Ringards hier, pyjamas de soie, robes de chambre et pantoufles brodées squattent désormais les dressings des hommes les plus hype et sont même de sortie ! Une nonchalance étudiée qui tient plus du dandy que du papy.

Jusqu’à l’année dernière, rares étaient ceux qui osaient poser en pantoufles et robe de chambre et prescrire le port du pyjama en public. A l’exception peut-être de Hugh Hefner, lors de ses  » parties  » au manoir Playboy… Fort de la monographie en six volumes que vient de lui consacrer Taschen, le magazine érotico-machiste est de nouveau en vogue et avec lui une certaine apologie du laisser-aller plus ou moins suggestif. Parallèlement à ce retour de la figure politiquement incorrecte du  » sugar daddy « , Marc Jacobs himself a choisi d’adopter la tendance  » saut du lit  » en s’affichant en pyjama à la moindre occasion, histoire peut-être d’annoncer de manière subliminale son envie de lever le pied sérieusement en abandonnant le poste de directeur artistique de Louis Vuitton.

L’offre suivant comme toujours la demande des fashionistos en mal de sleepwear trendy, sur les podiums masculins de l’automne-hiver 13-14, le peignoir kimono est dans tous ses états. Flirtant avec la veste de smoking à l’ancienne telle que l’arboraient les dandys pour fumer le cigare, il s’accommode d’imprimés cachemire et de matières soyeuses, extirpant des oubliettes de la mode des tenues bannies des dressings branchés depuis l’avènement du jogging et du sweat à capuche.

 » A l’origine, les vestes d’intérieur ont fait leur apparition au début du XIXe siècle, lorsque la société bourgeoise a imposé aux hommes le costume trois pièces, rappelle l’historienne de la mode Catherine Ormen (1). Un costume de respectabilité que Baudelaire n’hésite pas à qualifier  » d’uniforme de croquemort « . Face à ce que le psychanalyste britannique John Carl Flügel a décrit comme le  » grand renoncement masculin « , ces robes de chambre chamarrées sont devenues le refuge de leur fantaisie. Pour se défouler, mais aussi plus pragmatiquement parce que les appartements de l’époque n’étaient pas toujours bien chauffés, les hommes revêtaient, en rentrant chez eux, une tenue confortable, au travers de laquelle ils pouvaient encore laisser libre cours à leur excentricité dans le choix de la matière ou de l’imprimé. Ces vestes raffinées et pas du tout négligées se portaient aussi pour recevoir les intimes ou les subordonnés. Et ce jusque dans les années 50, comme peuvent en attester des films de l’époque où l’on voyait ces messieurs troquer cravate, gilet et veston pour une veste plus souple et un petit foulard noué autour du cou dans le col de la chemise.  »

Ce qui put longtemps se targuer d’être un symbole d’originalité devient l’uniforme de la bourgeoisie et se ringardise à son tour, cédant la place à un nouveau casual wear qui s’enfile cette fois aussi à l’extérieur. Le trio jeans-tee-shirt-baskets, libérateur dans les années 60, devient lui aussi peu à peu l’emblème d’une mode mondialisée dénuée de toute forme de fantaisie.  » Les hommes se battent encore et toujours contre l’héritage si lourd à porter de la renonciation masculine, constate Catherine Ormen. Alors que depuis le début du xxe siècle, les femmes n’ont pas cessé de s’approprier la garde-robe masculine, les hommes, eux, sont dans la quête perpétuelle de fantaisie. En croyant se libérer grâce au jeans, ils sont devenus prisonniers d’un nouvel uniforme.  »

Face à la dictature du jogging avachi unisexe, on assisterait donc au retour d’un homewear précieux mais décomplexé au point d’être de mise aussi hors de la maison. La crise économique à rallonge qui pousse au repli sur soi et les nouvelles habitudes de travail qui floutent de plus en plus la frontière entre boulot et vie privée peuvent expliquer également l’avènement d’un vestiaire hybride et faussement nonchalant. L’accessoire idéal du cadre en télétravail, bobo à ses heures et tout content d’en remettre une couche en baissant le thermostat de quelques degrés centigrades, surtout si la petite laine qu’il enfile est griffée Dries Van Noten…

(1) Auteure de la nouvelle monographie Dior for ever, chez Larousse.

PAR ISABELLE WILLOT

 » Face à la dictature du jogging avachi unisexe, on assisterait au retour d’un homewear précieux mais décomplexé.  »

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