Valeur sûre de la scène française, étienne Daho traverse les modes avec une élégance rare. En exclusivité pour notre magazine, l’éternel jeune homme a accepté de jouer au mannequin d’un jour et de parler de l’amour, de son fils, de son père… Confidences.

(1) Etienne Daho en concert le 23 juin prochain à Forest-National (Bruxelles). Réservations : 0900 260 60.

A quelques semaines de son escale bruxelloise où il viendra défendre avec panache  » Réévolution « , son dernier album en date sorti chez Virgin (1), Etienne Daho nous a fait une surprise de taille. En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, l’infatigable quadra a, en effet, accepté de mettre momentanément sa carrière entre parenthèses pour venir poser à Bruxelles, l’espace d’une journée, sous les feux d’une séance de mode organisée par nos soins. Beau joueur, il s’est prêté au thème vestimentaire du noir et blanc, avant de répondre à nos questions en toute décontraction. Gros plan sur un homme foncièrement attachant.

Weekend Le Vif/L’Express : Quels rapports entretenez-vous avec la mode ?

Etienne Daho : Le monde de la mode ne me passionne pas particulièrement, mais j’éprouve beaucoup de respect à l’égard de certains créateurs. Il y a des vêtements dans lesquels on se sent bien et d’autres pas. Et de temps en temps, il y a un créateur qui est  » à soi « . Le vêtement correspond parfaitement, on n’a pas besoin de retouches. C’est le rêve : avoir un vêtement qui vous ressemble, un vêtement qui est  » vous « . Pendant très longtemps, je me suis habillé en Paul Smith parce qu’il s’agit d’un créateur dont j’aime beaucoup la personnalité, mais aujourd’hui je me sens très bien dans les silhouettes de Hedi Slimane ( NDLR : lire à ce propos l’interview du directeur artistique de Dior Homme en page 26). J’aime aussi d’autres créateurs comme Helmut Lang, Karl Lagerfeld, Xavier Delcour ou Dries Van Noten, mais chaque fois que j’essaie un vêtement de Hedi Slimane, je me trouve bien dedans. Cela me va tout de suite. C’est comme si c’était fait pour moi. C’est assez impressionnant…

Vous étiez d’ailleurs présent au dernier défilé de Dior Homme et Hedi Slimane m’a dit à votre sujet :  » Nous sommes très très très amis « …

C’est exact. C’est une amitié qui remonte à quelques années seulement, mais on a l’impression qu’on se connaît depuis toujours. Je le considère vraiment comme mon frère. C’est comme un jumeau. On se comprend assez vite sans se parler. Je sais tout de suite dans quel état d’esprit il se trouve et je pense que c’est réciproque. Et puis, les mêmes choses nous font rire. Il y a une vraie complicité. D’ailleurs, il a écouté les chansons de mon dernier album avant tout le monde. Il est assez fan et il a été très encourageant. Donc, ma présence à son dernier défilé était surtout un signe d’amitié, mais aussi un signe d’intérêt pour ce qu’il fait en tant qu’artiste.

La mode fait-elle partie de vos armes de séduction ?

Non, pas du tout. Je ne sais même pas si j’ai des armes de séduction. Quand on fait un métier comme le mien, on pense d’abord à faire de bonnes chansons et à les enregistrer ensuite en studio. Ce n’est que plus tard que l’on doit les défendre sur scène. A ce moment-là, je ne considère jamais mes vêtements comme d’éventuelles armes de séduction, mais plutôt comme une protection. En fait, quand j’endosse certains vêtements, je peux être plus facilement l’Etienne Daho public, celui qui est un peu plus extraverti. C’est comme une armure…

Mais vous êtes forcément soucieux de votre image ! Pour les pochettes de vos deux derniers albums, vous avez choisi deux très grands photographes de mode, Inez van Lamsweerde et Nick Knight…

Pourquoi ne prendrais-je pas le top ( rires) ? Non, c’est vrai que j’aime les images et donc je fais attention aux photos de mes pochettes. C’est parce que j’aime surtout envoyer une image qui correspond à ce que la musique véhicule. Mais à part ça, je ne m’en soucie pas particulièrement…

L’angoisse de ne plus séduire vous habite-t-elle ?

