Branchées, classiques, fantaisistes ou high-tech, les montres ont leur propre langage, et nous en disent beaucoup sur les hommes ou les femmes qui les portent. Seulement voilà, à l’heure où les tribus s’amusent à travestir leurs propres codes, où les classiques deviennent branchés et où les bourgeois se font bohèmes, la marque installée au poignet emprunte de nouvelles règles. A ce petit jeu, découvrez donc qui se cache derrière elle.

Les New-Yorkais n’ont généralement pas besoin, lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois, de se demander ce qu’ils font dans la vie. Il suffit qu’ils échangent leurs adresses pour savoir tout de suite à qui ils ont affaire. Si le lieu de résidence sert aux Etats-Unis à définir, en un clin d’oeil, le statut social et professionnel des personnes rencontrées, chez nous, c’était un peu le même système avec les montres. Dis-moi celle que tu portes aujourd’hui au poignet, et je te dirai qui tu es : l’inclination de l’homme (ou de la femme) pour telle ou telle marque d’horloger lui a bien souvent servi de carte d’identité. Oui, mais voilà, tout cela c’était avant ! Avant quand, exactement ?

Avant que les hommes ne commencent à emprunter la voiture de leur femme. Avant que les classes bourgeoises ne se mettent à rêver de bohème. Avant que les cadres ne se décident à quitter leur job stable pour fonder des start-up… et que les succès de Chantal Goya ne soient remixés en version techno pour le plus grand plaisir des nouveaux « adulescents ».

Et le rapport avec les montres, me direz-vous ? Eh bien, c’est très simple : du temps où les membres de chaque tribu restaient confortablement installés parmi leurs pairs, les montres sportives seyaient au poignet des sportifs, les cadrans pour hommes ornaient les bras de machos virils, et les marques les plus classiques constituaient l’apanage des attaches au sang bleu. La révolution des codes de la société a donc fortement chamboulé l’esprit et le langage propre à chaque modèle de montre. Objet de luxe, mais objet tout de même, une montre n’est en somme aujourd’hui que ce qu’on veut qu’elle soit : au fil de ses humeurs et puis de ses envies, de ses incursions au sein d’une tribu, ou de ses emprunts à une autre famille.

Les branchés classiques

La véritable élégance est celle qui ne se remarque pas, car elle est naturelle, évidente, presque logique. D’ailleurs la véritable élégance se transmet d’ordinaire de génération en génération, et c’est sûrement pour cela que Nicolas porte aujourd’hui, avec fierté mais en toute simplicité, la même montre que celle que portait son grand-père, puis son père… et qu’il aimerait un jour voir au poignet de son fils. Pourquoi ? Parce que, chez les branchés classiques, on apprécie les valeurs sûres, les matériaux nobles, les intérieurs en bois, et le charme subtil des paysages de Toscane. Ce qui ne veut pas forcément dire que l’on n’est pas dans le coup… Au contraire ! Si Nicolas a tendance à considérer sa montre comme une prolongation naturelle de lui-même, objet si raffiné qu’il ne nécessite donc aucune forme d’ostentation, il sait pourtant au quotidien se prendre au jeu des faux-semblants et marier, en toute harmonie, modernité et tradition. Le branché classique travaille généralement dans le marketing, la banque, la communication ou le monde du conseil. Il n’est pas esclave de son temps, mais est pourtant toujours à l’heure à ses rendez-vous. Il sait renifler la tendance, anticiper la mode de demain, sans jamais sombrer dans le fashion victim. Rusé, polymorphe et toujours en phase avec ses congénéres, il s’adapte aux différents univers qu’il côtoie… en se contentant de changer son bracelet de montre ! Cuir brun texture crocodile pour un dîner aux chandelles en bordure de Seine, attaches métalliques à l’occasion d’une soirée jet-set, caoutchouc noir pour les vacances en famille. C’est aussi simple que cela.

Du côté des femmes

Elle, c’est Julie. Elle travaille dans le secteur de l’environnement, pratique l’équitation et milite, à ses heures perdues, en faveur du commerce équitable.

