Barbara Witkowska Journaliste

Pour les fêtes, les parfums les plus prestigieux se mettent sur leur trente et un. Réalisés en série limitée, les somptueux flacons deviennent de véritables objets de luxe. Et de collection. A offrir ou à se faire offrir.

Le nom de René Lalique û touche-à-tout de génie et artiste exceptionnel û est intrinsèquement lié au cristal et aux objets d’art. Ses bijoux, ses orfèvreries, ses sculptures, ses tentures et ses broderies ont, tous, signé un renouveau stylistique et ont connu un succès international retentissant. Tout au début du XXe siècle, Lalique s’intéresse aussi au verre. Il invente une technique qui permet de réaliser, mécaniquement, des £uvres d’une grande qualité artistique. Le parfumeur François Coty souffle alors à Lalique l’idée de créer des flacons exceptionnels pour les parfums. A l’époque, en effet, les essences étaient vendues dans de simples fioles. René Lalique se pique au jeu et crée, en 1908, un écrin admirable pour L’Effleurt, de René Coty. D’autres opus suivront. La concurrence, aussi, passe commande. René Lalique imagine les flacons £uvres d’art les plus sensuels et les plus délicats de l’histoire de la parfumerie pour Roger & Gallet, Molinard, Houbigant, Nina Ricci et Guerlain. En 1992, la maison Lalique renoue avec cette tradition de façon originale et lance ses propres parfums, un pour femme, un pour homme. Deux superbes flacons de collection en cristal, différents chaque année, témoignent du savoir-faire intact des artisans de Lalique. La fragrance, elle, ne change pas. Au féminin, elle est construite comme une belle parure florale dans laquelle on a serti des essences de rose, de jasmin et d’iris les plus pures. L’élégant flacon est coiffé par un spectaculaire bouchon en cristal qui figure une belle fée, cheveux au vent, enlacée de volutes et d’arabesques. La femme idéale, selon René Lalique… Chez l’homme, la sculpture qui surmonte le flacon, interprète une symbolique masculine, forte et puissante. Après le cheval, le tigre, le lion, voici, pour 2005, le samouraï. Courageux et loyal, ce héros japonais est représenté en pleine action, maniant le sabre. La fragrance ? Un cocktail d’agrumes pour l’audace, des accents d’iris, de cèdre et de jasmin pour une séduction triomphante et un nuage d’ambre et de patchouli pour la sensualité.

Au commencement était une étoile…

Il n’est pas facile d’imaginer des parfums vraiment nouveaux. Thierry Mugler a pourtant réussi ce défi, en 1992, avec Angel. Ce parfum haute couture, à la saveur voluptueuse et charnelle, ne ressemble à aucun autre. Son concept est pourtant simple. Sur la base d’un classique oriental, dominé par le patchouli, s’épanouissent des senteurs de bonbons, des notes de chocolat, de vanille et de caramel. Le résultat est envoûtant. Certes, Mugler n’a pas créé la fragrance, mais il a dessiné la forme étoilée du flacon, a conçu les campagnes publicitaires et a photographié lui-même les premières ambassadrices d’Angel : Estelle Hallyday et Jerry Hall. Il voulait aussi un jus de couleur bleu azur, couleur fétiche de sa maison de couture : une première dans le monde de la parfumerie. Ce  » caprice  » a été un véritable casse-tête car il fallait trouver les essences et les colorants naturels qui ne risquaient pas de tacher les vêtements. Le flacon en forme d’étoile est une autre prouesse technique qui demande une fabrication semi-manuelle. Comble du raffinement : chaque année, au moment des fêtes, Angel se glisse dans un nouvel habit de fêtes,  » taillé  » en série limitée et numérotée. Thierry Mugler imagine des étoiles au design de plus en plus personnel, de plus en plus spectaculaire et… de plus en plus difficiles à réaliser. A chaque fois, les verreries Brosse, en Normandie, relèvent le défi haut la main. En 2004, la Star Instinct est azurée, effilée, élancée et prend son élan pour s’envoler vers le ciel.

Sauvage, mais si civilisée

1966 est une année éclectique. En Inde, Indira Gandhi prend les rênes du pouvoir. En Europe, les intellectuels brandissent le  » Petit Livre rouge  » de Mao, tout en sifflotant  » chabadabada « , le tube du film  » Un homme et une femme  » qui remporte la Palme d’Or à Cannes. Mary Quant révolutionne la mode, en coupant les jupes au ras des fesses. La parfumerie vit également sa petite révolution. Christian Dior lance Eau Sauvage. Fraîche, simple et élégante, elle fera entrer la parfumerie masculine dans l’ère industrielle. Le parfumeur Edmond Roudnitska a reçu de Christian Dior ce briefing simple :  » Faites-moi une senteur. Ni un parfum ni une Eau de Cologne. » Roudnitska veut frapper un grand coup et cherche un ingrédient exceptionnel, jamais utilisé en parfumerie. Et il le trouve, sous forme d’hédione. Ce  » jasmin abstrait  » met admirablement en lumière les notes qu’il accompagne. Celles-ci sont, en fait, simples et classiques. Le citron, la lavande, le romarin et le basilic forment la trame fraîche et typique d’une Eau de Cologne. Ce sont le vétiver et la mousse de chêne, sublimés par un nuage d’hédione, qui apportent à Eau Sauvage cette nervosité mystérieuse et attractive. Inimitable. Le flacon ? Il affiche un design moderne et plutôt sobre, sans chichis. Le verre godronné en biais évoque le mouvement et le dynamisme de la jeunesse. La bague et le bouchon, tous deux argentés, apportent une touche chic, très couture. Pour les fêtes 2004, Eau Sauvage se glisse dans une flasque en métal argenté et fait figure d’un objet précieux, puissant et masculin. Un coffre blanc, tapissé de tissu gris foncé, lui sert d’écrin.