Non, pas du tout. Ce n’est pas une obsession. Je n’ai pas la sensation d’être physiquement mieux que la plupart des gens que je vois, mais j’ai été suffisamment courtisé pour ne pas avoir cette angoisse…

Il faut dire que le mythe de l’éternel jeune homme revient toujours lorsqu’on évoque votre nom…

Je pense que je vis comme un petit jeune homme. Ça, c’est clair. Mais je crois que tout ça est très lié à la musique. Parce que la musique fait que je sors constamment pour aller écouter de nouveaux artistes et de nouveaux groupes dans des bars ou des clubs, la nuit. Je me sens presque plus jeune aujourd’hui que lorsque j’avais 20 ans ! Mais je n’ai pas peur de vieillir. Au contraire ! Parce que, d’abord, j’ai toujours trouvé que les gens plus âgés étaient beaucoup plus séduisants.

Aujourd’hui, vous sentez-vous à l’aise dans votre époque ?

Musicalement, oui. Mais, en même temps, c’est une époque que je n’aime pas, parce que je la trouve vraiment cheap. Tout est basé sur le fric et le pouvoir. Je pense d’ailleurs que l’on vit dans une société tout à fait dépressive. Il suffit d’allumer la télé pour le voir. Pour voir cette vulgarité ambiante. Pour voir des gens se faire humilier en direct. Pour voir des infos où triomphe le show de la souffrance. On fabrique tout. Tout est cheap et factice. C’est abominable. Ce que je vois aujourd’hui me dégoûte. Vraiment.

Cela vaut-il la peine de faire encore des enfants dans ce monde-là ?

Oh, je n’en sais rien ! En tout cas, c’est assez courageux d’en faire ( rires) ! Cela dit, on est dans une période qui est tellement extrême que cela suppose qu’il va forcément y avoir une réaction. C’est le principe même de la dépression : une fois qu’on a touché le fond, on ne peut que remonter.

Mais n’avez-vous jamais songé à être père ?

J’ai un enfant. Il est adulte maintenant. Donc, j’espère qu’il est sorti d’affaire…

Que pensez-vous de cette phrase de Molière :  » Le mariage est le tombeau de l’amour  » ?

Je suis tout à fait d’accord. Enfin, ce n’est pas nécessairement le mariage, c’est plutôt le fait de s’installer et de vivre ensemble au quotidien. C’est impossible pour moi. J’ai besoin d’avoir de la distance avec l’autre et que l’autre prenne ses distances par rapport à moi. J’ai besoin de résister et que l’autre me résiste. J’ai besoin de cette tension et j’ai besoin qu’il y ait aussi du mystère chez l’autre. Moi, je suis pour faire chambre à part et pour retrouver l’autre quand on a chacun vraiment envie de se voir ( rires).

Dans l’une de vos dernières chansons,  » L’inconstant « , vous évoquez votre inaptitude au bonheur. Réalisme ou masochisme ?

C’est du réalisme. Là, je suis vraiment quelqu’un d’heureux, mais il y a des chansons qui font que l’on creuse en soi et que l’on met parfois en lumière ce qui ne va pas bien. Quand on vous pose la question  » Ça va ? », il faut être capable de répondre  » Non, ça ne va pas « . On pense toujours que les gens vont s’éloigner, mais c’est faux. Les gens préfèrent l’honnêteté et c’est déjà gagné de dire ce que l’on ressent vraiment. Moi, j’ai toujours été plutôt bien dans ma vie, mais quand ça n’allait pas, j’ai eu l’honnêteté de communiquer. La dépression, c’est toujours une excellente sonnette d’alarme. On vit toujours cela comme quelque chose de honteux, mais une dépression, ça veut dire :  » Là, il y a un truc à changer dans votre vie « . Et c’est toujours salutaire de trouver une aide pour identifier ce qui ne va pas, le comprendre et s’en débarrasser. Il faut avoir les couilles de le faire ! Moi, j’ai décidé d’être heureux et quand ça ne va pas, j’agis.

Pensez-vous avoir trouvé un hypothétique sens à la vie ?

