Barbara Witkowska Journaliste

Peuplée d’artisans habiles et de fins lettrés, riche d’un patrimoine splendide, l’ancienne capitale mérinide et la plus vaste médina du Maroc n’a jamais cessé de célébrer la tradition. Balade dans une ville musée où le quotidien se confond avec l’éternité.

« Lovée dans un silence blanc, Fès tient dans la paume d’une main. Main de Dieu ou de mendiant « , écrit joliment l’écrivain Tahar Ben Jelloun, originaire de Fès. La cité impériale, née, selon la légende, de la pioche en or ( » fas  » en arabe) de Moulay Idriss, descendant de Mahomet, en 789, est en effet blottie dans sa cuvette, ressemblant derrière ses géométries enchevêtrées de pierres blondes à une esquisse de Delacroix. Entourée de remparts somptueux, elle était, et est toujours, la plus ancienne médina du Maroc. La plus vaste aussi (cinq fois celle de Marrakech) avec ses 90 kilomètres de ruelles qu’on ne se lasse pas de parcourir. Près de 14 000 habitations particulières, environ 10 000 ateliers d’artisans, 3 500 puits, 2 000 hammams, 450 mosquées et, puis, quelque 500 énigmatiques portes de cèdre derrière lesquelles se cachent des palais sublimes ou décrépis. Accueillante, ouverte et souriante, Fès,  » cette immense coulée blanche de maisons surplombant les maisons  » reste pourtant une ville difficile à pénétrer. Les vieux Fassis vous expliqueront que, dans le Hadith, le prophète Mahomet a dit qu’il ne fallait pas laisser le regard de l’autre entrer dans sa maison. A Fès, on n’aime donc pas les fenêtres. Bien sûr, il y en a quelques-unes, de la taille des lucarnes, haut placées, et solidement protégées par des grillages épais ou des barres en fer. Le visiteur pressé n’aperçoit que lacis de venelles aux maisons blanches collées les unes aux autres, portes basses obstinément fermées, ruelles chaotiques qui courent sans ordre, butant ici sur un mur à angle droit, traversant ailleurs une façade pour rejoindre plus vite un goulet qui débouche sur une placette aveugle. Rien n’a bougé depuis des siècles. Le temps a simplement délabré les palais et les maisons bourgeoises. Mais un esprit nouveau flotte sur la médina. Des associations privées prennent le destin de la ville en main. Une trentaine de riyads ont été restaurés et une majorité transformés en maisons d’hôtes. Zelliges, stucs, bois de cèdre… Fès renoue avec son prestigieux passé.

Raffinement de l’architecture et des beaux-arts

La fertilité de la terre, les pluies abondantes et la position stratégique de la plaine du Saïs, au pied du Moyen Atlas, ont donc convaincu Moulay Idriss de fonder en ces lieux la capitale de sa nouvelle dynastie : les Idrissides. Son fils Idriss II l’agrandit et l’embellit. Chassées de Cordoue, 8 000 familles musulmanes andalouses s’installent alors ici, comme sur une terre promise. Deux mille autres familles, originaires, elles, de Kairouan, se fixent de l’autre côté de la  » rivière de perles « . Ces Andalous et ces Kairouanais, bâtisseurs de mosquées et de souks, sont à l’origine des quartiers actuels de la médina. Ils apportent à la ville leurs techniques et leur savoir-faire qui vont insuffler à la cité un essor extraordinaire. C’est d’ailleurs sous l’impulsion d’une musulmane de Kairouan qu’en 862 la mosquée Karaouiyne (ou Qarawiyyin) est construite. Agrandie au xiie siècle, elle devient l’université phare du monde islamique. Mais c’est au xive siècle que Fès connaît son apogée, avec la dynastie des Mérinides, à qui la ville doit ses magnifiques medersas (écoles coraniques), ses charmants minarets et ses splendides palais. Le goût du luxe se répand et triomphe dans le raffinement de la décoration. Partout, marbres et bois précieux, stucs et zelliges se déploient et enluminent les façades intérieures, les fontaines et les patios. L’art hispano-mauresque atteint son apogée. Après une éclipse pendant laquelle la dynastie saadienne s’installe à Marrakech, Fès redevient la capitale du Maroc, dans la seconde moitié du xviiie siècle, sous le règne du second souverain Alaouite, Moulay Abdallah. Et c’est à Fès que sera signé, le 30 mars 1912, le traité imposant au Maroc le protectorat de la France. Quelles que soient ses heures de gloire ou de déclin, sa réputation d’érudite reste intacte à travers les siècles. Fès, ville raffinée et aristocratique, se veut toujours la cité du savoir, malgré l’éclipse de son université. De ces temps glorieux, il reste, près des portes de la ville, les palais que les grandes familles fassies, les Tazi ou les Mokri, firent construire. Le palais Mokri peut être visité. Vides, ses salons silencieux et somptueux gardent intact le souvenir de cet intense rayonnement.

