Elle se profile aujourd’hui à la pointe des tendances gourmandes ! À Bruxelles, la cuisine africaine sort des bouis-bouis dans lesquels elle a été trop longtemps confinée. Cuisine ouverte, fusion, tapas et néodéco. Pas de doutes : une world food à part entière est née. Notre carnet d’adresses.

Un parallèle s’impose avec la cuisine japonaise. Il y a vingt-cinq ans, pour déguster sushis et sashimis, l’amateur devait se résoudre à fréquenter des cantines à la déco Soleil-Levant de pacotille. Triste tableau : l’accueil était souvent fruste, le confort rudimentaire et les bonus – vins, dessertsà – carrément inexistants. Bien difficile dès lors d’y emmener des amis dans le but de les initier aux spécialités nipponnes. Et puis, soudain, la révolution de palais : un tsunami d’adresses en phase avec l’époque déferle sur le pays. Résultat ? Rares sont aujourd’hui les foodies qui rechignent à manger du poisson cru.

Sans qu’elle en soit déjà au stade du raz-de-marée, la cuisine africaine apparaît comme la  » next big thing  » en matière de tendances gastronomiques grâce à l’ouverture de restaurants qui mettent tout en £uvre pour bousculer les préjugés. Ils réussissent, en effet, une belle synthèse entre recettes traditionnelles, nouvelles saveurs et atmosphères contemporaines.

De l’akpan – une boulette de maïs que l’on trempe dans la sauce – au saka saka – la feuille de manioc qui, bien préparée, a le goût de l’épinard -, il existe une matière première gustative d’une vraie densité. Autant d’invitations à ouvrir ses papilles à des horizons gourmands plus larges.

La nouvelle génération

S’il fallait choisir une seule adresse pour illustrer la montée en puissance ainsi que le potentiel de la cuisine africaine, ce serait à coup sûr KoKoB, unique restaurant éthiopien de Bruxelles. Un trio surprenant, composé d’un ingénieur éthiopien, d’un anthropologue et d’un financier, a conçu ce lieu – relevant à la fois du restaurant et du  » cultural spot  » – qui emploie pas moins de 24 personnes. L’ambiance ? Le cadre cosy de briques mises à nu d’une maison du xviiie siècle. Avec Mulatu Astatke, le père de l’ethio-jazz, en guise de bande-son.

Cette enseigne fait un carton – elle est bondée depuis son inauguration et a même reçu la visite du président de la Commission européenne José Manuel Barroso – avec une cuisine totalement méconnue.  » L’étoile montante  » (traduction de kokob) propose des assiettes composées rappelant le mezze libanais. Sur un grand plateau recouvert d’une crêpe tiède – l’injera – sont juxtaposées les différentes préparations, se déclinant en végétarien, viande ou poisson. On déguste tous ces mets sans couverts, au moyen de petits morceaux de galette au millet. On picore le wat, un ragoût à base de légumes frais et secs. Dans l’assiette, les légumineuses dominent, accompagnées de fromage et de salade. Délicieux et surtout très parfumé car ail, gingembre, cardamome, clous de girofle et cannelle entrent eux aussi dans la composition des plats.

A la carte des vins, on épingle le Tandem, une syrah marocaine signée Alain Graillot. On ne résistera pas non plus aux desserts et, pour conclure sur une note légère, on sirotera un thé éthiopien aux herbes : un concentré dynamisant de gingembre et de cannelle.

Autre adresse à faire souffler un vent de nouveauté sur la cuisine africaine, le Nd’s décline un cadre classe et minimaliste en noir et blanc. Seuls quelques masques et photographies la décorent. A l’entrée, une galerie de portraits, en noir et blanc eux aussi, de figures marquantes : Léopold Senghor, Martin Luther King, Nelson Mandela, mais également Mobutuà. La maîtresse des lieux, Nda, est en effet la fille cadette du Léopard de Kinshasa. Son ambition ?  » Réconcilier gastronomiquement les deux continents.  »

Pour relever ce défi, il a été fait appel à James, chef congolais passé par plusieurs maisons, des cuisines du Royal Léopold Club à celles du Grain de Sable au Sablon. L’homme a imaginé une carte qui oscille entre fusion et cuisine africaine traditionnelle. Les plus timorés peuvent ainsi opter pour des samosa – du nom de ces beignets indiens – ou pour du canard à la mangue et aux patates douces. Les autres joueront à fond la carte de la tradition avec le Ntaba – un classique d’Afrique à la viande de chèvre -, la déjà réputée moambe ou le mafé d’agneau. Côté boisson, on retrouve le même esprit puisqu’on peut opter pour du vin de palmeà ou pour une série de références bordelaises tout ce qu’il y a de plus classique. A recommander, à l’apéritif, de délicieux cocktails, dont Le Maréchal, un mélange restituant avec exactitude la boisson qui avait les faveurs de Mobutu.

Petite cantine à deux pas de la place du Jeu de Balle, Kërgi –  » la maison  » en woolof – occupe à la perfection un créneau qui se situe entre roots africaines et goût du jour européen. Sur la façade, on appréciera l’ironie décalée de l’inscription  » Maison Belge « . Pas plus de dix places assises ! Ce mouchoir de poche s’articule autour d’un comptoir derrière lequel se produisent des miracles gustatifs. Des murs où les clients griffonnent – Philippe Geluck y a laissé un chat -, des photos de famille : le ton est résolument à la simplicité et à la convivialité.