Sa montre, elle l’a choisie à son image : élégante, raffinée, discrète, mais inimitable avec son double affichage. La version féminine du branché classique a les pieds bien sur terre : elle sait, comme l’écrit Stendhal qui s’y connait un brin en matière d’ambition et de servitude mondaine, « qu’à trop vouloir vivre avec son temps, on meurt avec son époque ». Alors, Julie papillonne, empruntant çà et là des accessoires branchés, sans jamais travestir complètement sa propre identité. Elle aime à ramasser ses cheveux dans un foulard hippie, préfère le cuir aux fibres synthétiques, adore le noir pour sa sobriété, et se donne des airs de jeune fille tout en assumant parfaitement son rôle de mère. Elle a adoré « Huit femmes » de François Ozon (elle a complètement craqué pour la prestation de Fanny Ardant), est secrètement éprise de Guillaume Canet… mais laisse aux midinettes les tenues trop provoc’ et les faux airs adolescents de ne pas y toucher. Julie aime descendre au marché le dimanche, adore les repas de famille, les bouffes improvisées entre copains et… les virées en boîte !

Profondément indépendante dans ses choix, elle a décidé d’insuffler à sa vie son propre rythme, et sait au fond d’elle-même qu’elle a parfaitement raison: le temps qui passe ne fait absolument pas peur à la branchée classique. Son visage, comme sa montre, a effectivement l’avantage de résister admirablement aux marques des années.

Profession : femme fatale

Mais qui se cache donc derrière cette montre. d’homme ? Est-ce une femme ou un homme ? Une égérie du célèbre photographe américain Horst p Horst, ou une femme fatale d’aujourd’hui ? Une vamp ou une femme de tête, une midinette travestie pour un soir en grande séductrice, ou une dame de pouvoir, fuyant les projecteurs, pour ne pas s’afficher comme ça, épaules nues, presque livrée au monde, en flagrant délit de féminité outrancière ?

Les codes de la séduction sont, de toute façon, forcément éternels. On pense à Jeanne Moreau, toute vêtue de Jules, exacerbant son onde de féminité dans un complet trois-pièces qui lui sied à ravir. La veste de costume est aujourd’hui remisée au placard, puisqu’il suffit d’une montre pour afficher clairement ses intentions : oui, je suis une femme de pouvoir et je l’assume, semble-t-elle vouloir nous dire, malgré ses attaches si fines et sa taille de guêpe. Oui, j’ai raflé toute l’horlogerie de mon mec, et j’ai pris la plus grosse, la plus voyante, la plus incontestablement masculine de ses montres, piquée à la sauvette dans son tiroir. Je suis une James Bond girl et mon tic-tac résiste à tout. Comme elle, je suis solide, comme elle, je peux plonger en mer ou marcher sur la Lune, si le cour vous en dit. Si le cour vous en dit. et si j’en ai envie, moi d’abord, surtout et avant tout.

Montres aux performances techniques, esprit high-tech, modèles limite envahissants sur petits poignets de femme fragile. L’héroïne d’aujourd’hui n’a plus peur d’assumer ses désirs et son attirance pour des marques à forte connotation sportive ou technologique : elle aussi joue la performance au quotidien, à la maison comme au travail, sans cesse sollicitée parce qu’elle est compétente. Mais que serait la compétence sans la grâce ? Car si la femme d’aujourd’hui sait qu’elle peut sans problème choisir d’exhiber sa part de masculinité au poignet, c’est parce qu’elle ne craint pas, une seule seconde, de se voir contester son statut de séductrice. De cette étrange dualité, elle en joue sans arrêt : si elle abrite ses rondeurs dans un jean, elle choisit tout de même, pour ajouter au trouble, de comprimer sa taille dans un corset aux mille lanières.

