L’amitié entre hommes est aussi vieille que le monde, ou presque. Mais un nouveau type de lien social semble faire son apparition : la  » bromance « , une relation beaucoup plus intime… à l’image de celles que peuvent entretenir les filles entre elles.

Observant le lien unique et fraternel qui unit les skateurs, Dave Carnie, éditeur du magazine spécialisé dans la discipline Big Brother, utilise pour la première fois le terme  » bromance « , contraction de  » brother  » et  » romance « , au milieu des années 90. Cette amitié très intense entre mecs se distingue par la place qu’elle laisse aux émotions profondes. Ouvrir son coeur à un alter ego n’est désormais plus l’apanage des filles. Pendant près de dix ans, le concept passe pourtant inaperçu. Jusqu’à ce que Hollywood se mette à produire des films illustrant ces liens masculins intimes – 40 ans, toujours puceau (2005), Serial noceurs (2005)ou encore Zoolander (2001).

Le terme fait alors enfin son entrée dans les médias… mais continue néanmoins à faire sourire certains. Ainsi, lorsque le groupe britannique Elbow sort en 2008 le morceau Friend of Ours, évoquant un copain du groupe décédé inopinément, le chanteur Guy Garvey est contraint de se  » justifier  » quant à l’utilisation du terme  » amour « . Le morceau se termine en effet par la phrase  » love you mate « , soulevant ainsi des questionnements.  » On m’a un jour fait remarquer qu’il était inhabituel d’écrire de cette façon. Je n’en étais absolument pas conscient, racontera-t-il au magazine de musique Q. Ses potes, on les aime non ?  » S’il a certainement raison, cette façon de s’exprimer traduit néanmoins une vision qui, au XXIe siècle, en perturbe toujours plus d’un.  » Les hommes qui entretiennent ce genre d’intimité restent une exception, note Mark Nelissen, professeur émérite en biologie comportementale. Les femmes ont généralement un côté plus sociable alors que leurs moitiés s’intéressent davantage aux différences de statut. L’argent, une grosse voiture ou un titre particulier ont plus d’importance à leurs yeux. Ce comportement dominant a trait au fait que ceux qui avaient autrefois un rang plus élevé avaient plus de chances d’avoir une descendance. Les filles n’avaient pas besoin de cela car il y avait toujours des hommes prêts à les féconder. Par conséquent, l’amitié féminine est affective ; la masculine, plutôt fonctionnelle. En d’autres termes, la bromance est un système féminin qui a trouvé sa place dans un modèle de comportement masculin.  » Et selon l’expert, cette évolution serait avant tout influencée par la culture.  » Auparavant, parler de ses sentiments pour un homme était perçu comme un recul du statut, justifie-t-il. Un dépressif était considéré par ses pairs comme moins appréciable. Résultat : on ne l’avouait pas. Aujourd’hui, pleurer ou s’émouvoir, quel que soit le sexe, est plus banal.  »

DE HARRY POTTER À OBAMA

Si la bromance est progressivement acceptée, c’est aussi grâce aux people qui ne cachent plus leurs atomes crochus. Les acteurs Ben Affleck et Matt Damon sont souvent considérés comme les pionniers du genre dans l’univers du show-business, tout comme Chris Pine et Zachary Quinto, alias James Kirk et Spock dans le film Star Trek. Quant à George Clooney et Brad Pitt, certains s’amusent parfois à dire qu’il s’agit là de la plus longue histoire d’amour du volage docteur Ross. Et que dire du binôme formé par Frodo et Sam dans Le Seigneur des Anneaux de Tolkien ; ou même du tandem de Nick et Jay dans Gatsby le Magnifique ? Des liens qui tantôt se tissent à l’écran, tantôt en coulisses, et que l’on retrouve aussi dans le cinéma français. On ne peut évidemment pas passer à côté des inénarrables précurseurs que furent Bourvil et Louis de Funès, dans Le corniaud ou La grande vadrouille… Mais on pointera également des opus plus récents tels que Les gamins (2013), avec Max Boublil et Alain Chabat campant un jeune gars et son ex-futur beau-père devenus complices sans concessions ; ou encore Les deux amis (2015) de Louis Garrel, racontant les mésaventures des deux compères unissant leurs forces pour séduire une fille.