Au-dessus du comptoir, on peut lire l’énigmatique profession de foi du lieu :  » Le naphysme est un art culinaire qui se pratique sans modération et en toute modestie.  » C’est que Naphie règne ici en princesse africaine du goût et de la convivialité. Sénégalaise et ayant grandi au Burkina, elle allie fraîcheur des ingrédients et spontanéité. Elle fait ses achats quotidiennementà au marché matinal. C’est là qu’elle trouve l’inspiration. Du coup, pas de carte – chaque jour promet une surprise – et presque pas d’ingrédients stockés dans le frigo – juste des verres pour les rafraîchir.

Derrière son comptoir, Naphie cuisine en live avec sincérité comme  » si tu passais chez maman à l’improviste « . Le poulet yassa, le canard à la vanille, l’agneau au curry, le tilapia frit, les gambas au cocoà les accommodements sont à chaque fois différents. Sans oublier les jus de fruits frais – surtout celui au gingembre – qui remplacent avantageusement l’alcool.

Les pionniers

Certains établissements avaient toutefois préparé le terrain. Cela fait treize ans que L’Horloge du Sud est une valeur sûre. Avec son allure de gastro-pub londonien bardé de bois, elle séduit tous les publics. Son cadre de brasserie cosmopolite ne rend, il est vrai, qu’un hommage discret à l’Afrique avec juste quelques instruments de musique qui surplombent le bar. La carte, en revanche, emmène loin avec une série de plats typiques : mafé, poulet yassa, viande de crocodileà Sans oublier, un divin liboke, soit du poisson aux fines herbes cuit à la vapeur dans des feuilles de bananier. Le tout rehaussé d’une légion d’accompagnements : patates douces, manioc, bananes plantains frites, igname, atiéké (couscous de manioc)à

Très dépaysant également, un déjeuner au Simba, la cafétéria du Musée royal de l’Afrique centrale. Cette cantine, où se retrouvent de nombreux nostalgiques de l’Afrique, restaure avec beaucoup de rigueur. Le poulet moambe y est réputé pour sa préparation dans les règles de l’art, c’est-à-dire cuisson dans l’huile de palme et justesse des proportions.

Simba signe un compromis entre respect des goûts originaux et palais européens. Pour preuve, avec les mets piquants, la sauce est toujours servie à part. Disponibles aussi à la dégustation : des bières d’inspiration africaine comme celles de la gamme Mongozo – qui sont au choix à la noix de coco, à la mangue ou à la noix de palme – ou la Metiss, une bière au malt de sorgho. Initié par Pierre et Yves Hofman, Simba est la vitrine de LSC (Les Saveurs Cuisinées), un traiteur spécialisé dans les préparations exotiques et les réceptions aux tempos africains.

Avec son bar de rhums rares à l’étage et son sous-sol dédié à la cuisine africaine, La Petite Métisse mise quant à elle sur une approche tapas du genre. Idéal pour une initiation, cet afro-grignotage est signé par un couple belgo-burundais. Décorée à la façon d’un lodge, l’adresse excelle dans l’art du mélange, entre sardines au saka saka, poulet lenga lenga – c’est-à-dire à la feuille d’amarante, plante tropicale dont le goût s’approche de celui de la scarole – mais aussi samosa indiens et ailerons de poulet thaï.

ET aussi…

Dans notre capitale, certains chefs africains brillent en faisant le choix de mitonner une cuisine française. Dans des registres différents, deux d’entre eux témoignent de la large palette de styles dans laquelle ils évoluent. C’est le cas de Christian Yumbi qui, avec ReSource, a donné à Bruxelles son premier restaurant slow food, même s’il serait dommage de réduire le talent de ce chef originaire du Congo à une étiquette. Dans un esprit d’artisanat, il travaille les légumes et les poissons avec le soin d’un orfèvre des goûts et des textures. Les assiettes de ce superpro qui a travaillé au Ritz à Paris et au Gril aux Herbes d’Evan s’apparentent à des jardins zen : rien n’est superflu, tout fait sens.

On mentionnera aussi, Arnold Dossou-Yovo, chef béninois, qui s’inscrit dans une tradition bistrotière au sein d’À Bout de Soufre, le bar à vins qu’il possède avec Jérôme Bellin. Très éloigné de tout exotisme, l’endroit n’est pas moins l’une des références les plus sérieuses en matière de cuisine de terroir.

à l’heure de la vague DIY – pour Do It Yourself -, mouvement qui invite à ne pas subir la consommation mais à mettre la main à la pâte, pointons les différentes épiceries du quartier Matonge. Tout au long de cette portion de la chaussée de Wavre se trouve un véritable réservoir de matières premières regorgeant de mil, saka saka, manioc, huiles de palme ou bananes plantains. On retiendra tout particulièrement Gloire à Dieu, Sheikh et Zando Ya Matonge, tous trois grands pourvoyeurs d’exotisme.

Carnet d’adresses en page 66.

Par Michel Verlinden / Photos : Renaud Callebaut

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