La séductrice d’aujourd’hui aime donc s’amuser avec le temps. Tour à tour chef d’entreprise et femme fatale, vamp d’un soir et cascadeuse de jour, elle multiplie les identités et les manières de séduire. Pour elle, le temps est indiscutablement lié à la notion de conquête. Elle aime peut-être vous en mettre d’abord plein la vue, mais on assure – dans les milieux autorisés – qu’elle dort généralement nue.

La nuit est son domaine, et à ce moment-là, elle n’a plus, mais vraiment plus du tout, besoin de porter sa montre.

Faire son cinéma

De toute façon, elles sont capables de tout ! Comme de choisir leur montre en fonction de la couleur de leurs lunettes, qui dépendra elle-même du type de soirée à laquelle elles comptent s’incruster lors de leur bref séjour à Cannes. Pour les victimes de l’écran, la montre est avant tout accessoire : elle fait partie de leur panoplie d’actrice, ultime outil de déguisement et de travestissement qui va – elles en sont sûres – leur permettre, enfin, de chambouler leur existence. Il paraît que les montres donnent l’heure ! Elles, elles s’en moquent éperdument. Si elles ont décidé un soir de s’affubler d’un tel objet (au même titre qu’une perruque des Jackson Five), c’est avant tout pour se faire remarquer et pouvoir frissonner, le temps d’une montée des marches, au son des cris d’émerveillement de leurs potentiels fans. On dit que les carrières d’actrice se font à la force du poignet. Dans leur cas, l’axiome est sans doute encore un peu plus vrai que d’ordinaire.

Mais qui sont donc ces êtres hybrides qui passent leur temps à faire leur cinéma ? Scénaristes, designers, photographes. Ces exhibitionnistes du poignet travaillent – lorsqu’elles travaillent – dans des secteurs où le droit à la différence est érigé en devoir, et où le manque d’originalité peut s’avérer fatal. Fans de Poly Magoo et de soirées seventies, elles se vantent d’avoir découvert Ibiza, mais ne veulent plus mettre les pieds sur l’île depuis que le tourisme de masse y fait rage.

Elles connaissent par cour des centaines de répliques de films, peuvent regarder en boucle la cultissime série de la Panthère rose, vénèrent le travail de William Klein et s’avouent volontiers un brin régressives. Car pour elles, la vie est avant tout un art, et l’art est un jeu d’enfant. Les bracelets de leurs montres ressemblent à du réglisse, leurs cadrans empruntent des formes de bonbons acidulés, et elles s’amusent constamment à travestir leurs modèles, se prenant, le temps d’une performance horlogère, pour des démiurges modifiant à leur gré l’apparence du monde. Jalouses de leurs secrets, elles sont pourtant prêtes à échanger leur montre avec d’éventuelles rivales, jouant comme les adolescentes à intervertir leurs gadgets et leurs tactiques pour faire tomber les hommes. Leur rapport au temps est avant tout ludique. Comme l’écrit Octavio Paz (le poète surréaliste mexicain, qui figure également au Panthéon de leurs idoles), pour la gent excentrique  » le plaisir est instantané, parce qu’il résiste mieux au temps qu’à l’éternité « .

Comme elles travaillent généralement dans des domaines artistiques, elles n’hésitent pas à marier les différentes formes d’esthétisme ou de discipline, et contribuent, grâce à leur grain de génie, à modifier l’ensemble des codes du monde qui les entoure. Même les horlogers les plus classiques le savent aujourd’hui : la montre complètement loufoque qu’elles porteront lors d’une soirée privée à San Francisco se retrouvera peut-être, quelques années plus tard, en  » version soft  » pour branchés classiques, dans les boutiques des plus grands joailliers. Ces créatrices hors pair n’iront pourtant jamais assigner leurs plagiaires en justice. On vous l’a dit, et on vous le répète : pour la victime de l’écran, la vie est un jeu, le temps ne s’achète pas, et le strass d’une montre dépend, avant toute chose, de l’aura de celle qui la porte.