Oui, je crois. Enfin, je veux parler du sens de ma vie et non du sens de la vie de tout le monde. Le sens de ma vie, c’est de faire absolument ce que je veux quand je le veux, avec évidemment les limites de ne pas faire de mal aux autres. Le sens de ma vie, c’est de reposer sur le principe du plaisir, mais un principe qui n’est pas quelque chose de frivole. C’est un vrai challenge. C’est l’émotion forte. C’est un combat constant. Aujourd’hui, je crois en tout cas que je suis complètement en accord avec ce que j’ai envie de faire et ce que j’ai envie de vivre, tant dans ma vie privée que professionnelle. Avant, j’avais l’impression que je ne pouvais réussir que l’une ou l’autre. Depuis j’ai trouvé un équilibre.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous fait avancer dans ce monde avec lequel vous n’êtes pas toujours en phase ?

Le fait que tout est possible et que l’on peut toujours tout recommencer. J’ai fait une chanson qui s’intitule  » Le premier jour du reste de ta vie « . C’est vraiment ça : savoir que je peux décider, dans deux minutes, que c’est le premier jour du reste de ma vie. Moi, je passe mon temps à éjecter des choses qui ne me conviennent pas. Et il y en a des tas ! On a souvent tendance à baisser la garde, mais il faut sans cesse se remettre debout. Personnellement, je ne laisse jamais rien tomber. Je me relève toujours parce que je sais que ça va forcément aller mieux.

En 1985, vous chantiez  » Tombé pour la France « . Depuis, votre pays vous a élevé au rang de Chevalier de l’Ordre national du Mérite…

Oui, j’ai été très surpris d’avoir cette récompense parce que, en général, on la donne à des gens qui vont au combat ! Mais je vais vous expliquer pourquoi je l’ai acceptée. Moi, je suis né en Algérie et je suis arrivé en France avec ma mère et mes deux s£urs au début des années 1960. Mon père nous avait abandonnés et ma mère a eu beaucoup de mal pour nous élever toute seule parce qu’elle n’avait simplement pas d’argent. Donc, le fait que je sois connu aujourd’hui et que je reçoive ce genre d’honneur, c’est un truc très fort pour elle ! Elle était d’ailleurs folle de joie parce que cette récompense a une valeur symbolique énorme. Je la lui ai donc donnée. D’ailleurs, dès que je reçois la moindre récompense, ça va directement chez elle ( rires) !

Votre célébrité n’a jamais poussé votre père à se manifester ?

Si. Je l’ai vu. Ce n’était pas vraiment mon désir, mais il s’est manifesté quand j’ai commencé à chanter. Pour moi, c’était trop tard. Il est parti quand j’avais plus ou moins 5 ans, dans des conditions qui n’étaient pas très nettes. Donc, je ne lui ai pas vraiment laissé la possibilité de revenir dans ma vie et je le regrette aujourd’hui parce que j’aurais certainement eu des choses à lui dire. Il est décédé il y a une dizaine d’années. Cela a été un choc pour moi parce qu’il était malgré tout une espèce de repère lointain tant qu’il était vivant. Quand il est mort, il y a toute une partie de mon équilibre et de ce que peut représenter un père qui est tombée. Tout d’un coup, c’est un truc qui a explosé. J’ai compris que je l’avais  » raté « .

Aujourd’hui, qu’auriez-vous envie de lui dire?

Je ne sais pas, mais aujourd’hui, je suis beaucoup plus permissif. Avec le recul, je ne vois plus mes parents comme un gamin qui considère que papa et maman forment un tout, mais plutôt comme deux personnes qui ont eu à se démerder avec leurs problèmes de c£ur, de cul et autre. Ce que je sais de mon père aujourd’hui, c’est ce que je suis. En fait, je suis mon père. Mon père était un fêtard, moi aussi. Mon père était quelqu’un qui adorait séduire, je suis comme ça. Il a eu beaucoup d’aventures, moi aussi. Mon père aimait la musique, j’en ai fait mon métier. En plus, je lui ressemble beaucoup physiquement. C’est très étrange. Quand j’étais beaucoup plus jeune, j’ai eu cette espèce de rejet par rapport à mon père parce que j’ai grandi dans la caricature  » C’est le salaud qui a fait du mal à maman !  » Aujourd’hui, je n’ai plus envie de le juger. Je me dis même qu’il devait certainement être quelqu’un de plutôt sympathique ( rires) !

Propos recueillis par Frédéric Brébant

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content