Au c£ur des souks

Retour à la foule, au c£ur de la médina. Cris des portefaix.  » Balek, balek !  » ( » Attention, attention « ). Il faut s’aplatir contre les murs pour laisser passer ânes et mulets chargés de sacs souvent plus gros qu’eux. Folle agitation, clameurs et exclamations, tout ce petit monde court à ses affaires. Nous, nous continuons tranquillement notre balade le nez en l’air, en quête d’émotions esthétiques, de couleurs chatoyantes et d’odeurs enivrantes. On s’attarde dans le quartier des dinandiers martelant le cuivre à même les trottoirs, puis dans celui des menuisiers qui scient et rabotent dans l’odeur entêtante du cèdre, pour arriver, enfin, à l’extraordinaire souk des tanneurs. Il faut se faufiler dans l’un des entrepôts de cuir et grimper un escalier pour accéder aux terrasses qui dominent ce panorama : un immense damier de bacs de couleurs creusés dans le pisé, alimentés par des moulins, cloisonnés par des digues, des ponts, des systèmes d’évacuation. Cuves de teinture rouge sang, bleu cobalt, ocre ou marron près desquelles s’activent les tanneurs torse nu chargés de peaux. On ne peut s’empêcher d’éprouver de l’admiration devant un métier millénaire encore si présent au c£ur même de la ville. Fès regorge aussi de joyaux cachés. Et c’est le bonheur de ces flâneries que de trouver ce qui se cache, de passer une porte pour découvrir le superbe fondouk (caravansérail) Nejjarine. Construit au début du xviiie siècle, il a été admirablement restauré et renferme aujourd’hui un très intéressant musée des arts et métiers du bois. Du mausolée de Moulay Idriss au palais royal (qu’on ne visite pas), du quartier juif (Mellah) aux tombeaux mérinides, peut-on tout voir à Fès ? Certainement pas. D’abord, il faudrait une vie, et même les guides professionnels ne connaissent pas tous les secrets de cette incroyable fourmilière.

