Cette saison, les sillages se font à la fois cosy et ardents. Et les hommes se laissent séduire par cette montée en puissance d’une intensité charnelle qui se double de notes chaudes et feutrées…

Oui, l’hiver donne des envies de repli, le corps lové dans un canapé molletonné. Plutôt que de faire saillir les muscles, les hommes renouent avec une intériorité feutrée. En réponse aux  » odeurs froides de l’hiver  » décrites par Maupassant, les parfumeurs créent des sillages intenses, sans pour autant forcer le trait de la virilité. Et c’est une première ! On s’étonne de cette audace pétrie de douceur sophistiquée et on se réjouit de pouvoir enfin mettre le nez au creux de leur cou, comme on le fait dans une écharpe au plus froid de l’hiver : pour reprendre un souffle de chaud comme une réconfortante et irrésistible respiration.

Une nouvelle approche qui change aussi de langage. Fini le babillage d’épices volubiles et le ton musclé des notes boisées. L’intimité s’invite à notes feutrées. L’intense ou l’extrême – simple question de vocabulaire – prend le dessus sur les étiquettes des flacons, tandis qu’à l’intérieur ce parti pris fait grimper d’un coup émotion tactile et diffusion, à coups de notes chaudes et moelleuses. Question de mode ou de mood ? Les deux à la fois… Jumelé au vestiaire de circonstance – pull, écharpe et manteau -, le besoin de s’approprier un sillage plus fort, avec une valeur  » doudoune  » ajoutée, lance le coup d’envoi olfactif saisonnier. Azzaro pour Homme Intense en fait la démonstration : son accord fougère aromatique boisé a été retravaillé de manière à dérouler au fur et à mesure des inflexions ambrées pour décrocher une sensualité puissante qu’on ne lui connaissait pas avant. Elle détourne ainsi un style académique, en assouplit la rigueur, au point de provoquer le désir de s’en emmitoufler. On doit cet effet de manche à la fève tonka, aux facettes cacao séché, un peu caramel, mais aussi à la cannelle, une épice plus raffinée que corsée qui étoffe la composition avec caractère.

JUS DE L’INTIME

A l’épreuve du froid et des modes, celle-ci prend également le pouvoir dans Boss Bottled Oud de Hugo Boss, où elle s’associe au safran pour arrondir la sensualité extravertie du bois d’oud en lui apportant une note hot mais intimiste. Car, si les bois continuent de tirer les ficelles d’une force rassurante, ils nous tricotent cette saison de jolis jus de l’intime. La preuve avec le sublime Essence N° 6 Vétiver, d’Elie Saab. Un éloge à la matière brute et belle, repensée dans l’épure la plus charnelle, presque incarnée. De fait, on sait que le parfumeur Francis Kurkdjian l’a conçu  » comme un parfum personnel « , et cela se sent ! Le vétiver, pourtant connu pour son caractère un peu âpre et sec, symbolise ici ce retour vertueux d’une puissance qui se cherche des raffinements neufs grâce à une synthèse de plus en plus pointue. Ainsi, cette composition dévoile un cashmeran, doux comme du cachemire trois fils, ou du bois papyrus, fumé comme un parchemin aux bords brûlés par la flamme d’un feu de cheminée. Dans Nuit d’Issey d’Issey Miyake, la densité se texturise aussi grâce au cuir. Une matière noble, classiquement virile, qui forge une allure en mode, mais aussi en parfum. Sa volupté exponentielle, son accent fumé convoquent ici les volutes de tabac, l’élégance statutaire du club anglais et même du cigare au bec qui, souvent, va avec. Dès lors, loin des poncifs des sillages boisés surmusclés, cette quête du mystère appuie le propos avec des flacons qui penchent pour le noir et des parfums concentrés, façon extraits de parfums féminins qui se portent plus pour soi que pour les autres. Ce qui est définitivement à contre-courant des habitudes du genre : des notes qui cognent, qui se font remarquer et qui font mâle. Vincent Grégoire, directeur du pôle Art de Vivre chez Nelly-Rodi :  » Aujourd’hui, la tendance homme de salon, aristocrate, dandy, intellectuel et sensible se fait une place dans les profils classiques olfactifs. Or ce type d’homme recherche l’ombre et pas la lumière. Exit le bling et le corps bodybuildé. Sa séduction n’a plus rien de frontal ni premier degré.  » Les nuances sont donc permises et le retour aux valeurs tradi cosy aussi.

