A l’affiche de la sulfureuse pièce La Vénus à la fourrure, Marie Gillain vient de fêter ses 40 ans avec le feu au ventre. L’occasion d’évoquer ses rôles, ses envies et ses moteurs, mais aussi son engagement pour les enfants via l’association Plan Belgique.

Le théâtre est loin de constituer une étape hasardeuse du parcours de Marie Gillain. Enfant, quand elle rêve de devenir comédienne, c’est avant tout aux planches qu’elle songe. Et même si le cinéma la happe dès l’âge de 16 ans, elle s’aventure vers sa première scène dès 1995 en se jetant corps et âme dans la peau d’Anne Frank. La jolie Liégeoise a alors 20 ans, mais surtout, elle a déjà tout : le charme insolent de ces actrices qui jouent par pur plaisir, une nomination aux Césars (pour Mon père, ce héros), un tournage avec Monsieur Bertrand Tavernier (L’appât) et une force de caractère capable d’ouvrir n’importe quelle porte. Elle retrouve le rideau rouge en 2002 grâce à Hysteria, pièce mise en scène par John Malkovich. Puis, l’année dernière, arrive le rôle qu’elle attendait secrètement : celui de Wanda, personnage sulfureux sorti du roman non moins torride La Vénus à la fourrure. OEuvre phare de Sacher-Masoch – dont le nom, associé à celui de Sade, a donné naissance au terme de sadomasochisme -, cette histoire d’auteur en quête de la femme érotico-idéale offrait, en avril dernier, un Molière à Marie Gillain. Quelques semaines plus tard, elle fêtait ses 40 ans, acceptant de nous rencontrer pour évoquer cette sorte de  » renaissance  » qui ne la rend que plus brûlante et, en même temps, plus sereine.

Le 18 juin dernier, vous avez soufflé vos 40 bougies. En festoyant ou en vous enfermant chez vous pour oublier ?

J’ai fêté ça dans la douceur et la joie, en me disant que c’était un joli cap d’émancipation à franchir. Je me sens beaucoup plus sereine aujourd’hui qu’à 30 ans. Et même s’il me reste plein de très belles années devant moi, je trouve que c’est un bon moteur pour se dire  » Les choses que j’ai envie de faire, et bien je vais les faire, et à fond « .

On pourrait considérer que votre rôle dans La Vénus à la fourrure, vu son côté trash, constitue un peu votre crise de la quarantaine…

Oui, mais je ne pense pas que l’âge y soit pour quelque chose. C’est plutôt lié à un moment de vie. Je m’étais toujours dit que, si je revenais au théâtre, ce serait par le biais d’une expérience suffisamment forte pour avoir envie de défendre un texte tous les soirs pendant six mois. Après, j’ai eu la chance extraordinaire que Jérémie Lippmann pense à moi pour ce rôle totalement barge. J’ai retrouvé le plaisir de la scène, un plaisir fou. Les gens qui me connaissent savent que j’ai beaucoup de fantaisie en moi, que j’aime passer du noir au blanc. Ce personnage de Wanda, il offre plein de choses : profondeur, humour, puissance émotionnelle, folie, sensualité… Pour une actrice, c’est le pied. Et c’est tellement rare que ça ne se refuse pas.

Le théâtre, pour vous, serait-il plus épanouissant que le cinéma ?

Disons que pour une actrice, c’est peut-être un art plus complet. Il y a un travail de corps, de gestuelle, de prise d’espace, de voix… Même si on se met au service du metteur en scène, une fois que le rideau s’ouvre, cette scène n’appartient plus qu’aux comédiens. Après, il y a cette fameuse magie de l’instant, lorsqu’il y a une symbiose totale entre le texte, le partenaire et le public. Cela procure un sentiment de liberté totale. Alors, bien sûr, quand il faut jouer la pièce 160 fois, il y a un côté épuisant, voire aliénant, avec des moments où on jubile et d’autres où on a presque l’impression de régresser. Mais justement, c’est aussi cela la force du théâtre : on se sent vraiment acteur, car c’est un dur labeur et qu’on libère des émotions de façon un peu moins pudique qu’au cinéma.

Avec le recul, devenir célèbre à 16 ans, c’était un cadeau ou un fardeau ?

C’est mon petit sac de cailloux à moi, avec ce que cela comporte de merveilleux et de perturbant. Mon rêve était d’être actrice, et la chance a fait que cela s’est réalisé très vite. Mais c’est vrai qu’à l’époque, je me suis quand même dit :  » Maintenant que j’ai déjà eu accès à mes rêves, à quoi va ressembler ma vie ?  » Après, mon parcours m’a gâtée, mais j’ai appuyé un peu sur le frein pour calmer le rythme endiablé de mes débuts. Je me suis concentrée davantage sur ma vie, j’ai eu deux enfants et je n’éprouvais plus ce besoin frénétique de jouer à tout prix.

Êtes-vous du genre angoissée ?

J’ai des moments de doute, surtout. Mais en tant qu’actrice, cela permet d’avoir accès à des émotions. Et je pense que j’ai hérité d’une force : être à la fois fragile et vulnérable, mais toujours trouver la manière de remonter en selle quoi qu’il arrive.

