Un territoire plus petit que la moitié de l’Espagne, mais qui concentre la plus grande biodiversité de la planète. Les pieds de l’Equateur baignent en Amazonie, sa tête culmine au sommet des Andes. Et son âme est celle des Indiens quechuas, ancêtres des Incas auxquels ils ont survécu. Notre itinéraire en cinq escales.

Il pleut depuis 48 heures sur Puyo, l’une des villes les plus arrosées du monde. Mais ce matin, les cieux sont redevenus cléments. Nous allons pouvoir embarquer, le débit du rio Bobonaza devrait se calmer assez pour le rendre praticable.  » Avec le courant, vous serez plus vite arrivés que s’il n’avait pas plu « , nous rassure-t-on. Puisqu’ils le disent… Une heure de jeep à travers la jungle pour rejoindre le port de Latasas, un chemin de boue qui descend jusqu’à la berge où viennent s’amarrer les pirogues. Nos hôtes sont bien là. Wilson et Gerardo ont remonté le fleuve de nuit pour venir nous chercher. Longs cheveux noirs cascadant sur les épaules, machette au ceinturon, bottes aux pieds, ce sont des Indiens quechuas et nous allons passer trois jours à leurs côtés. A sept heures de pirogue en aval, au coeur de la forêt amazonienne.

1. LA PLUS GRANDE DIVERSITÉ DU MONDE

C’est l’atout majeur de l’Equateur. Assis sur la ligne de partage des hémisphères, ce pays subtropical concentre la plus grande biodiversité de la planète, avec trente-cinq biotopes sur un territoire plus petit que la moitié de l’Espagne, son ancienne puissance coloniale. Barré par la cordillère des Andes qu’on appelle ici la Sierra, il pointe plusieurs sommets bien au-delà des 5 000 m d’altitude. Beaucoup sont des volcans hyperactifs.

A l’est, les montagnes plongent dans le bassin amazonien dont la forêt tropicale couvre le tiers du pays. A l’ouest, les hauts plateaux glissent en pente douce vers le Pacifique, découvrant des vallées fertiles dédiées à la culture d’une prodigieuse variété de fruits, légumes et céréales – dont le café et le cacao sont réputés parmi les meilleurs du monde. Puis viennent les deltas et marais côtiers, bordés par des plages aussi sauvages que paradisiaques. Et au large, cerise sur ce gâteau divin, émergent les mythiques Galápagos.

Toutes ces richesses sont accessibles en un séjour d’à peine trois semaines, vu les distances assez courtes et l’excellent état des routes. Même si chaque étape mérite qu’on lui consacre du temps. Pas seulement pour la beauté des paysages, aussi et surtout pour la palette des cultures que cet attachant pays andin coincé entre le Pérou et la Colombie offre à ses visiteurs. Avec un sens de l’accueil et de l’hospitalité jamais pris en défaut.

2. UNE CAPITALE MARQUÉE PAR L’HISTOIRE

L’arrivée à Quito donne du temps à l’acclimatation. Perchée à 2 000 m, la plus haute capitale du monde après La Paz (Bolivie) permet de s’habituer progressivement à l’altitude avant d’aller caracoler dans la Sierra, où l’on ne descend plus sous les 2 500 à 4 000 m. Marquée par la double influence espagnole et chrétienne, cette ville encaissée à taille humaine n’a pas atteint la démesure de ses grandes soeurs sud-américaines.

Son coeur historique est un musée à ciel ouvert, inscrit au patrimoine de l’humanité. On l’appréhende superbement depuis les toits de la Compania de Jesus, l’église jésuite la plus baroque de la cité, où tout a été passé à la feuille d’or par les Conquistadors. Une porte dérobée permet de grimper sur les toits pour s’offrir une vue à 360 ° sur la vieille ville. Profitez-en, c’est un secret bien gardé.

