L’été, les notes hespéridées, le vert du galbanum et les senteurs propres de coton repassé nous font tourner la tête. Plongées en eaux fraîches.

En parfumerie, ces notes-là claquent comme un éclat de rire. Des accords frais qui vous réveillent le nez et que l’on prend souvent, à tort, pour de petits plaisirs faciles auxquels on cède le temps d’un été.  » Réussir une fraîcheur qui diffuse, qui laisse une trace, c’est ce qu’il y a de plus difficile en parfumerie, assure Sylvaine Delacourte, directrice du développement des parfums chez Guerlain. Une fraîcheur qui  » tient « , c’est par essence contre nature. Il est beaucoup plus aisé de travailler des notes chyprées, boisées, orientales. Les plus belles prises de tête des parfumeurs, c’est souvent aux envies de frais qu’on les doit.  » Et cette quête du jus parfait ne date pas d’hier, la première eau de Cologne ayant été crée en 1709 par le parfumeur italien Jean-Marie Farina.

Pour beaucoup, ce sont encore et toujours des références d’agrumes qui viennent à l’esprit lorsque l’on parle de fraîcheur. Ainsi, la bergamote et le citron arrivent toujours en tête de la version fraîche de L’Eau de Rochas, qui célèbre cette année ses 40 ans. Et lorsque Marc Jacobs revisite Daisy, son best-seller, le temps d’une édition limitée baptisée In the Air, il le frappe d’un soupçon de pamplemousse rose.

 » Je crois qu’il y a autant d’idées de la fraîcheur qu’il y a d’individus « , sourit Anne-Pascale Mathy-Devalck, créatrice de l’Antichambre. Dans sa boutique de la place Brugmann, à Bruxelles, la jeune femme élabore pour ses clients avides d’exclusivités des fragrances personnalisées construites autour d’une trentaine de formules élaborées à Grasse, la capitale mondiale du parfum.  » Si vous êtes en quête d’une odeur – celle d’un parfum perdu, d’un jardin, d’un souvenir d’enfant, cela va bien au-delà des modes et des saisons, poursuit-elle. Les accros au patchouli le porteront même par 40 °C. Les inconditionnels des jus frais ne jurent que par eux même en plein hiver. Les parfums réveillent la mémoire, les émotions. Les notes fraîches, joyeuses agissent comme des antidépresseurs. L’odeur du linge propre nous rassure, car elle évoque aussi la sécurité de l’enfance. « 

Grâce à leur apparente simplicité, les parfums frais – le très féminin Flora Nymphea, nouveau venu de la collection des Aqua Allegoria de Guerlain en est un bel exemple – apparaissent aussi comme une belle porte d’entrée vers la parfumerie plus complexe.  » C’est un peu comme le vin, détaille Sylvaine Delacourte. On commence par aimer le chablis avant d’aller vers les bordeaux. « 

Les  » sent-bon  » comme aime à les appeler Jacques Polge, parfumeur de la maison Chanel, restent une belle récréation. Un moyen délicieux de sentir l’air du tempsà qui semble de plus en plus féru de notes vertes. En moins d’un an, le galbanum, vieillot hier, est devenu  » la  » matière première en vogue chez les nez. Quant au muguet, fleur fétiche de Christian Dior, il signe aussi son grand retour dans une sublime réédition de Diorissimo, orchestrée par François Demachy.  » Le vert, c’est mon tic, j’en mets partout « , confesse Thierry Wasser à qui l’on doit la très élégante Cologne du Parfumeur de Guerlain rêvée comme  » un grand classique avec un twist moderne « .

Un twist qui, en 2010, prend assurément des accents du musc blanc,  » le nouveau référent en matière d’odeur de propreté « , comme le précisait le nez des parfums Hermès Jean-Claude Ellena lors de la sortie de son Eau (très musquée) de Gentiane Blanche. Le frais de demain, si l’on en croit les  » non-parfums  » signés Serge Lutens ou Francis Kurkdjian, sentira la lessive et le fer à repasser. Une idée très urbaine de la pureté.

La fraîcheur hespéridée.