Jusqu’ici, sur une petite trentaine de films, vous n’avez tourné qu’avec un seul réalisateur belge : c’était le film Marie, en 1994… Pourquoi donc le plat pays passe-t-il à côté de vous ?

Et encore : le réalisateur, Marian Handwerker, était à moitié russe ! Mais je ne sais pas… J’imagine que c’est dû à mon parcours. Comme j’ai décroché le succès en France et que je suis partie habiter là-bas assez tôt, on m’a peut-être rangée dans la catégorie des  » actrices françaises « . Mais je ne désespère pas, car je revendique profondément ma belgitude. Je suis hyper fan de Bouli Lanners et de son Eldorado, j’adore les films de Felix Van Groeningen (La merditude des choses, Alabama Monroe). Et je vais un jour arrêter de le dire, mais pour moi, les frères Dardenne font un boulot remarquable. En tant que Liégeois, je me dis qu’on finira bien par se croiser un jour quelque part…

Vous avez joué pas mal de personnages assez complexes, l’air de rien, même si le public n’a pas toujours suivi…

Oui, c’est vrai… Surtout ces dernières années. Que ce soit dans Fragile(s) (2007), Toutes nos envies (2011) ou Landes (2013), j’ai incarné des femmes qui, chacune à leur manière, étaient en route vers une nouvelle émancipation ou en quête d’un certain équilibre. Et j’ai envie de continuer sur cette lancée, car cette forme d’engagement symbolise exactement le cinéma que j’aime. Je suis une grande admiratrice des films de Ken Loach, par exemple, où l’on croise des gens qui cherchent leur place, se battent ou tentent de survivre. Des personnages qui trouvent en eux la force d’aller toujours de l’avant malgré la violence du contexte social qui les entoure.

Le jour où vos deux filles, Dune (11 ans) et Vega (5 ans), veulent devenir comédiennes et vous demandent un seul conseil, qu’est-ce que vous leur dites ?

D’entreprendre, de se bouger, d’aller de l’avant et de ne surtout pas perdre de temps. D’abord parce que la vie est courte, ensuite parce que dans ce métier, il n’y a pas beaucoup de femmes qui se révèlent après 35 ans… Hélas, ça reste la réalité.

Depuis 2008, vous êtes l’une des ambassadrices de Plan Belgique, qui agit pour les enfants vulnérables du sud de la planète. Une autre manière de réveiller les consciences…

On vit à une époque un peu paradoxale. D’un côté, j’ai l’impression que l’individualisme continue à triompher. De l’autre, je sens qu’il y a de plus en plus de résistance par rapport à cela, que les gens sont en train de sortir de leur petit cocon afin de faire des choses pour et avec les autres. Moi, en tant que comédienne, je trouve que cela a d’autant plus de sens de donner un coup de pouce. Je sers un peu de moteur, en sachant d’ailleurs que, moi-même, j’ai parfois besoin qu’on réveille ma conscience.

Protéger les enfants, cela paraît une évidence. N’y a-t-il pas un côté révoltant à devoir encore insister sur les  » banalités  » ?

Oui. Tout comme je pourrais dire  » En tant que mère, je me sens particulièrement concernée « . Mais l’important, je crois, c’est surtout de voir tout ce que Plan entreprend sur le terrain. Ce n’est pas uniquement un travail caritatif, mais une intervention avec les populations et, donc, les enfants eux-mêmes, notamment via des ateliers théâtraux pour libérer la parole. Quand on voit tout cela, on ne pense plus aux évidences, on constate simplement tout ce qui peut se faire au-delà des campagnes, des mots ou des discours qui, aussi forts soient-ils, sont aujourd’hui noyés parmi un flot d’autres messages…

Justement, en parlant de choses concrètes, Plan soutient le film Difret, produit par Angelina Jolie, qui évoque les mariages forcés en Ethiopie. Un sujet particulièrement délicat.

C’est même un électrochoc émotionnel, quand on voit ces jeunes filles qui sont enlevées par les hommes alors qu’elles ne sont prêtes ni physiquement ni mentalement à devenir des femmes. Cela en raison de traditions ancestrales ancrées dans la société. L’histoire racontée dans le film a permis de faire changer un peu les choses, mais le combat est loin d’être gagné. Pour moi, le cinéma reste d’autant plus important. Le vecteur de l’image permet de donner accès à une réalité insoupçonnée. Dans Difret, on arrive dans le quotidien de ces jeunes filles qui souffrent. Non pas pour nous faire culpabiliser, mais pour nous montrer une autre culture. Comme le film Hope, qui évoque le sort des migrants africains fuyant vers l’Europe, c’est aussi une manière d’ouvrir une fenêtre sur le monde, de le comprendre et de relativiser notre quotidien à nous…

Brochures et soutien à Plan Belgique : www.planbelgique.be

La Vénus à la fourrure, entre autres le 14 octobre au Centre culturel de Huy ; du 15 au 18 octobre, à Wolubilis (Bruxelles); et le 24 novembre, au Grand Théâtre de Verviers. www.acte2.be, www.wolubilis.be et www.ccrv.be

PAR NICOLAS BALMET

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