Passion latine

En rouge et noir. Non, par pitié, oubliez Jeanne Mas ! Essayez de penser plus fou (enfin, dans un autre genre), plus ensoleillé, plus pyrénéen ou caribéen, si vous voyez ce que je veux dire. Rickie Martins, Compay Segundo, Oscar de Leon… La ola latina et ses déhanchements exotiques ont débarqué sur notre territoire, il y a environ cinq ans. Latina, mais d’abord espagnole. Vous vous rappelez de Kika ? Kika, la femme-télé, caméra incorporée dans le tronc, interprétée par la sublime Victoria Abril dans le film éponyme de Pedro Almodovar. Cet étrange bout de femme symbolisait à elle seule un futurisme déréglé, décervelé, profondément transgressif et terriblement précurseur. Et maintenant vous voyez cette montre ? Ce mélange de technicité et de kitsch assumé, cet esprit IIIe millénaire, et cette bonne vieille dualité passionnelle : le rouge, le noir, l’amour, le deuil. enfin tout ça quoi.

Mélodramatique, je vous dis. Un vrai film d’Almodovar, plein de spécimens bizarres, de Madrilènes à la pointe du progrès et de vieilles concierges irascibles, tout droit sorties des livres d’Histoire. Je suis au top niveau technique, ma montre fait tout plein de machins. mais surtout qu’est-ce qu’elle se voit !

Chez les individus de leur espèce, la notion de temps ne peut être que contradictoire. Se mélangent ainsi un réel désir de modernité et un attachement profond aux origines, comme une obligation, presque animale, de bien marquer son territoire et d’annoncer en bloc qui l’on est, d’où l’on vient, et pourquoi l’on ne changera pas. Lui a l’esprit de clan, la passion du tango, et ne tolérerait pas que quiconque en sa présence s’affiche impunément avec le même modèle autour du poignet. Elle a choisi une montre d’homme, dans cet univers macho, comme pour bien signaler que la révolution des mours a enfin sonné le glas de son esprit de soumission passée, et qu’elle compte désormais, si ça lui chante, avoir son mot à dire à l’heure de choisir son destin.

Il faut dire ce qui est : ils ne sont généralement pas à l’heure. Se donnent des rendez-vous dans de vieilles tavernes, où ils s’attendent mutuellement, sans s’en tenir rancune, en picorant des tapas. Ils portent des montres de pilote de course, mais ont rarement l’air pressé. La nonchalance de jour est de bon ton, et ce n’est qu’une fois passé le coucher du soleil qu’ils commencent à vivre à cent à l’heure. Pour eux, pas de secret : le meilleur moment de la journée, c’est lorsqu’elle se finit.

Et c’est la nuit qu’ils planent, lorsque la notion de temps devient soudain élastique, que les minutes s’égrainent au rythme du tango ou se volatilisent au son d’une salsa portoricaine. Quand ils aiment comme lorsqu’ils dansent, c’est pour de vrai : du sang, de la sueur et des larmes, et toujours, au bout du compte, la victoire.

Attachés à l’esprit des grandes marques comme à celui de famille, ils sont d’ordinaire fidèles à leur modèle car ils ont le sens de l’honneur et assimileraient à une trahison le fait de changer d’horloger. Prêts à vous donner tout leur temps s’ils sentent que vous les appréciez de manière inconditionnelle, ils sont aussi entièrement disposés à vous l’empoisonner si vous n’êtes pas des leurs. Ils cumulent en effet un sens inné de la tragédie et une aptitude à la légèreté qui déconcerte facilement leurs congénères au sang froid. Car le temps est à la fois leur allié et leur limite, le début et la fin de toute chose, le rouge et le noir.

La tête et les jambes

Faut-il, comme l’écrivait Rimbaud, être toujours  » absolument moderne  » ?

Pour lui, en tout cas, cela ne fait aucun doute. Mais comment fait donc cet homme-là pour être toujours au courant de ce qui se passe sans jamais sombrer dans une branchitude bon marché ? C’est que ce personnage, espèce en voie de disparition dans nos sociétés au rythme survolté, sait prendre son temps et manoeuvrer sa barque selon ses propres règles, tout en piochant par-ci par-là les idées ou les innovations susceptibles de lui permettre d’évoluer, en toute intelligence.

