Population souriante éparpillée dans des hameaux accueillants, paysages luxuriants alternant rizières et cocoteraies, temples par milliers, témoignages étourdissants laissés par les dynasties dravidiennes… Le sud de l’Inde est un autre voyage, épicé et coloré.

Chaque matin, avant de prendre la route, notre chauffeur part chercher des fleurs pour honorer Shiva et décorer le petit autel disposé à côté du volant. Il s’agit de ne pas courroucer les dieux. Incontournable, le religieux fait partie intégrante des activités quotidiennes. Dès le lever du jour, des millions de croyants envahissent les temples, certains chargés d’offrandes, d’autres se contentant de prier. Des milliers de fêtes et de défilés se déroulent un peu partout. Mais ce que vous ne verrez qu’ici, en Inde du Sud, ce sont ces processions typiquement tamoules : des hommes qui défilent le corps transpercé de longues aiguilles, une coutume assez masochiste que n’approuvent pas tous leurs compatriotes. Dans un registre plus tempéré, les cornes des bovins sont peintes de couleurs vives, car janvier est le mois du festival de la vache. Substitut au sein maternel, l’animal sacré exalte la fertilité. Dans les temples, des femmes soufflent des prières à l’oreille des statues, les offrandes de fleurs et de victuailles envahissent les socles et les niches, on se badigeonne de bouse séchée, on s’enveloppe le corps de volutes de fumée. Parfois, des fidèles jettent violemment des noix de coco contre un mur. La briser, c’est signifier que l’on rompt avec son égoïsme – symbolisé par la coque – pour libérer sa pureté intérieure, la chair de la noix. La symbolique est omniprésente : pour l’hindouïste, séduire et s’attirer la clémence divine est essentiel.

ÉTRANGE GÉOGRAPHIE

Le sacré, encore lui, domine aussi le paysage des villes. L’architecture religieuse indienne est née ici, dans le sud du sous-continent, au VIIe siècle. Du coup, le Tamil Nadu est littéralement couvert de temples. On en compte 36 000 – la plupart consacrés à Shiva – rien que sur cette portion de l’Inde ! Des édifices parfois sculptés à même le roc, comme à Mamallapuram. Un travail dantesque, qui pouvait  » user  » deux ou trois générations de sculpteurs. Merveilles de ce site, les cinq Rathas forment des chariots dédiés à Shiva, Vishnu, Surya et Indra. Excavés d’un seul bloc, ils servaient, pense-t-on, de maquettes pour les plus grands temples.

Sur la route, on croise de tout : des charrettes tirées par des boeufs aux 4×4, en passant par les bus bondés et les touk touk. Notre guide rigole à peine quand il explique que pour conduire en Inde, il faut de bons freins, de la bonne essence et surtout de la chance. C’est que sur la chaussée, il n’y a quasi pas de règles, pas de feux, pas de panneaux et pas de priorité… Le plus rapide dépasse à coups de klaxon et évite parfois de peu un véhicule arrivant en sens inverse.

A côté des vastes états comme le Tamil Nadu, l’Inde affiche aussi quelques bizarreries géographiques comme Pondichéry, entité fédérale composée de micro territoires saupoudrés dans différents états. Sa capitale, la ville éponyme située au sud de Chennai, fait figure de cité de province assoupie. Avec ses larges avenues aux noms français, bordées d’arbres, ses policiers coiffés du képi, ses inscriptions en français, elle a un petit côté surréaliste sous ces latitudes. Le brouhaha et le soleil qui cogne dur rappellent vite que l’on est bien sous les tropiques.

UN TEMPLE COMME UNE VILLE

En suivant la route qui relie Chennai à Madurai, on se doit de faire un crochet par Thanjavur. Son grand temple de Brihadishvara est souvent considéré comme le plus beau de l’architecture chola, une dynastie qui régna du IXe au XIIIe siècle et avait établi ici sa capitale. Pour une fois, l’entrée est gratuite, quoique chacun soit encouragé à faire un don à l’éléphant qui garde la porte. Celui-ci attrape avec sa trompe le billet qui lui est tendu et adresse en échange une sorte de  » bénédiction  » au donateur en lui tapotant le sommet du crâne, toujours avec sa trompe.

Comme dans tous les temples, l’entrée est tournée vers l’est et mène à une seconde porte. En se dirigeant vers le centre, on découvre une imposante statue, un nandi monolithique de 6 mètres de longueur. Construit en grès ocre clair, le lieu apparaît dans toute sa splendeur dorée en fin de journée, nimbé des couleurs chaudes du soleil couchant. La tour pyramidale de treize étages, qui s’élève à quelque 70 mètres de hauteur, est ornée d’une grande profusion de statues à la blancheur éclatante et surmontée d’un monolithe quasi sphérique de 80 tonnes. Ce dôme fut hissé par une rampe de 6 kilomètres de longueur ! Il ne faut pas manquer d’y pénétrer : ce temple est le seul que le non-hindou puisse visiter de bout en bout.