A nos pieds, s’ouvre la Plaza San Francisco, bordée de bâtiments anciens. Le monastère homonyme abrite toujours des moines, son cloître est un havre de paix. A l’opposé, face au palais présidentiel, les palmiers de la Plaza Grande abritent une foule bigarrée – et souvent contestataire – où les treize ethnies quechuas se distinguent à la couleur de leurs vêtements, à la forme de leurs chapeaux, à la sophistication de leurs coiffures.

Le jour, Quito est une cité joyeuse à l’atmosphère festive, où il fait bon flâner dans les ruelles animées et oser les spécialités locales dans ces gargotes qui pullulent. Entre deux visites d’églises, couvents, basiliques… et même d’une cathédrale : l’évangélisation a laissé des stigmates qui brassent les influences espagnoles, mauresques et autochtones. Parfaitement restauré, le quartier colonial cache d’autres trésors dans ses musées et ses maisons bourgeoises, témoins d’un passé dont l’opulence remonte aux civilisations indiennes qui ont précédé l’arrivée des colons incas puis espagnols. La nuit, mieux vaut éviter de traîner dans les rues autrement qu’en taxi…

3. DES TRADITIONS QUECHUAS PARTAGÉES

On quitte Quito et son parfum de civilisation occidentale pour remonter vers la Sierra du Nord, le pays des Kichwas des Andes, comme on les appelle ici. Ceux des villes, dont les prospères Otavalos, sont reconnaissables à l’élégance de leurs costumes traditionnels et la couleur de leur chapeau en feutre. Le marché de la cité homonyme est l’un des plus animés d’Amérique latine, festival de couleurs, d’artisanat fin, de goûts, d’odeurs. Ceux des champs vivent dans la montagne. Nous grimpons sur les flancs du volcan Imbabura pour rejoindre le village de San Clemente, à près de 3 000 m. La vue sur la vallée, le bourg en contrebas et les sommets ouatés de nuages offre un spectacle grandiose, repeint de l’aube au crépuscule. C’est ici que Manuel et Laura Guatemal ont aménagé trois chambres d’hôtes dans de jolis chalets en bois tournés vers ce décor unique. D’autres membres de la communauté leur ont emboîté le pas et s’emploient à partager leur quotidien avec les visiteurs de passage. Façon d’améliorer l’ordinaire d’un peuple indigène aux conditions de vie aussi rudes que précaires.

Les Kichwas quaranquis élèvent des vaches, des alpagas et des cuys, ces cochons d’Inde à la chair délicate. Et cultivent la Pachamama, la terre nourricière, selon des techniques ancestrales liées au rythme des saisons et à la course des astres.  » Tout est question d’équilibre entre le ciel, la terre et le monde sous-terrain, celui des esprits « , explique Manuel en nous initiant aux traditions locales basées sur  » l’interconnexion des trois mondes « . Ici, on communique avec les ancêtres par les rêves, dont l’interprétation guide chaque action de la journée. Et l’on remet sa santé aux bons soins de la nature, dont on maîtrise les vertus des plantes médicinales. C’est vrai aussi pour la nourriture : nous découvrons la plus savoureuse cuisine équatorienne à la table de nos hôtes. Non sans mettre la main à la pâte…

4. DES VOLCANS ENNEIGÉS ET SAUVAGES

 » Ne croyez pas qu’il dort. On s’attend à ce qu’il se fâche d’un jour à l’autre « , prévient notre guide à l’entrée du parc national du Cotopaxi, dont le volcan culmine à 5 900 m, coiffé d’un manteau de neige qui évoque le Fuji-Yama nippon. Sauf qu’il est posé sur un magma rouge sang, comme pour avertir du danger permanent que constitue le joyau de l’Allée des Volcans, cette route inter-andine qui serpente entre les cônes géants.