A l’heure de choisir sa montre, et comme pour sa garde-robe, cet individu hors norme préfère les matières légères, les formes aérées. et craquera pour un design intelligent et novateur, qui sans jamais rendre son modèle tape-à-l’oeil, lui permettra toujours de se différencier du commun des mortels. Du strass ? Des paillettes et des soirées jet-set ? Très peu pour lui, merci.

Car à vrai dire – il finira par vous l’avouer, un sourire un peu gêné au coin des lèvres – l’univers de la frime et les potins mondains l’ennuient profondément. Vous avez devant vous un être hors du commun : de ceux qui, même chez le coiffeur, boudent la lecture de  » Voici  » et s’interrogent encore sur le pourquoi de l’existence. Sa façon à lui de se faire remarquer ?

Eh bien, c’est simple : il est si intrinsèquement différent des autres, si profondément percutant dans ses analyses, et si vif lors de ses conversations sur les thèmes d’actualité. qu’automatiquement, et sans qu’il y prenne garde, les regards de ses congénères se tournent, avides d’admiration, vers lui.

Il n’a jamais assimilé le temps à une limite, mais le considère plutôt comme un outil, une mesure scientifique, un facteur parmi d’autres à prendre en compte pour gravir, une à une, les marches menant vers le succès. Fin stratège, il opère généralement dans le secteur du conseil ou du développement, dispose d’étonnantes capacités d’anticipation, et aimerait tenter un jour sa chance comme éditeur. Comme lorsqu’il dispute une partie d’échecs avec un adversaire, il aime à maîtriser les situations avec sang-froid, et attend toujours patiemment le moment opportun pour jouer telle ou telle pièce de son jeu. Profondément aérien, souvent précurseur malgré lui, cet homme-là vit sans le savoir en avance sur son époque.

Le pire, c’est que ce n’est pas tout. Un corps sain, dans un esprit sain.

Cette rengaine vous dit quelque chose ? Eh bien lui, c’est pareil : pour se sentir complètement au top, il a besoin d’associer les plaisirs de l’esprit aux joies de la dépense sportive. Peut-on dire qu’il choisit de pratiquer telle ou telle discipline suivant la montre qu’il porte ? Nous n’irons pas jusque-là, même s’il est évident qu’il préfère aussi, dans ce domaine, tout ce qui est aquatique ou aérien à la traditionnelle artillerie lourde.

Ainsi, il n’est absolument pas question de le traîner voir un match de boxe (de toute façon, le modèle qu’il porte au poignet n’est pas assez  » viril  » pour avoir l’air crédible parmi la foule des supporters), ni de lui proposer une séance intensive de musculation. Pour qu’il puisse apprécier un sport, il faut avant tout que celui-ci ait un quelconque intérêt ludique, et qu’il soit source de plaisir… pas que d’effort ! Les sports de glisse sont évidemment sa tasse de thé : sur les pistes enneigées, on peut difficilement le louper. Son équipement est à la pointe de tout ce qui se fait en matière de nouvelles technologies : il est profondément carbone, fibre polaire, et sa combinaison, il faut le dire (car cet individu, malgré ses dénégations, est un être assez coquet), est de la même couleur que son bracelet de montre.

Si les sports de glisse lui réussissent si bien, c’est que M. Complet s’est mis une idée dans le crâne : rechercher constamment l’équilibre. Harmonie du corps et de l’esprit, bonne hygiène de vie, sens de la diplomatie hors du commun, ce monsieur pas comme les autres entend marier, dans toutes les disciplines, intelligence et sens de la modernité. On le croirait tout droit sorti d’un manuel de philosophie platonicienne, mais il est pourtant complètement de son siècle. Rimbaud n’avait peut-être pas tort finalement : être absolument moderne n’est pas forcément synonyme de fourvoiement.

