Femme à 100 % avec. ou sans enfant

Face au choix à faire, les femmes, aujourd’hui, sont soumises à de plus en plus de pressions. souvent contradictoires. La psychothérapeute clinicienne belge Isabelle Tilmant sonde, pour Weekend, les différentes voies de l’épanouissement au féminin.

Certaines femmes ont d’emblée un désir de maternité, d’autres doutent ou sont confrontées au veto biologique. Il y a aussi celles qui revendiquent clairement le refus d’avoir un enfant. Mais quel que soit leur choix ou leur chemin de vie, Isabelle Tilmant les encourage à être à l’écoute de leurs aspirations.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi la maternité est-elle toujours autant idéalisée ?

Isabelle Tilmant : Cette idéalisation est très positive car elle permet aux femmes, devenues mères, de garder leur identité. Mais la réalité est plus nuancéeà Celles qui ne peuvent pas avoir d’enfant ont l’impression de passer à côté de la féminité : dans notre société, la mère est tellement glorifiée que  » qui ne dit pas mère, ne dit pas femme à part entière « . Les femmes enceintes, elles, se dévalorisent parfois face aux images de beauté parfaite renvoyées par les magazines. Les mères clament que l’accouchement est le plus beau jour de leur vie. Elles oublient cette grande souffrance qu’elles ont éprouvée pour encenser ce moment. Devenir mère va de pair avec un double sentiment : un immense bonheur et une perte de liberté. L’évolution du féminisme a apporté beaucoup de liberté aux femmes, mais elle leur a aussi transmis des critères trop élevés sur le plan du travail, du couple et de la maternité. On élève les filles en leur faisant croire qu’elles pourront vivre tout cela à fond. Une fois adultes, elles se sentent dupées ou pas à la hauteur. Les mères semblent courir sans cesse, les femmes privées d’enfant pensent avoir loupé quelque chose et celles qui n’en désirent pas sont soumises à une incroyable pression sociale. En cette ère de crise, la mère reste la valeur refuge à laquelle on veut se raccrocher. Elle incarne le désir d’aimer et d’être aimé inconditionnellement. Quelle confusion !

Que signifie être une femme épanouie ?

Je préfère parler de  » femme féconde « … Etre pleinement présente – à elle-même et aux autres – lui permet de se donner naissance en tant que femme. Il appartient à chacune de définir ses projets de vie. Cela implique la créativité, avec laquelle on transforme sa douleur en fécondité psychique.

Les femmes se posent-elles trop de questions ?

Avoir ou ne pas avoir d’enfant est une question récente, loin d’être facile à trancher. Le psychisme d’une petite fille est imprégné par le message  » toi aussi quand tu seras grande, tu seras maman « . Aborder la contraception, à l’adolescence, est une façon de lui dire que c’est à elle de décider. Cela crée un électrochoc entre deux pensées contradictoires. Les événements de la vie jouent un rôle décisif. Chez les femmes sans enfants, il y a celles qui ne peuvent en avoir, celles qui ne veulent pas en avoir et celles qui s’interrogent. Mais plus on attend, plus la fécondité diminue. Puis, aujourd’hui, les priorités ont changé ; à cause, notamment, du travail plus épanouissant qu’autrefois. Celles qui se questionnent attendent le bon moment et la bonne personne. Ces exigences n’existaient pas avant.

La maternité fait-elle traverser une frontière aux femmes ?

J’aime cette imageà Celles qui sont dans le désir d’enfant souhaitent franchir cette frontière, afin de faire partie du clan des mères. Aux yeux de la fa-mille, elles deviennent enfin adultes. Mais cette responsabilité ne signifie pas qu’elles deviennent plus femmes ! Celles qui deviennent mères très jeunes, ne se donnent parfois pas le temps de se développer en tant que femme. Dans cette frontière, entre celles qui ont des enfants et celles qui n’en ont pas, la confusion et la valorisation de la féminité reviennent toujours. Celles qui souffrent de ne pas en avoir ont un sentiment d’inachevé. Il faudrait plutôt voir la femme dans sa globalité. Un changement s’opère toutefois chez les 20-30 ans. La maternité devient un choix de vie. Les femmes qui revendiquent le non-désir d’enfant s’inscrivent dans la société actuelle.