Les colombes du rêve

 » Un joli nom qui coule de source  » : c’est ainsi que le chanteur MC Solar parle de L’Air du Temps de Nina Ricci. Il craque pour la fragrance qui lui rappella maman. Il n’est pas le seul. L’Air du Temps est le parfum des stars (Claudia Cardinale et Lady Diana, notamment). C’est en 1948, que Robert Ricci, fils de Nina, planche sur un parfum inédit, une note florale très légère qui tournerait la page des parfums lourds et capiteux de l’avant-guerre et écrirait, ainsi, le premier chapitre de la parfumerie moderne. Il fait appel au parfumeur Francis Fabron qui a une idée de génie, en utilisant, pour la première fois, le salicytate de benzyle pour reconstituer un £illet épicé mais léger. Il est entouré par un bouquet subtil d’essences naturelles (rose et jasmin). Robert Ricci demande à Marc Lalique (le fils de René) de lui dessiner un écrin symbolisant la paix et l’optimisme, les préoccupations principales de toutes les femmes de l’après-guerre. Une fois de plus, Lalique se dépasse et imagine un chef-d’£uvre en proposant deux colombes qui s’embrassent, en guise de bouchon. Le carton de l’emballage est tonique et souriant : couleur jaune bouton-d’or, du jamais-vu dans la parfumerie. Plus d’un demi-siècle après sa création, L’Air du Temps est toujours l’un des tout grands succès mondiaux. Dans les années 1950, la maison Nina Ricci a inauguré la tradition des éditions limitées, en proposant régulièrement d’admirables interprétations de ce flacon mythique, couronné d’ailleurs, en 1999,  » flacon du siècle « . En 2004, il garde sa forme originelle et emblématique, mais se pare d’une robe aérienne comme un souffle d’or fin, délicatement posée en dégradé de la base du flacon jusque sur les ailes des colombes.

Il était une fois… une légende

Nous sommes en 1925. Jacques Guerlain écoute, fasciné, un ami qui lui raconte l’une des plus belles légendes du patrimoine mondial : l’histoire des amours de la princesse Muntaz Mahal et de son mari le shah Jahan. L’empereur en est fou. Parmi ses nombreuses épouses, c’est Muntaz Mahal que l’empereur préfère. Il la retrouve tous les jours dans un jardin extraordinaire, Shalimar (temple de l’amour en sanscrit). Ici s’épanouissent les arbres et les fleurs les plus rares. Les terrasses de marbre le plus fin offrent des perspectives inouïes sur des allées raffinées, peuplées de fontaines somptueuses et sur des lacs à l’eau pure comme du cristal. Mais le destin est cruel et Muntaz Mahal expire, en mettant au monde un enfant. Désespéré, shah Jahan lui fait construire le plus beau mausolée du monde : le Taj Mahal. Subjugué, Jacques Guerlain n’a qu’une idée : interpréter olfactivement ce superbe récit romanesque. Il s’y prend d’une façon surprenante. Il s’approche d’une cuve contenant Jicky (composé en 1889 par Aimé Guerlain) et y verse une louche d’éthylvanilline dont il vient de recevoir un échantillon et qui lui paraît intéressant. Le résultat est ambré, voluptueux et chaud, plus que parfait. Ce chef-d’£uvre de la parfumerie du XXe siècle se love dans un flacon intemporel, sculpté comme un bijou. En 2004, on l’a habillé d’un précieux fourreau pierre de Lune, aux reflets dorés. Touche ultime de luxe, son élégante poire renoue avec la gestuelle d’antan.

Et aussi…

C’est en pensant à un suède doux comme une caresse que Serge Lutens a créé Daim Blond. Dans son architecture subtile et délicate s’entrelacent des notes d’iris, des éclats de noyau d’abricot et des traces de cardamome de Ceylan. Le tout admirablement blotti dans un voile de musc frais. Pour les fêtes, Daim Blond s’épanouit dans un flacon rectangulaire (en édition limitée), orné d’une gravure représentant une étoile des neiges. Dans Colonia d’Acqua di Parma, les agrumes de Sicile taquinent les pétales de rose et de lavande, puis se fondent dans les caresses des bois précieux. La célèbre Eau de Cologne se choisit aussi une tenue d’apparat. Le flacon cylindrique se prend au jeu de la logomania, élégamment interprétée en verre poli et dépoli. Paco Rabanne reste fidèle à ses convictions et proclame imperturbablement que  » le métal est la quintessence de l’élégance « . C’est donc sa chaînette emblématique qui s’est posée, le temps d’une édition limitée, sur le capuchon de la nouvelle fragrance Paco Rabanne pour Elle.

Barbara Witkowska

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content