Depuis trois ans, dans sa vitrine/atelier basée à Gand, Els Jacobs tricote des écharpes et des plaids intemporels d’une merveilleuse fragilité. Elle y expose aussi des artistes et cherche à créer un monde qui lui est propre. Comment mieux dérouler le fil de sa vie ?

La première tentation quand on est devant chez elle est à l’hésitation – Est-ce une galerie ? Une boutique ? Un atelier ? Et que fait cette jeune femme penchée sur une machine, dos à la rue, ne laissant deviner que sa silhouette auréolée de blond sur fond de mur bleu ? Il faut faire fi de ces points d’interrogation et pousser la porte de sa  » vitrine /atelier « , Els Jacobs se retournera, vous regardera de ses grands yeux azur et vous sourira, portrait vivant d’une demoiselle d’un autre temps, qu’aurait pu peindre un primitif flamand. Aujourd’hui, comme tous les jours, elle porte l’une de ses créations ; pour réchauffer ses épaules, elle a enfilé une écharpe-col tricotée par elle puis travaillée à la main, pour la différencier, l’embellir avec une technique particulière dont on taira le secret. C’est que, pour elle, la vie tient à un fil. Parce qu’elle sait le corps qui vacille, rongé par un mal reçu en héritage génétique, mais surtout parce qu’elle a appris à mélanger, tricoter, tirer, tisser les matières qu’elle respecte, le lin, la soie, le mohair, les pures à 100 %. Car Els Jacobs est designer textile, installée à Gand, depuis trois ans, en front de rue, au bord d’un canal, au numéro 1 d’une rue appelée Nieuwland, y voir un signe.

Il n’était pourtant pas écrit qu’elle parviendrait à matérialiser ses envies, être chez elle, produire des collections, permettre à d’autres artistes d’exposer dans son espace, Jean Georges Massart aujourd’hui, François Huon demain – que leur travail entre en vibration, via cette Entrevue, que les techniques confrontées se fassent écho.  » Jean Georges, dit-elle, travaille le bois et le bambou depuis quarante ans, sa façon de faire et de se positionner dans la vie me fascine. Et je sens qu’il y a un lien avec mon processus de création.  » Rien de flou ou d’abstrait chez elle, ce sont ses mains qui façonnent, s’appuyant sur les techniques qu’elle a appris à maîtriser, les décisions qu’il faut prendre, les vibrations chromatiques qu’il faut inventer. C’est un long chemin que de le tracer à l’aide de fils et de lignes qui se muent en textile, écharpes, plaids ou objets si fragiles qu’on doit les exposer, les faisant ainsi passer de la catégorie artisanat utilitaire à celle d’artisanart.

Rien n’est arrivé par hasard, Els Jacobs a entamé des humanités artistiques à Anvers, est devenue interne, à Rixensart, en français, à 14 ans, durant un an –  » envie d’être dans un autre monde  » -, s’est ensuite inscrite à Sint-Lukas, à Bruxelles, puis enfin en design textile à La Cambre (2002-2007). Elle a enchaîné les stages dans le même temps, est partie étudier le tricotage au musée du Textile de Tilburg et s’est formée in vivo, toujours dans la maille, chez Cousy à Zottegem, l’une des dernières entreprises belges spécialisées en la matière. Elle est encore étudiante qu’elle signe déjà une collection d’écharpes, elle l’appelle Some-thing-els, depuis elle l’a rebaptisée de son nom, mais elle a gardé l’habitude de nommer ses pièces, en français ou néerlandais, indistinctement, toujours d’un nom qui se termine par  » Els « , ça marche dans les deux langues,  » bezinksels  » ou  » artificiels « . On s’étonne, au premier regard, même au deuxième, au troisième, il n’y pas grand-chose chez elle d’artificiel, c’est juste que  » het Els alphabet  » provoque parfois un juste retour aux sources – entendre  » art  » dans l’adjectif et le comprendre dans son sens premier :  » qui est le produit de l’habileté humaine « . Les entrelacs d’Els Jacobs sont le résultat d’un entêtement bienvenu, qui parfois ressemble aussi à de la méditation. A 8 ans, elle avait dessiné le magasin de ses rêves, le sien, là l’entrée, les portants, les vêtements, la cabine d’essayage, les vitrines. Elle avait utilisé le crayon et le plan architectural plein d’une grâce enfantine, elle l’a encadré, elle ne l’a pas accroché au mur, elle l’a juste réussi, grandeur nature, à l’exacte couleur de ses yeux.

Els Jacobs, 1, Nieuwland, à 9000 Gand. www.elsjacobs.be. Entrevue avec Jean Georges Massart, jusqu’au 5 juillet prochain et avec François Huon jusqu’au 6 juillet 2015.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » C’est un long chemin que de le tracer à l’aide de fils. « 

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