenir. Dire qu’il a suffit de quelques décennies seulement pour ébranler leur image et leurs acquis. Avec la libération des femmes, les m£urs et la société ont tellement changé, que les hommes sont aujourd’hui confrontés à un véritable bouleversement identitaire. Ils doivent se redéfinir, se recréer une place. Mais cette transition se fait à tâtons, et le malaise des mâles est palpable… Muriel Flis-Trèves en est témoin dans sa pratique auprès de couples qui ont du mal à enfanter. Passionnée par les défis et  » la richesse de notre époque « , en collaboration avec le gynécologue et obstétricien René Frydman, la psychiatre et psychanalyste a mis sur pied un colloque annuel. L’originalité ? Réunir une quinzaine de spécialistes de différentes disciplines pour discuter d’un thème précis. Tous ces experts (le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le thérapeute familial Serge Hefez, le spécialiste d’histoire culturelle André Rauch, entre autres) se retrouvent aussi dans un nouvel ouvrage collectif. Après les  » Rêves de femmes « , voici  » A quoi rêvent les hommes ? » (1).

Weekend Le Vif/L’Express :  » Les hommes méritent une attention particulière « , dites-vous. Pourquoi donc ?

Muriel Flis-Trèves : Parce qu’il se passe quelque chose chez eux, qui n’a pas son équivalent chez les femmes. Comme le révèlent les textes de  » A quoi rêvent les hommes? « , la virilité et la paternité sont confrontées à une remise en question. Ces pertes de repères, bouleversements et manques s’accompagnent d’une interrogation. L’homme… Qui est-il ? Vers quel destin se dirige-t-il ? Qu’en est-il des relations hommes/femmes ? Assume-t-il sa paternité ? Comment se montre-t-il homme ?

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Ce chamboulement était déjà annoncé par l’histoire. L’homme est passé du statut de guerrier, protecteur des femmes, au statut d’accompagnateur affectueux et présent. La question de son identité s’impose. L’évolution des femmes y contribue : contraception, avortement ou famille recomposée sont de nouvelles donnes. Libérées, les femmes prennent leur destin en main et n’acceptent plus la violence, qui avait autrefois un rôle virilisant. Depuis leur entrée sur le marché du travail, elles sont indépendantes et capables de s’assumer seules. Dans ma pratique, je vois des couples qui ont du mal à avoir un enfant. Après s’être longtemps effacés, les hommes tendent à être présents et à exprimer leur souffrance. En thérapie, ils abordent leurs doutes, craintes et conflits intérieurs. Ils s’interrogent aussi sur leur rôle dans le couple et leur future place dans la famille.

Que signifie finalement être un homme ?

C’est toute la question… le professeur de biophysique Henri Atlan arrive à la non-différenciation des sexes et la psychanalyste Irène Diamantis part du fils pour définir le père. Les êtres se font par la parole. C’est en se demandant à quoi rêvent les hommes, qu’on peut approcher de ce qu’ils sont. On se construit par l’identité : chacun devient un homme à sa façon. Il n’y a pas de définition précise parce qu’il n’y a pas de réponse univoque. Il existe toutefois de nouveaux qualificatifs comme  » métrosexuel  » (qui cultive ses parts féminines tout en étant hétéro) ou  » übersexuel  » (macho et classique, tout en étant ouvert et capable d’écouter). Ces qualifications symbolisent une interprétation inédite du masculin, qui vise à se construire autrement. Or plus on tente de le définir, plus on s’éloigne de la réalité complexe.

L’identité masculine doit-elle être remodelée ?

A la base, elle est transmise par rapport au père, mais aujourd’hui, il n’y a plus de référant paternel. Aussi l’homme doit-il se réinventer, en trouvant sa place dans la conjugalité et la famille. Même si ça se fait naturellement, c’est compliqué…

Qu’en est-il de la part féminine que l’homme doit affirmer ?

La bisexualité psychique existe : dans tout homme, il y a une part de masculin et de féminin. Même si certains prônent un retour du machisme, la plupart d’entre eux assument ces deux facettes. Avocat et écrivain, Jean-Paul Carminati décrit ce que l’homme infertile vit. Oser aborder ce point sensible de la virilité – qui touche à une honte ancestrale – est assez rare. Dans son dernier roman ( » J’étais derrière toi « ), Nicolas Fargues affiche sa sensibilité. En se montrant tel qu’en lui-même, il révèle ce qu’on n’entend pas habituellement. L’homme actuel a envie de montrer ses souffrances. Fargues dévoile qu’il n’a pas toujours le dessus dans son couple. Il pleure, tout en restant un homme. Afficher ces traits de caractère, à certains moments de sa vie, est une force. Elle permet de grandir et d’aller plus loin. C’est peut-être cela le nouvel homme contemporain.

Le macho est décrié, mais les femmes se plaignent quand l’homme n’est pas assez… macho !