A ses pieds, s’étend le páramo, cette terre d’altitude où ne poussent que l’herbe, les lichens et de rares buissons, où s’ébattent des troupeaux de chevaux semi-sauvages. Et des lamas, omniprésents. Il faut être équipé et entraîné pour atteindre le sommet de glace et de feu. La plaine infinie, elle, invite à la randonnée à pied, à cheval ou en VTT, dans un paysage aussi désert que tourmenté. La lave creuse ici des sillons depuis des millénaires. Et l’homme n’est rien dans cette immensité.

Plus au sud, le parc national du Chimborazo abrite le toit du monde, puisqu’en culminant à 6 310 m sur la ligne de l’équateur, il est le sommet le plus éloigné du centre de la Terre. Lui ne s’est plus manifesté depuis 1 500 ans, ce qui confère au  » Papa Chimborazo  » le statut de père protecteur de la nation qui l’a dessiné sur son drapeau. On grimpe au-delà des 5 000 m… en reprenant son souffle, dont on ne sait s’il est coupé par le panorama ou le manque d’oxygène. C’est le royaume du condor des Andes et de la vigogne, deux espèces aussi sacrées que menacées qui ont été réintroduites dans la région. Le rapace étant plus difficile à apercevoir que le lama qui évolue par petits groupes sur les pentes escarpées, exposant sa laine soyeuse dont on tisse les vêtements les plus raffinés.

5. UNE FORÊT D’AMAZONIE À PRÉSERVER

Le rio Bobonaza charrie tellement de sédiments que ses eaux sont opaques, ocre, boueuses. On ne distingue ni piranhas, ni crocodiles.  » Il y a trop de courant, rassure Gerardo. Ils préfèrent rester dans les petits affluents plus tranquilles.  » Là où nous irons pêcher le lendemain, et même nous baigner avec les Indiens… On navigue au coeur d’une végétation tropicale qui semble inextricable, hostile. Çà et là, émerge pourtant un coin de hutte ou un toit de paille. Et des enfants qui jouent dans l’eau quand les coudes de la rivière ralentissent le courant. La jungle est vivante et ces gens l’ont apprivoisée.

Nous logeons chez les parents de Gerardo dans la choza des visiteurs, un grand toit de chaume ouvert à tous vents et coiffant un plancher posé sur pilotis. Comme toutes les cabanes du village.  » Les inondations sont fréquentes, sourit Gerardo. Et les animaux sauvages nombreux.  » Les poules dorment dans les arbres et les humains dorment peu. On boit avec nos hôtes la wayusa, cette infusion bouillante que les Indiens consomment avant l’aurore, à la lueur du feu, pour stimuler leurs songes.  » Chaque plante a un usage « , confie Gerardo pendant nos randonnées en forêt. Il nous apprend à fabriquer ces sarbacanes dont on se sert pour chasser, tout en détaillant les vertus de la flore si dense qui nous entoure. Souvent médicinales, parfois hallucinogènes. A 92 ans, son père reste un chamane respecté par les siens. Il en connaît tous les secrets.

La communauté de Sarayacu compte un millier de membres disséminés par famille dans la forêt autour d’une place où voisinent les bureaux du  » président « , l’école, le dispensaire, le terrain de foot, la salle de réunion et le local radio. L’électricité est fournie par des panneaux solaires et des groupes électrogènes. On n’y accède qu’en bateau ou en avionnette, un monomoteur dont la piste est une bande d’herbe haute souvent inondée.

Depuis quelques années, les Kichwas d’Amazonie accueillent de rares touristes pour se procurer des ressources, certes, mais surtout pour sensibiliser l’opinion aux menaces qui pèsent sur la forêt équatoriale. En proie à l’avidité des compagnies pétrolières et minières, qui en détruisent des pans entiers avec le soutien complice des autorités. On l’a pourtant observée ébahis : il y a plus de vie dans cette forêt primaire que partout ailleurs sur la planète. Y compris humaine.

PAR PHILIPPE BERKENBAUM

C’EST LE ROYAUME DU CONDOR DES ANDES ET DE LA VIGOGNE, DEUX ESPÈCES AUSSI SACRÉES QUE MENACÉES.

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