Les professionnels de la performance

A l’école, déjà, ils ne toléraient pas la deuxième place. Insatisfaits lorsqu’ils n’étaient pas cités à titre d’exemple, volontiers turbulents à l’heure de la récré, ces ex-gamins hyperactifs ont grandi, mais n’ont pas beaucoup changé au fond. Aux Etats-Unis, on les appelle les workaholics, pendant que chez nous, on les regarde d’un air cynique, on les envie généralement en secret. et l’on n’ose pas leur demander combien ils gagnent sur les plateaux de télé. Accros au boulot, ces monstres de la performance ont le plus grand mal à faire décrocher leurs méninges de leur activité professionnelle, mais semblent absolument ravis de cette situation.

Allergiques au farniente, ils trouveraient cauchemardesque la perspective de devoir passer plus de trois jours sans rien faire sur une île déserte.

Pour eux, le temps c’est de l’argent, et c’est l’oil rivé au cadran de leur montre, attendant l’ouverture de la Bourse de Tokyo ou de Wall Street, qu’ils se lèvent généralement le matin, après avoir passé une courte nuit (plus de 5 heures de sommeil serait nuisible à leurs affaires !) Un pépin de tic-tac, et c’est toute leur carrière qu’ils imaginent soudain brisée. Evidemment, avec de tels impératifs, pas question de se tromper. Alors, à l’heure d’opter pour tel ou tel modèle de montre, ils se décident logiquement pour ce qui se fait de mieux sur le marché. Le top, sinon rien : telle est la devise de ces véritables machines de guerre, programmées pour gagner et habituées à se surpasser.

Brokers, experts en nouvelles technologies, auditeurs de multinationales ou  » simples  » PDG, ils doivent, dans tous les cas, savoir prendre des décisions rapides et se sentent tenus d’anticiper, sur tout et tout le temps : ces gens-là ont souvent 72 heures d’avance, manient mal le passé composé et l’imparfait du subjonctif, détestent le conditionnel (à cour vaillant, rien d’impossible), et conjuguent en permanence leur réussite au futur. De leur montre – comme de n’importe lequel de leurs collaborateurs -, ils exigent une fidélité indéfectible, une fiabilité à toute épreuve, assorties d’une élégance indiscutable.

Question loisirs (vous avez dit loisirs ?), la même soif de vaincre. associée au même souci de toujours rentabiliser l’instant présent. Si le sport est fondamental pour ces individus un tantinet nerveux, il leur permet surtout de recharger leurs batteries, d’évacuer leurs potentielles envies de meurtre (à force de travailler dans des univers hypercompétitifs, on ne se fait pas que des amis), et de se reconstituer un moral de gagnant. C’est vrai qu’il faut les voir sur un terrain de boxe, associant rapidité des mouvements et panache, tous pleins de cette rage au ventre qui les rend, il faut bien l’avouer, absolument irrésistibles. Avec eux, en effet, pas question de sombrer dans la déprime. Comme ils n’aiment pas beaucoup déléguer, ils ont fini par être performants dans à peu près tous les domaines. Bricolage, cuisine, fusions-acquisitions, mots croisés, badminton ou sculpture sur bois, l’hyperactif qui se respecte sait finalement tout faire. Et pas question surtout de lui proposer de l’aider dans ces multiples activités, vous le priveriez d’un plaisir.

Et son rapport au temps ? Evidemment, ce type d’homme-là a tendance à trouver les journées bien trop courtes : il manifesterait volontiers pour une semaine de 15 jours et une durée de vie moyenne de 152 ans. Volontiers colérique dans les embouteillages, toujours disposé à mettre la main à la pâte et la pâte dans le camboui, vous savez de toute façon que vous ne vous ennuierez pas avec lui. Amoureux de la vie jusqu’à l’épuisement, il vous en fera voir de toutes les couleurs. et vous étonnera en de maintes occasions.

Saviez-vous, par exemple, que les hyperactifs ont tendance à faire avancer – naturellement – le mouvement des aiguilles de leur montre ? Leur pouls est en effet si incroyablement  » énergétique  » qu’il imprime à son entourage quelques longueurs d’avance.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content