CONFORT RÉCONFORTANT

Dans cette veine, Encre Noire à L’Extrême de Lalique renoue avec la beauté du geste de la plume trempée dans une encre dark, et l’esthétique élitiste de l’encrier. La maison allie le chic de cette posture de bureau capitonné à la stylisation de sa partition olfactive. En donnant à entendre un vétiver à deux voix, grâce à deux provenances différentes, Haïti et Java, le parfum fait patte de velours et tisse, grâce à l’iris, l’une des matières les plus nobles et les plus chères de la parfumerie, une sensation textile moelleuse supra-élégante. De fait, l’iris confère une majesté presque féminine à ces vétivers, comme une étole frangée posée sur un costume. Et, le nez dans ce vétiver mohair, la magie du parfum opère. Ces propositions font donc éprouver aux néogentlemans un confort réconfortant comme le col relevé d’un caban. Ainsi, dans le Vestiaire des Parfums d’Yves Saint Laurent, la parfumerie s’approprie une certaine idée du porté beau et chaud, couture et très matière. Au sein de ce dressing olfactif, Caftan, hommage aux tenues d’un Orient flamboyant apprécié du couturier, se taille la part belle. Fluidité et chaleur surgissent au débouché du flacon. Arabesques d’encens et motifs de benjoin, à la suavité biscuitée, suggèrent ampleur, générosité et douceur. Une maille vanillée à l’endroit, une maille miellée à l’envers, cette formule chaleureuse tire le fil de ce style oriental avec talent. Eternity Now for Men de Calvin Klein reprend le flambeau d’une ardeur pétrie de douceur et de bons sentiments : eau de coco, fève tonka et vanille convoquent un imaginaire sensible, entre pâtisserie et épices. Car les hommes nouveaux ont des goûts de coeur.  » On n’est pas dans la gourmandise régressive, mais dans une sensualité plus personnelle, truffée de souvenirs, de tendresse et d’intériorité « , analyse Vincent Grégoire. Intériorité : le mot est lâché. Les parfums s’engouffrent dans la brèche. Le cocooning olfactif prend ses aises et ses quartiers d’hiver. Dans Noir Exquis de L’Artisan Parfumeur, le petit noir au comptoir plante le décor d’un plaisir délicieux pour les papilles grâce à ses notes de sirop d’érable et de marron glacé, mais aussi celui d’un refuge olfactif de clair-obscur, façon alcôve.  » Le café est une note sombre que l’on associe facilement à la couleur qu’il engendre quand on le filtre. Il ne révèle sa vraie nature que s’il est torréfié. De fait, la torréfaction noircit ses grains verts au goût d’une fève de petit pois, comme elle en noircit l’odeur et le goût. Le café développe alors des notes grillées, brûlées, réglissées, pyrazinées, des effets de terre et de racine « , décrypte le parfumeur Bertrand Duchaufour. L’Eau Parfumée au Thé Noir de Bulgari partage ce goût pour un rituel à la sophistication fumée. Les volutes de ce thé, aux inflexions miellées de tabac roulé, entre le cuir et les bois cirés, flottent et invitent à une forme de voyage immobile, captivant et addictif. Un peu comme le silence d’un feu de cheminée qui fascine et apaise. By The Fireplace Replica de la Maison Margiela revendique d’ailleurs avec une audace remarquable cette ambiance-là. Dans ce flacon à la teinte cognac, on sent l’odeur des marrons grillés, des bûches qui crépitent et se brisent en braises ardentes. Sur la peau, ça fait délicieux, chaud comme un plaid frangé dans lequel on rêve de s’enrouler.  » Cela correspond également à l’engouement pour les bars et restaurants speakeasy, une recherche du secret, d’une intimité qui se mérite. La mise en avant des jeux d’échecs ou de backgammon auxquels on s’adonne au coin du feu par des marques de luxe comme Hermès ou Louis Vuitton en témoigne « , concède Vincent Grégoire.  » L’odeur dans l’air glacé des brindilles de bois, c’était comme un morceau du passé, une banquise invisible détachée d’un hiver ancien qui s’avançait dans ma chambre […] « , écrit Proust. A leur façon, ces nouveaux parfums masculins conjurent eux aussi le froid hivernal, grâce à leur charme et à leur richesse toute intérieure.

PAR KARINE GRUNEBAUM / PHOTOS : BERTRAND BOZON

À contre-courant des habitudes : des notes qui cognent, se remarquent et font mâle.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content