Les musiques du monde

Le célèbre festival des Musiques sacrées est né en 1994, à l’époque où l’Américain Samuel Huntington commençait à répandre sa thèse sur le choc de la guerre des civilisations. La réponse des Marocains ? Un dialogue des cultures et des religions… en musique. Le choix de Fès s’est imposé d’emblée. Ce haut lieu du soufisme (l’ésotérisme de l’islam) est, en effet, idéal, pour réconcilier les hommes en musique. Lors de la 12e édition qui se tiendra du 2 au 10 juin prochain, les jardins des palais et les ruines romaines de Volubilis vont résonner des musiques des cathédrales latino-américaines, des accents des gospels américains, des chants de Françoise Atlan et d’Enrico Macias, des chants mystiques des femmes du Maghreb, des complaintes des moines tibétains… Oratorios, concerts spirituels, ch£urs d’enfants avec Romain Didier et Enzo Enzo, percussionnistes japonais, flamenco… Des centaines d’artistes vont célébrer le patrimoine spirituel des civilisations et des trois religions du Livre. En plus de dix ans, le festival des Musiques sacrées de Fès est devenu le plus  » chicissime  » du Maroc (Wim Wenders, Nicolas Hulot et Setsuko Klosowska de Rola, fille du peintre Balthus, notamment, ont annoncé leur présence). D’autant plus qu’en marge des concerts les responsables organisent des débats. Plusieurs dizaines de participants érudits, parmi lesquels Jean-Marie Pelt, Jacques Attali, Jean-Pierre Chevènement et Philippe Douste-Blazy vont se retrouver pour ces  » Rencontres de Fès : une âme pour la mondialisation  » dont le thème cette année est  » Quelles sont les véritables richesses de notre planète ? Comment les gérer ?  »

fès en pratique

n Renseignements.

Office national marocain du tourisme, 402, avenue Louise, à 1050 Bruxelles. Tél. : 02 646 63 20 et 02 646 85 40. E-mail : tourisme.maroc@skynet.be

n Y aller.

La compagnie Royal Air Maroc organise des vols quotidiens à destination de Fès avec une escale à Casablanca. Internet : www.royalairmaroc.com

Consulter aussi les possibilités de vols directs au départ de Paris Charles-de-Gaulle. Internet : www.airfrance.be ou www.royalairmaroc.com

n Devise.

La monnaie locale est le dirham. 1 euro = 11 dirhams.

n Langues.

L’arabe est la langue officielle. Le français est parlé partout.

n Formalités.

Passeport ou carte d’identité.

n Vaccins.

Aucun vaccin n’est exigé.

n Téléphoner.

Depuis la Belgique, composer le + 212.

n Décalage horaire.

En hiver, – 2 heures par rapport à Bruxelles.

En été, – 1 heure.

n Saison idéale.

Il fait beau toute l’année. Cela dit, à Fès, en hiver, les écarts de température, dans une même journée, sont parfois considérables. Un vêtement chaud, pour le soir, est indispensable. En juillet et en août, les températures peuvent atteindre + 40 °C.

n Se loger.

Palais Jamaï. Géré par Sofitel, cet ancien palais de grand vizir, à l’orée de la médina est l’un des lieux cultes de l’hôtellerie marocaine et le sommet du luxe. Les chambres avec terrasses sur la piscine et les jardins dominent la médina. Pas de plus bel endroit pour apprécier le passage des oiseaux sur la ville et le paysage des collines à l’infini. Un spa flambant neuf offre des moments inoubliables de détente et de bien-être. Bab el-Guissa.

Tél. : + 212 35 63 43 31.

n Se restaurer.

Al-Fassia, au palais Jamaï. Superbe décor traditionnel, service irréprochable, ambiance musicale et les grands classiques du Maroc : salades fines, loup à la fassie, agneau Dalaâ M’hamra, pastilla au lait.

Palais de Fès. On déjeune ou on dîne en terrasse avec une vue splendide sur la médina. Cuisine exquise et copieuse. Accueil chaleureux d’Azzedine Tazi. 15, Makhfia ER’CIF à côté du cinéma Amal-Fès.

Tél. : + 212 55 76 15 90.

n Lire.

 » Maroc  » : Guide du Routard, Lonely Planet, Guide Bleu Hachette ;  » Fès « , superbe récit de Pierre Loti, célèbre voyageur qui se disait  » l’âme à moitié arabe « , aux éditions Magellan & Cie, 34, rue Ramey, à 75018 Paris. Tél. : + 33 1 53 28 03 05 ;  » Maroc ? Les villes impériales  » qui contient le passionnant  » Fès ou les bourgeois de l’islam « , par Jean et Jérôme Tharaud, Omnibus, 1996.

n Programme du festival.

Internet : www.fesfestival.com

Barbara Witkowska

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