Indémodables – de nouveaux jus complètent chaque année une liste déjà interminable de classiques -, ces parfums traitent les agrumes en majesté. Dernier-né de la gamme Blu Mediterraneo, le Bergamotto di Calabra d’Acqua di Parma (2.) voit ses notes vertes et pétillantes de bergamote réveillées par le bois de cèdre et le gingembre rouge. Premier d’une série de voyages signés François Demachy pour Dior, Escale à Portofino (1.) revisite l’accord floral-zesté en poussant d’avantage le néroli. Une fleur d’oranger qui domine aussi dans le plus  » cologne  » des parfums Tom Ford, Neroli Portofino (3.).

La fraîcheur fleurie.

Ajouter de la fleur dans une fragrance, c’est forcément en accentuer la sensualité, le côté yin de la fragrance, comme l’a fait Thierry Wasser en donnant à son Aqua Allegoria ( lire page 40) des accents dorés de miel et de seringa. Dans Ô d’Azur (1.) – la petite s£ur du classique de Lancôme – c’est la pivoine qui remplit ce rôle. Elle aussi que l’on charge, avec le jasmin et la rose, d’arrondir le très vert A Scent d’Issey Miyake (2.) dans sa nouvelle version florale.

La fraîcheur marine.

Le standard des nineties dopé aux notes de synthèse iodées. Il reste synonyme d’Eau d’Issey (1.), de Kenzo pour Homme ou encore de Cool Water de Davidoff (2.). Une fraîcheur océane, mâtinée de concombre et de lavande, à redécouvrir dans la version Aqua d’Eternity for Men de Calvin Klein (3.).

La fraîcheur verte.

Incontestablement dans l’air du temps, elle doit beaucoup de son succès au grand retour du galbanum, cette gomme résineuse qui sent bon le petit pois tout juste écossé. On le retrouve  » encensé  » dans (Untitled), le tout premier parfum de Maison Martin Margiela (1.), ou teinté de feuilles de figuier et de lavande dans le très élégant Ninfeo Mio d’Annick Goutal (3.). L’accord chèvrefeuille, signature olfactive de Cristalle de Chanel (4.), est réveillé par l’odeur citronnée, jasminée du magnolia dans la version Eau Verte créée par Jacques Polge. Quant à La Cologne du Parfumeur signée Thierry Wasser pour Guerlain (2.), ses notes particulièrement vertes de fleurs d’oranger sont encore rafraîchies par une pointe de menthe et de romarin.

La fraîcheur aromatique.

Impossible de ne pas évoquer le classique d’un genre en passe de revenir en vogue. En ajoutant à la lavande et au basilic d’origine une pointe de menthe et de jasmin, François Demachy apporte à l’Eau Sauvage de Dior (2.) désormais Extrême une touche de douceur singulière. Le romarin et la coriandre viennent, quant à eux, relever la pomme verte du Splash Apple de Marc Jacobs (4.) tandis que la menthe que l’on retrouve dans le nouveau Guerlain Homme L’Eau fait aussi frissonner le duo patchouli-vanille de Roadster de Cartier (1.) et réveille les notes végétales et marines du très féminin Aqua di Gioia de Giorgio Armani (3.).

La fraîcheur propre.

Le nouveau snobisme du moment – tous les grands parfumeurs s’y frottentà – est qualifié par ses détracteurs de  » tendance Soupline « . Pour construire son Eau (1.) qu’il a rebaptisée anti-parfum, Serge Lutens jongle avec des zestes d’agrumes, des pétales blancs de magnolia, de la sauge aussi. L’Aqua Universalis (2.), véritable signature olfactive de la toute nouvelle Maison Francis Kurkdjian, tourne autour d’un accord de musc poudré, aldéhydé, presque métallique. Un accent que l’on retrouve aussi dans L’Heure Brillante de Cartier (3.), urbain et électrique.

La fraîcheur épicée.

Avec ses notes de coriandre russe, de cardamome du Guatemala, de gingembre et de poivre indonésien tissées sur fond d’immortelle, la Cologne du 68 de Guerlain (3.) démontre que, contrairement aux idées reçues, un cocktail d’épices bien dosées peut apporter de la fraîcheur. Du gingembre qui fera aussi tinter le tout nouveau et très attendu Bleu de Chanel (4.). Alors que le poivre rose arrive en tête de l’Eau Fraîche au Masculin de Lolita Lempicka (2.), Jean-Claude Ellena choisit lui aussi d’épicer son Angéliques sous la Pluie (1.), créé pour Frédéric Malle, de grains de baies roses toniques et scintillants.

Par Isabelle Willot

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