Certains le craignent, d’autres y voient le sel de la vie. Le changement serait-il la clé du bonheur ? C’est en tout cas l’avis du Pr Michel Lejoyeux, psychiatre spécialisé dans les conduites addictives, qui signe Changer… en mieux (Plon). Entretien, à l’heure des bonnes résolutions pour 2012.

On a tous cela dans un coin de la tête. Changer. De boulot. De vie. De perspectives. D’habitudes. Certains y pensent et puis oublient. D’autres en ont fait leur hygiène de vie. Dans une société qui nous enjoint à l’action permanente pour fuir l’ennui qui guette, la notion est pourtant à double tranchant. Synonyme d’audace, d’optimisme, d’élan pour les uns, elle peut rimer avec instabilité, précarité et absence de construction pour d’autres. Entre immobilisme et prise de risque inconsidérée, la balance n’est pas toujours facile à équilibrer. Et pourtant, un juste milieu existe. C’est la conviction du Pr Michel Lejoyeux, psychiatre spécialisé en addictologie, chef de service à l’hôpital Bichat et au centre hospitalier Maison-Blanche, à Paris. Pour nous en convaincre, il a rédigé un véritable plaidoyer en faveur du changement,  » arme ultime de la résilience « , selon lui. Un pied de nez aux  » sorciers du destin qui nous lancent des sorts « . Changer, mode d’emploi.

Comment définissez-vous le changement ?

C’est une notion facilement intelligible mais plus difficile à définir ! Ses manifestations les plus spectaculaires sont extérieures, toutefois les seuls vrais changements relèvent de l’intime. Ils concernent les opinions, les passions, les états d’âme, les sentiments. Parfois ils sont si infimes et progressifs qu’ils échappent à notre perception. Ils peuvent être soudains ou prolongés, mais ils répondent toujours aux évolutions mystérieuses de notre cerveau.

Vous travaillez avec des personnes soumises à des addictions diverses ; est-ce ce qui vous a décidé à écrire ce livre ?

Lorsque l’on travaille avec des addicts, on s’aperçoit vite qu’ils ont une phobie de l’interruption. Les personnes dépendantes à l’alcool, au tabac ou à leurs émotions me disent bien souvent :  » Je ne m’en sors pas, mais je préfère rester comme ça « , avec l’idée que rien d’autre n’est possible. Au fond, le paradigme de toute thérapie est d’inculquer l’idée qu’une évolution est possible, que le plaisir n’est pas seulement dans la répétition. Plus généralement, nous sommes nombreux, dans la vie, à avoir une position très défensive face à la nouveauté, comme si elle était facteur de peur. Il y a un hiatus entre le mouvement perpétuel de la vie (notre corps évolue, tout comme notre vie de couple et de famille, notre relation au travail ou nos convictions politiques) et notre incapacité de changer. Or, pour moi, le moteur de la résilience ou du bien-être, c’est l’aptitude au changement. Il faut accepter l’idée que le mouvement est positif et que le refuser nous rend anxieux, pessimiste, malade. Il faut parvenir à lever ce frein qui est en nous.

Sa possibilité même est vécue de façon paradoxale…

Nous l’acceptons en théorie, mais de là à renoncer à nos rituels et à notre routineà De plus, la société attend de nous que l’on soit à la fois fidèle et aventurier, créatif et répétitif, régulier et original, perméable aux évolutions et attaché à ses principes. Des injonctions paradoxales qui ne sont pas toujours faciles à suivre.

La personnalité de chacun fait-elle toute la différence ?

Certains sont des chercheurs de nouveauté, ils goûtent les sensations fortes, l’aventure, le frisson. Ceux-là aiment le changement. À l’opposé, il y a les chercheurs de routine, ceux qui ont peur de leurs émotions et qui, d’une certaine manière, s’anesthésient dans l’habitude, en ne s’exposant jamais au risque, à l’accident. Certains masquent aussi leur peur du changement par une bougeotte permanente. Prenez les Don Juan, par exemple. Ce sont des routiniers. Le couple vous changera beaucoup plus qu’une succession d’aventures sans lendemain.