Et la télévision n’est pas en reste. Dans la série Dr House, l’insupportable médecin n’a qu’un seul pote – son collègue, le docteur Robert Sean – mais qui compte plus que tout. Quant à Sherlock Holmes, interprété par Benedict Cumberbatch, il entretient avec le Dr Watson une relation sujette aux spéculations. Si les deux personnages sont particulièrement proches, on ne peut pas pour autant parler de lien homo-érotique, même si les auteurs de la série ont toujours fait des allusions subtiles quant à l’homosexualité présumée du détective. Même Walter White et Jesse Pinkman de Breaking Bad font partie du club – dans le dernier épisode, le premier, lourdement blessé, sauve la vie du second. Mais le meilleur exemple de bromance est sans aucun doute celle qui unit Joey et Chandler dans Friends. Ils sont comme des frères l’un pour l’autre et on distingue même par moments une once d’amour paternel chez le second.

Le phénomène touche également la sphère politique. Ainsi, ce qui rattachait George W. Bush à son secrétaire de presse Scott McClellan, fut décrit par un critique du livre What happened comme une  » longue et infructueuse bromance « . Il existerait également une sorte de lien indéfectible entre Barack Obama et Narendra Modi – même s’il s’agit plutôt d’une version  » allégée  » de la tendance. Lorsque le Premier ministre indien a rejoint la liste des personnes les plus influentes dressée par le Time, le Président américain s’est empressé d’écrire une véritable ode à son homologue du bout du monde.

COUSINS DE CoeUR

Mais pourquoi, en 2016, certains hommes se considèrent-ils comme des frères ? L’explication serait d’origine génétique.  » Les chances d’avoir avec ses amis proches une correspondance au niveau de l’ADN comparable à des parents éloignés sont élevées, souligne Mark Nelissen. Dans une certaine mesure, on peut être génétiquement lié à un ami car nous choisissons inconsciemment des personnes qui nous ressemblent. On les reconnaît de la même manière que l’on repèrerait ses cousins. On perçoit également assez rapidement lorsque quelqu’un peut devenir proche. On a le sentiment que l’on est sur la même longueur d’ondes. Même si ce n’est pas nécessairement toujours vrai, puisqu’il arrive que des opposés s’attirent. Nous ignorons la façon dont le mécanisme fonctionne précisément. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut revoir une personne à plusieurs reprises pour savoir si celle-ci pourrait devenir intime ou pas.  »

Mark Nelissen reste néanmoins assez prudent sur les bienfaits de la bromance car, pour lui, elle n’est pas complètement gratuite.  » Nos gènes ont été créés il y a des millions d’années dans un système social qui est longtemps resté stable. Nous vivions dans des groupes comptant plusieurs dizaines de personnes et dont l’objectif était d’être le plus fort possible pour pouvoir se protéger mutuellement. Parallèlement, se créait une alliance entre hommes puisque ceux-ci étaient amenés à collaborer pour partir à la chasse, à la guerre ou même pour trouver une partenaire. La véritable amitié implique de pouvoir avoir une confiance aveugle en l’autre et repose donc sur l’idée de recevoir quelque chose en échange. L’amitié totalement désintéressée n’existe donc pas.  » Dans un article du Guardian, un journaliste énumérait d’ailleurs les conditions à satisfaire pour pouvoir donner une vraie chance à une bromance. En premier lieu :  » Payer à temps sa tournée au bar « , suivi de près par  » Etre prudent lorsqu’on commente la petite amie/l’épouse/l’ex-femme de l’autre et que l’on affirme inlassablement que celle-ci est intelligente/jolie/sympa « …

D’autre part, le professeur estime que, puisque la bromance a pour but d’optimaliser la collaboration entre deux êtres humains, ce n’est plus tout à fait nécessaire à une époque où les hommes se rencontrent plutôt au café ou à la salle de sport et ne sont plus amener à oeuvrer réellement ensemble.  » Cela étant dit, ce lien puissant est quand même positif dans le sens où, si les hommes se sentent bien avec ce sentiment et que cela les rend plus heureux, la société fonctionnera mieux. Et puis, entretenir des amitiés fortes est une façon de garder la santé : selon des études déjà réalisées, être entouré d’amis permettrait de vivre plus sainement « , conclut l’expert qui ne croit toutefois pas que le phénomène perdurera dans le temps.  » C’est un comportement qui est déterminé par des changements culturels et notre culture sera tout à fait différente d’ici un siècle. Il y a de grandes chances pour les choses soient déjà tout autres d’ici une dizaine d’années.  »

PAR MICHAËL DE MOOR

 » LES CHANCES D’AVOIR AVEC SES AMIS PROCHES UNE CORRESPONDANCE AU NIVEAU DE L’ADN COMPARABLE À DES PARENTS ÉLOIGNÉS SONT ÉLEVÉES.  »

 » ENTRETENIR DES AMITIÉS FORTES EST UNE FAÇON DE GARDER LA SANTÉ.  »

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