entre tradition et futurisme

À partir du 1er mai prochain, la capitale économique de la Chine accueille l’Exposition universelle 2010. La mégalopole mérite cependant plus qu’une simple visite à l’expo. Pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour s’y arrêter quelques jours et, surtout, découvrir les autres perles que recèle, dans un rayon de quelques centaines de kilomètres carrés, le delta du Yangtsé ?

Le Bund. Pour saisir la démesure du poumon économique de la Chine, il faut commencer par s’arrêter sur cette digue-promenade longeant la rivière Huangpu. De jour, et surtout en été, la brume qui voile souvent le ciel pare d’un aspect fantomatique l’époustouflante architecture de la ville, où les gratte-ciel les plus impressionnants défient les lois de la pesanteur. Mais la nuit, des millions de lumières multicolores lui donnent tout son éclat. éblouissant.

Si la Chine recèle d’innombrables merveilles, Shanghai et sa région y tiennent une place unique. Port(e) d’entrée de l’Occident dans l’empire du Milieu dès le xixe siècle, cette mégapole de 18 millions d’habitants affiche un mélange surprenant de tradition et de modernité. Pour palper ce contraste, il s’agit de prendre le temps d’arpenter les ruelles encombrées d’échoppes bigarrées, de traverser les jardins minutieusement dessinés ou encore d’escalader les tours futuristes. Et les touristes seront nombreux : entre le 1er mai et le 31 octobre prochains, l’Exposition universelle espère attirer 80 millions de visiteursà

Si vous êtes du voyage, n’hésitez pas à consacrer quelques jours à la cité du Lotus bleu mais aussi à ses voisines du delta du mythique fleuve Yangtsé (Yangzi Jiang, l’ancien fleuve bleu) : Suzhou abritant les plus beaux jardins chinois, Hangzhou et ses collines de théiers ou encore Zhouzhuang (ou sa jumelle Tongli) et ses canaux figés comme au temps des empereursà Des perles dans un écrin de quelques centaines de kilomètres carrés, que l’on parcourt facilement en train, en bus, en bateau ou en voiture de location – avec chauffeur toujours obligatoire.

Un pont entre deux mondes

Mais d’abord le Bund. Là où le Huangpu sépare deux mondes. Sur une rive, la cité originelle : mystérieuse, tentaculaire, où les fumeries d’opium ont disparu mais pas les parties de go improvisées à même les trottoirs. Sur l’autre rive, Pudong : la nouvelle Shanghai, cette mégalopole du iiie millénaire érigée en moins de deux décennies sur une terre jadis envahie de marécages. Le phare de la Chine conquérante, aux tours de plus de cent étages, d’où l’on embrasse les deux villes, le delta et même la mer de Chine. En guise de lien, le site de l’Exposition, posé de part et d’autre de la rivière, un peu au sud. Un pied dans le passé, l’autre dans le futurà

Shang Hai signifie  » sur la mer « . Lorsque les Occidentaux débarquent pour y installer des concessions au milieu du xixe siècle, la ville compte 300 000 habitants se complaisant dans une mentalité bien ancrée dans le Moyen Âge. Le Bund n’est autre que l’historique quai de débarquement des concessions internationales. Témoins de ce passé capitaliste : les superbes bâtiments au style raffiné de l’époque jalonnant la promenade, construits jusque dans les années 30 et qui abritaient les banques et compagnies occidentales, dont la Générale de Belgique. Il faut en pousser les portes, en particulier celles du Peace Hotel, chef-d’£uvre Art déco où l’on se désaltère sur le toit-terrasse pour profiter de la vue.

De cette époque des concessions, Shanghai a gardé une ouverture sur le monde, une indépendance et même un caractère frondeur qui en font le labo de la Chine de demain. Les Chinois y viennent d’ailleurs en masse, comme pour y humer ce parfum d’émancipation. La foule bigarrée et familiale qui arpente le Bund est tout d’abord autochtone. Attirée aussi, sans doute, par les innombrables boutiques et centres commerciaux qui transforment la ville en temple de la consommation.

La Chine d’hier n’a pourtant pas abdiqué devant la modernité. Elle est ici à tous les coins de rue. Sillonnez les artères de la vieille ville et de l’ancienne concession française, sans hésiter à pousser vers les quartiers plus populaires du nord. Pénétrez dans les nombreux temples dédiés, eux, à Bouddha, Lao-tseu ou Confucius, pour vérifier qu’après cinquante ans de communisme, les Chinois retrouvent nombreux, les voies de la spiritualité. Grimpez ensuite dans un cyclo-pousse pour rejoindre le (nouveau) bazar de la vieille ville, reconstruit à l’ancienne, où les pagodes alignent par centaines leurs toits recourbés. On y déguste les meilleurs guojie, ces raviolis sautés que s’arrachent les autochtones. Et on y trouve un condensé de tout ce que le pays peut offrir en matière d’artisanat et d’objets décoratifs.