Avec le temps, ces sanctuaires sont devenus de véritables petites villes, comme celui de Sri Minaksi, à Madurai. Construit au XVIe siècle, c’est l’un des plus beaux de l’Inde du Sud. Un véritable dédale de salles, de galeries et de gopurams chargés de centaines de statues. Le panthéon indien, riche de 330 millions de dieux, nécessite un tel déploiement d’art. Le temple est une ville dans la ville, car il couvre une bonne partie du centre, entouré par le grand bazar. On peut y passer des heures entières. En ne manquant surtout pas la salle aux mille colonnes (elles ne sont en fait  » que  » 985), aujourd’hui musée abritant sculptures et joyaux de pierre. Chaque soir, on peut assister, au milieu d’une foule de fidèles, à la cérémonie au cours de laquelle une représentation de Shiva est portée en procession jusqu’à la chambre de Minaksi. Madurai est le berceau de la culture dravidienne, ce peuple du sud à la peau sombre et au front court qui contraste avec les Hindous du nord, plus grands et plus clairs de peau. Pour l’anecdote, c’est dans cette même ville qu’en 1922, Gandhi décida de renoncer à sa caste et aux vêtements à l’européenne.

L’OR NOIR DU KERALA

La traversée de la chaîne boisée des Ghats mène au Kerala voisin. Le paysage change du tout au tout, la langue aussi d’ailleurs. Réputée déjà dans les temps bibliques pour ses épices, cette région que l’on dénommait alors  » côte de Malabar  » exportait ses clous de girofle, sa cardamome et surtout son poivre, l’or noir du Kerala. Un commerce contrôlé par les navigateurs arabes puis par les Portugais. Au XVIe siècle, un kilo de poivre s’échangeait contre… un kilo d’or !

Depuis sa création en 1957, l’Etat du Kerala est dirigé par le parti communiste démocratiquement élu. Des communistes, oui, mais à ceci près qu’ils sont aussi religieux. Quasi alphabétisés à 100 %, les citoyens d’ici s’impliquent énormément dans la vie publique. La médaille a un revers : si les gens sont mieux éduqués et en meilleure santé (le Kerala est aussi le berceau de la médecine ayurvédique), beaucoup ont dû émigrer, notamment dans les pays du Golfe, pour trouver du travail. En cause : les syndicats, ultrapuissants, qui dissuadent les investisseurs.

En descendant l’autre versant de la chaîne via les monts des Cardamomes, le paysage se transforme en étonnants jardins méticuleusement entretenus par une armée de petites mains. Au XIXe siècle, les Anglais ont introduit la culture du thé sur les contreforts des Ghats occidentaux, ciselant un peu plus les vallées déjà occupées par les jardins d’épices. Beaucoup de plants sont encore d’origine, affichant plus de 150 ans.

Etat jardin, le Kerala réserve encore bien d’autres surprises. Des montagnes de l’arrière-pays dévalent des dizaines de fleuves qui se perdent dans un dédale de splendides lagunes côtières étalé sur 900 kilomètres, les  » backwaters « . En partie sous le niveau de la mer, ce fantastique réseau de canaux, de lacs et de rizières se parcourt au rythme tranquille de bateaux légers ( » houseboats « ) construits en bois et en roseau tressé qui servaient autrefois au transport du riz. Aménagés pour les voyageurs, ils permettent de découvrir la vie des villages de l’Inde profonde.

En quittant les couleurs chatoyantes du Kerala par le nord, il faut faire halte à Cochin, centre séculaire du commerce des épices. Une ville qui a gardé tout son charme colonial, où l’on déambule tranquillement au gré de ses ruelles qui semblent ne plus avoir évolué depuis que les Portugais l’ont quittée. Les maisons aux volets en bois de ce qui fut le quartier juif sont aujourd’hui occupées par les antiquaires. Il reste alors quelques heures de route pour atteindre Mumbai. Tentaculaire mégapole de 18 millions d’habitants, où les bidonvilles s’imbriquent même parfois jusque dans les quartiers chics et viennent coller aux pistes de l’aéroport, c’est un nouveau tourbillon d’images, toutes les facettes de l’Inde moderne et traditionnelle à la fois qui se bousculent jusqu’à plus soif.

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

2 500 ANS : LA LANGUE TAMOULE SERAIT L’UNE DES PLUS ANCIENNES DE LA PLANÈTE.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content