D’ailleurs, vous qualifiez l’habitude, qui peut paraître si rassurante, de faux ami.

La répétition doit se faire par plaisir et non par contrainte. Certains s’abritent derrière leurs habitudes, car ils n’ont pas la motivation de changer. Ils disent :  » J’ai toujours été comme ça, c’est ma nature, on ne se refait pas « , dans une sorte de fatalisme biologico-psychologique. Il existe aussi des profils dits anankastiques. Ce sont des personnalités routinières, qui ont peur de la nouveauté, qui sont toujours en proie au doute, à une prudence excessive. Ils ont besoin de maîtriser, de programmer, de ranger, de s’organiser. Ils trouvent leur érotisation dans le contrôle. Il faut essayer de faire passer à ces personnes l’idée que le plaisir est aussi dans l’imprévu et le lâcher-prise.

Outre le plaisir que ferait naître l’imprévu, que nous apporte-t-il d’autre ?

De l’étonnement, de la surprise, de l’ouverture. Le plaisir s’émousse un peu avec la répétition, surtout si celle-ci est anxieuse et défensive. Le changement est la condition du bonheur parce qu’il nous permet de nous adapter aux crises. Savoir supporter son éventualité est fondamental. Cela nous rend moins inquiet et pessimiste, moins accroché à des situations par essence mouvantes. Les adeptes du changement acceptent la nature imprévisible des événements ; ils savent que la légèreté, la liberté du destin sont les secrets de son charme.

Pour ce faire, vous prônez une manière de procéder par petites touches, assez impressionniste.

Nous sommes malheureusement pris dans une pensée absolutiste qui nous fait dire :  » Si je change, ce sera la révolution.  » Raisonner en tout ou rien ne permet d’envisager le changement que sous une forme catastrophique. Or nous avons besoin de faire de petits accommodements pour éviter les vraies crises. À l’origine, je voulais appeler mon livre Apprendre à changer pour éviter les crises. Car, au fond, l’idée centrale est : si on ne tolère pas les petits changements dans son travail ou sa vie de couple, on va tout droit vers des crises graves.

À l’inverse, le changement est-il nécessairement positif ?

Bien sûr que non. Le drame, aujourd’hui, c’est qu’il est couramment vécu comme contraint. La notion a été récupérée et pervertie par le productivisme et le management excessif. Dans le monde de l’entreprise, lorsqu’il est annoncé, il est la plupart du temps perçu comme une catastrophe, avec, à la clé, un plan social, une restructuration, un durcissement des conditions de travail. Ce qui est bien souvent le cas. C’est pour cela qu’il a mauvaise presse. En réalité, le changement doit être choisi. Certains ne changeront peut-être jamais rien dans leur vie, ils exerceront toujours le même travail, partiront toujours au même endroit en vacances. Parce qu’ils en auront décidé ainsi. L’essentiel est de pouvoir se poser la question et d’être bien sûr que ce refus du changement n’est pas imposé par la peur de la nouveauté.

Finalement, faut-il agir concrètement pour évoluer au fond ?

Nous sommes déterminés par notre passé, nos souvenirs, et l’envie ou le besoin de répéter des expériences qui nous ont plu ou émus. Mais on peut, pas à pas, s’opposer aux freins psychologiques et biologiques, individuels et sociaux qui nous figent dans une peur de l’avenir et dans une répétition perpétuelle d’un présent ressemblant au passé. Cela en accomplissant des choses très concrètes. Pour paraphraser Cocteau parlant d’amour :  » Il n’y a pas de changements, il n’y a que des preuves de changement.  » Il n’y a que des expériences pratiques de changement.

PAR ÉMILIE DYCKE

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