Pourquoi le mythe de l’instinct maternel est-il toujours bien vivant ?

Parce que c’est l’un des derniers tabous. Nous avons besoin de croire en l’amour inconditionnel d’une mère. Si elle ne l’éprouve pas, elle ressent une telle culpabilité, qu’elle préfère le cacher. Le danger est le passage à l’acte.  » L’amour maternel  » s’éveille au contact d’un enfant, biologique ou adopté, dont on se sent responsable.  » L’esprit maternel  » définit la capacité d’empathie. Ce souci du bien-être d’autrui peut apparaître chez toute femme, qu’elle soit mère ou non.

En quoi l’enfance est-elle déterminante dans l’envie d’avoir ou non des enfants ?

De nombreux facteurs complexes interviennentà Les femmes qui ont le désir d’enfant s’identifient à quelque chose de l’ordre du maternel. Cette identification peut se faire par rapport à la mère, une grand-mère, une voisine ou un père maternant. Le rôle du père est de sortir l’enfant du côté fusionnel de la relation mère/enfant. En regardant sa fille comme un être sexué, il la reconnaît en tant que femme. Celles qui ne veulent pas enfanter s’identifient plutôt à ce qui est de l’ordre de l’indépen-dance. Elles choisissent parfois cette voie pour vivre une autre vie que celle de leur mère. Les femmes qui sont en questionnement hésitent entre le maternel et l’indépendance. Celles qui souffrent de ne pas en avoir sous-estiment leur réalisation en tant que femme, tant au niveau de leur indépendance que de leur créativité.

Et qu’en est-il des couples sans enfants ?

De par un plus grand espace temps, ils s’adonnent à plus d’intensité amoureuse, tout en respectant l’indépendance de chacun. Avoir un enfant constitue un pari : passer du couple conjugal au couple parental. Il y a une part d’irrationnel dans ce désir, qui peut basculer à tout âge. Certaines femmes le ressentent quand la maturité et les circonstances de la vie s’y prêtent. Or il est parfois trop tard. L’important est qu’une femme soit proche d’elle-même, tout au long de sa vie. Ainsi, elle n’éprouvera pas de regrets.

De quelle part d’elles-mêmes les femmes  » childless  » doivent-elles faire leur deuil ?

Cette part est propre à chacune d’entre elles. Tout dépend de ce qu’elles imaginaient vivre. En renonçant à son désir d’enfant, une femme peut progressivement le transformer. A elle d’explorer la partie maternelle, en la développant autrement – dans le bénévolat, par exemple. Ce processus de deuil nécessite parfois une thérapie, afin de l’aider à exprimer sa souffrance, sa colère et sa révolte. L’important est de lui faire comprendre qu’elle ne serait pas devenue celle qu’elle est sans cette souffrance. Cela peut l’amener à un certain apaisement et à plus de compréhension envers elle-même et les autres. Cette source de fécondité psychique peut faire d’une  » childless « , une femme épanouie.

Comment atteindre  » la féminalité  » ?

Le développement d’une femme implique un long processus, parfois difficile, car elle doute énormément d’elle-même. La  » féminalité  » (féminité et natalité) consiste à donner pleinement naissance à la femme. Il s’agit d’intégrer le yin des éléments féminins (sensibilité, empathie) et le yang plus entreprenant. Chaque femme a sa voie et sa  » féminalité « . Elle devient pleinement elle-même, avec toutes ses qualités et ses fragilités. C’est grâce à tout ce qu’elle a vécu, qu’elle devient ce qu’elle est vraiment. Aussi faut-il soutenir toute femme dans son désir de vie, quelle que soit la direction qu’elle choisit.

Épanouie avec ou sans enfant, par Isabelle Tilmant, Anne Carrière, 426 pages.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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