Il est vrai que les femmes veulent reprendre certaines choses en main. Mais les hommes ne sont pas des bébés ! Au lieu de se demander ce qu’on veut d’eux, ils doivent trouver leur place tout seuls. Ils attendent trop des femmes, or c’est à eux de choisir ce qu’ils veulent être. Certes, ils n’ont pas fini de s’adapter, mais c’est également le cas du sexe opposé. Nous vivons dans une culture diversifiée, qui n’existait pas avant. Certains se retrouvent dans les figures inédites de métrosexuel ou d’übersexuel, d’autres développent l’ultraféminité. Une part des hommes clame un retour en arrière. Craignant de se perdre, en tant qu’homme, ils ne sont pas prêts à vivre la diversité. Alors, ils s’accrochent à des repères faciles, à des valeurs anciennes, qui les rassurent.

Comment la notion de virilité a-t-elle évolué ?

Autrefois, la virilité était plus accessible et visible. Liée à des codes précis, elle était incarnée par le soldat, défendant son pays et donnant la mort à l’ennemi. En Occident, la virilité se situe désormais dans la réussite sociale, le pouvoir professionnel et le sport. Celui-ci représente le dernier bastion, où se manifeste la virilité d’antan. Cela signifie-t-il que nous vivons une crise défaillante de la figure masculine ? Quelle que soit l’époque, les gens se cherchent des héros. Ainsi, il émerge des figures emblématiques, comme le footballeur Zinedine Zidane. Il incarne l’immigré qui s’est construit tout seul, grâce à son courage et son opiniâtreté. Certains estiment que son coup de boule réintroduit l’homme défendant, or la violence est inexcusable !

Les sportifs séduisent. N’y a-t-il pas aussi, aujourd’hui, une grande pression sur le physique masculin ?

On attend d’un homme qu’il soit puissant et présent. Malgré la modification de son image, la dictature physique n’atteint guère l’exigence envers la femme. L’homme et la femme se rejoignent néanmoins dans la peur de vieillir. Les soins du corps, le souci de la beauté et de la forme, reflètent une culture de la santé. Cette envie de cultiver un corps beau et sain répond au souci d’éloigner la mort pour accéder à l’éternité.

A l’heure des rencontres sur Internet, pourquoi les relations hommes-femmes sont-elles plus compliquées ?

Depuis leur libération, les femmes ont acquis une activité professionnelle et le choix de la maternité. Cette liberté leur

permet de décider. Leurs attentes sont, dès lors, plus difficiles à rencontrer. Cela oblige les hommes à se redéfinir comme individus et ce, tant dans leur rôle familial, personnel, économique et sociétal. L’aspiration paradoxale  » être libre et fusionnel à la fois  » est une illusion. Dans la vie de tous les jours, on observe, parallèlement, une frayeur de la dépendance à l’autre, et une horreur de la solitude. La rencontre par écran interposé donne l’illusion que tout est simple, car elle implique l’élargissement du choix. Mais trop de choix tue le choix ! Alors que la démarche reste surtout consumériste pour les hommes, les femmes se cherchent plutôt le bon partenaire. Ce déséquilibre renforce la mésestime de soi. Les sites de rencontre aggravent le problème de l’engagement, car ils rendent l’amour encore plus improbable.

En quoi le célèbre slogan féministe  » Un enfant si JE veux  » a-t-il un impact sur le futur père ?

Ce n’est plus l’homme qui impose la maternité à une femme. Le futur père ne décide parfois de rien et il peut même ne pas être au courant. C’est pourtant à lui de trouver sa place et son rôle dans la parentalité. Malgré leur activité professionnelle, les femmes en font, souvent, toujours plus dans le travail familial. Elles ont du mal à faire entendre leur difficulté, leur fatigue. Les nouveaux pères sont encore en rodage. Ils doivent imaginer une juste place au sein de l’univers familial et ne pas rivaliser avec les stéréotypes féminins. Désormais, l’autorité se partage. Tout comme la maman, le papa souhaite voir et s’occuper de son enfant, même en cas de divorce. La garde alternée prouve que les pères se considèrent comme étant capables d’assumer une prise en charge, responsable et répétée, de leur rôle.

A quoi rêvent donc les hommes ? Et peuvent-ils unir leurs rêves à ceux des femmes ?

Serge Hefez répond  » à être en harmonie avec eux-mêmes « , alors que René Frydman estime qu’ils aspirent  » à la toute-puissance et l’immortalité « . Je pense en réalité, qu’à l’instar des définitions, il y a autant de rêves que d’hommes. Mais, j’espère que nous aurons des embryons de réponses au colloque  » A quoi rêvent les hommes ?  » (2) J’ignore s’ils ont envie d’unir leurs rêves aux femmes. Et je ne le leur souhaite pas. Vouloir avoir les mêmes rêves me semble un idéal fusionnel intenable. Ce qui compte c’est la manière de faire son chemin vers l’autre, car c’est un chemin qui en vaut la peine.

(1)  » A quoi rêvent les hommes ? « , dirigé par Muriel Flis-Trèves et René Frydman, Odile Jacob, 166 pages.

(2) Ce colloque se tient ces 17 et 18 novembre, à Paris.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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