Figuration libre
Gourmandises sucrées, bestiaire coloré, figures nostalgiques… Forts de leur savoir-faire, les joailliers repoussent sans cesse les limites du figuratif pour raconter des histoires avec des créations aussi précieuses qu’épicuriennes.
Avoir sa forme ronde rose bombée, son c£ur fondant marqué d’une empreinte de mâchoire, souvenir d’une incorrigible gourmande, l’eau nous monte à la bouche. Et pourtant… Même les plus féroces croqueuses de diamants risqueraient de se casser les dents sur sa croûte pavée de saphirs roses, de tsavorites pistache ou d’améthystes cassis. On se contentera donc de dévorer du regard les nouvelles bagues Tentation Macaron, de Boucheron, hommage aux pâtisseries multicolores de Ladurée. Et les incitations précieuses à la gourmandise ne s’arrêtent pas là. Brochette de caramels fourrés aux diamants et de berlingots acidulés à piquer sur le revers d’une veste (Lorenz Bäumer), baies à porter en pendants d’oreille comme autant de fruits défendus (Tabou de Pomellato) ou encore sautoir en or pétillant comme un champagne… Epicuriens, les joailliers ? Sans aucun doute. Et, ce printemps, leurs créations plus vraies que nature célèbrent les petits bonheurs du quotidien au fil de sucreries colorées, d’évocations bucoliques ou de saynètes parisiennes.
Un style à la fois figuratif et narratif, plein de fantaisie, qui s’est peu à peu imposé dans le registre de l’extravagance et de l’impertinence grâce à Victoire de Castellane, chez Dior Joaillerie (voir l’encadré page 11), dont on fête cette année les dix ans de création. Ou à l’Anglaise Solange Azagury-Partridge, dont les bijoux ludiques en forme de bouches ou de carrés de chocolat croqués, réalisés pour Boucheron en 2003, avaient défrayé la chronique de la place Vendôme. Aujourd’hui, pourtant, après le bestiaire vénéneux de l’année dernière, on glisse plutôt dans l’effet Amélie Poulain, histoire de conjurer la crise qui frappe le secteur et de séduire une clientèle plus large. Ainsi, ce printemps, Van Cleef & Arpels vient d’offrir pour la première fois à son univers une collection narrative intitulée » Une journée à Paris » – un savoir-faire réservé jusque-là à la haute joaillerie, sur les thèmes des fées, des ballets ou, dernièrement, des jardins.
Des chaînes auxquelles s’agrippent des petits amoureux en or qui se tournent le dos puis se retrouvent unis sous un parapluie, des enfants qui semblent courir en tenant des ballons en cabochons de nacre et de corail… L’idée de la collection ? » Essayer de retrouver la légèreté, la gaieté du Paris de Brassaï ou de Cartier-Bresson avec ses personnages, ses lieux emblématiques, pour cela nous avons travaillé sur le volume, le mouvement, avec des petites figurines qui sont reliées entre elles par des chaînes, formant comme une bande dessinée « , explique Nicolas Bos, directeur international marketing et création de Van Cleef & Arpels.
Amour, famille, Paris… C’est certain, les maisons de la place Vendôme se recentrent sur des valeurs sûres et universelles. Mais surtout sur leur savoir-faire, poussant encore plus loin les limites du figuratif. » Cette tradition, qui s’inscrit dans la lignée des Arts décoratifs, est complexe, car la mise en volume du bijou s’apparente presque à de la sculpture et il faut également travailler sur le mouvement pour que la fleur donne l’impression d’éclore ou le papillon de s’envoler « , poursuit Nicolas Bos. Sujet de prédilection de ces expérimentations, le bestiaire continue d’avoir la cote auprès des joailliers et de leur clientèle.
» Le thème des animaux est ce qui se vend le mieux, confirme Julie Valade, spécialiste des bijoux au sein de la maison de ventes parisienne Artcurial. En décembre dernier, nous avons réalisé une enchère importante avec un lot de petites broches figurant des oiseaux de chez Cartier. C’est autant le côté affectueux de ces objets que la manière de travailler le bijou comme une sculpture qui plaît. » Une sculpture qui, de la faune à la flore, frôle cet été tous les excès… Par son format, notamment, oscillant entre la mouche microscopique en citrine et topaze (pendentif Attrape-moi si tu m’aimes, Chaumet) et les fleurs géantes aux pétales d’aigue-marine ou de tourmaline (Chanel Joaillerie). Le choc des couleurs est électrique aussi (turquoise, corail, nacre, onyx, tourmaline…), les textures sont chatoyantes, à l’image de ces émaux qui rendent l’effet irisé d’un plumage ou la transparence fragile des ailes d’un papillon (l’hommage de la créatrice de bijoux Delfina Delettrez à René Lalique). Un travail sur le mouvement et la lumière sur lequel s’est également penché le Brésilien H. Stern, qui s’est inspiré pour sa collection Giverny des jardins du peintre Monet. Ainsi ses bagues ou ses boucles d’oreille sont des feuilles en or rose dont le pavage de diamants aux teintes dégradées donne l’illusion d’une nature mouvante… très impressionniste. Cette figuration libre n’est pas près de faiblir, puisque Cartier, son plus célèbre ambassadeur, serait en train de retravailler, pour sa nouvelle collection de haute joaillerie présentée dès la rentrée, quelques animaux de sa mythique ménagerie. Les noms de l’oiseau et du crocodile bruissent déjà…
Charlotte Brunel
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