Et puis, laissez-vous tout simplement porter par le flot incessant des badauds pour découvrir les vestiges d’une architecture en voie de disparition, qui cède le pas aux immeubles de verre et d’acier. Ce sont les lilongs, ces lotissements populaires à 2 ou 3 étages, qui constituaient encore l’essentiel des habitations locales dans les années 80. Les entrées discrètes qui percent leurs longues façades ouvrent sur un entrelacs de ruelles où s’organise une vie traditionnelle et communautaire. Ici, à l’ombre des gratte-ciel, c’est la Chine profonde et accueillante de jadis tant qu’il lui reste un souffle de vieà

Au passage, vous aurez eu à Shanghai un aperçu du raffinement légendaire avec lequel les Chinois aménagent leurs jardins – ou plutôt leurs parcs. Isolés derrière de hauts murs, ils permettaient aux notables et aux lettrés de venir s’abîmer dans la méditation, la contemplationà ou les intrigues amoureuses, dans des décors naturels soigneusement orchestrés. Mais vous n’avez encore rien vu. A une centaine de kilomètres à l’ouest de la cité marchande se dresse une petite ville d’eau, connue pour abriter les plus beaux jardins chinois du pays, donc du monde. C’est Suzhou, qui fut aussi la capitale de la soie naturelle. On peut encore y visiter des élevages de vers à soie dans les plantations de mûriers sauvages.

La montagne étreinte de beauté

 » La ville la plus coquette, la mieux entretenue, la plus pimpante qu’il m’ait été donné de voir en Chine « , affirme le grand sinologue belge Simon Leys. Marco Polo l’avait baptisée la Venise de l’Orient, tant elle est percée de canaux. Huit des jardins de Suzhou portent des noms enchanteurs, classés au patrimoine de l’humanité. Laissez-vous envoûter par ceux du Maître des filets, de la Politique des simples, de la Montagne étreinte de beauté, du Pavillon des vaguesà Ce ne sont qu’essences rares et centenaires, étangs couverts de plantes aquatiques, reliés par d’adorables ponts de bois et agités de poissons multicolores, pagodes, rocailles et chemins de traverse où l’on se perd avec ravissement. La quintessence du jardin chinois. Il faut au moins deux jours pour en apprécier toute la richesseà et en tirer de belles idées d’aménagement à rapporter chez soi.

à moins d’une heure de route, Zhouzhuang, un autre village à taille humaine, rescapé des grands aménagements territoriaux de la Révolution culturelle et réhabilité, vaut également le détour. à tel point, revers de la médaille, qu’il est devenu une destination touristique prisée par les Chinois eux-mêmes, qui sont un million par an à venir en goûter le caractère authentique. Ici, ni buildings, ni bâtiments modernes, ni voitures, du moins dans la partie ancienne de la cité aquatique. Maisons d’époque, entrelacs de canaux enjambés de petits ponts de pierre, lampions de papier, sculptures raffinéesà Les barques, moyen de transport idéal pour remonter lentement le temps. Ce village magique est toujours habité. Et peuplé d’artistes, de peintres, d’artisans – manne touristique oblige.

Il reste à boucler la boucle. Où les Shanghaïotes aisés vont-ils se reposer le week-end ? à Hangzhou, le plus célèbre site lacustre du pays, à deux heures de train express. De Suzhou, on peut le rejoindre en bateau : une péniche relie les deux joyaux du delta en une nuit par le Grand Canal, dont l’ancienne capitale de la dynastie des Song du Sud est la destination finale. Hangzhou est une cité paisible, alanguie au bord d’un lac, cerclée de collines où l’on cultive les meilleurs thés verts de Chine. On y cultive aussi la douceur de vivre, la gastronomie, l’air pur : c’est une ville extrêmement verte et peu polluée, propice aux longues promenades à pied ou à vélo.

Outre les étonnants temples et pagodes, certains parmi les plus sacrés, c’est ici, sur les rives matinales et embrumées du lac de l’Ouest, que vous goûterez le mieux une autre tradition séculaire : celle du tai-chi-chuan, cet art martial qui stimule l’énergie vitale de ceux qui le pratiquent. Dès l’aube, des milliers d’initiés s’appliquent seuls ou en groupes, en un singulier ballet. Vous rêvez d’être initié ? Nul endroit n’y sera plus favorable. Après le tumulte épuisant de Shanghai, vous en repartirez empli d’une énergie toute neuve.

Par Philippe Camillara

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