Armes de séduction massive nées au tournant du millénaire, ils sont les vaisseaux amiraux des grandes griffes. Des talents belges sont aux commandes de l’aménagement de ces paquebots du luxe.

Signe d’une époque, la tendance en dit long sur les évolutions du marché et les envies des consommateurs, et concerne tant les enseignes ultrapopulaires que les maisons de standing. Dans un contexte de guerre commerciale globalisée, ces magasins à faire pâlir les ors des palaces permettent aux marques d’asseoir leur puissance en investissant les capitales du monde entier, et Bruxelles ne fait pas exception. Des créateurs belges sont même conviés à cette célébration de l’excellence.

Car malgré la crise, le luxe fait toujours recette, et a pu compenser quelques soubresauts financiers grâce à l’enthousiasme consumériste des pays émergents. Fers de lance des stratégies d’expansion, les flagship stores permettent d’investir de nouveaux marchés, avec l’avantage notable de générer le buzz en faisant de chaque inauguration un événement (inter)national. Un bon moyen de s’auréoler d’un prestige toujours plus grand en affirmant ostensiblement sa présence sur les artères fashion les plus sélectes de la planète, avec comme cible privilégiée les bâtiments historiques, hôtels particuliers et autres lieux pourvus d’un minimum de cachet, pour briller plus fort que ses rivaux et disposer d’assez d’espace pour héberger un stock conséquent. Tout est bon pour surclasser la concurrence, à commencer par celle des e-stores, qui a forcé les groupes industriels à repenser à la fois l’exploitation de leurs adresses physiques et celle, inépuisable, des ressources multimédias. Campagnes de pub, vidéos virales, applications et interactions sont étudiées pour nourrir l’univers du label et faire des principaux points de vente l’aboutissement d’un storytelling toujours plus élaboré, un temple où se matérialise la fièvre acheteuse de légions de fans.

LE SUMMUM DU PREMIUM

Pour rentabiliser le précieux temps de ces consommateurs privilégiés, et leur offrir la meilleure séance de shopping possible, d’aucuns misent sur un service personnalisé doublé d’une expérience totale, multisensorielle, concoctée sur la base d’intenses recherches en termes d’ambiances musicale, olfactive et/ou lumineuse. Ainsi, on voit désormais les magasins agrémenter leur offre d’exclusivités, exposer de l’art contemporain ou des éditions limitées et accueillir des concepts des plus variés. Les  » boutiques amirales  » ont même leur gourou, l’architecte-biker Peter Marino, à qui les géants de l’industrie recourent pour démontrer leur force de frappe et hisser leur pavillon au plus haut. Mais si LVMH s’est récemment offert les services du starchitecte Frank Gehry pour sa Fondation Vuitton, à Paris, l’empire du luxe ne fait pas uniquement appel à des références bankable et se montre capable de prendre des risques, la preuve avec l’architecte Olivier Dwek.

Séduit par sa manière de rythmer vides et pleins, d’apprivoiser les lumières et les matières, Vuitton lui confie sa première implantation bruxelloise, et ce avant même qu’il n’ouvre son bureau d’architecture en 2000.  » J’ose imaginer que ce qui leur a plu, c’était à l’époque un potentiel de talent, une fraîcheur de jeunesse, suppose le Belge. Mais je tiens à leur rendre hommage : pour un leader mondial, aux moyens illimités, il fallait oser engager un architecte de 29 ans sans références. Et, quelque part, cette témérité s’est avérée visionnaire.  » En effet, car aujourd’hui, Olivier Dwek savoure déjà la consécration d’une première monographie, chez Beta-Plus, retraçant quinze ans d’une carrière qui le vit exprimer son idée du luxe intemporel – de la joaillerie Holemans du Sablon à l’un de ses lofts, choisi comme décor pour le spot de lancement du parfum Dior Homme – et embrasser d’autres projets d’une tout autre ampleur, comme la réhabilitation du site de la Fabrique Nationale, à Herstal.

Loin des chantiers pharaoniques, la maison LcD, fondée par notre compatriote Luc Druez, s’est quant à elle spécialisée dans le design textile. L’an dernier, elle a fourni les tissus qui habillent toutes les boutiques Fendi du globe, et s’apprête bientôt à voir ses élégantes étoffes scintiller sous les flashs, lors de l’ouverture prochaine des magasins Hermès de Taïwan et de Moscou. Issu de la haute couture, Luc Druez connaît bien ses clients et leur degré d’exigence.  » Bien sûr, on sait vers quoi se diriger. A Fendi et Vuitton, on présentera plutôt des teintes chaudes, des ors et des tons de soleil et tabac, alors que chez Chanel, ce sera du noir, du blanc ou de l’argent. On reçoit des thèmes, des indications. Et parfois, ce qui nous guide le plus, ce sont les matières que le client rejette.  »

VALEURS AJOUTÉES

 » Pour Dior Joaillerie, poursuit-il, j’ai pris part à des projets de taille plus modeste qui demandent néanmoins une précision absolue dans la couleur. Dans cette quête de l’exactitude, des accidents sont possibles – le métier a un côté  » laboratoire et alchimie  » – c’est la matière qui a le dernier mot. Heureusement, quand une maison prestigieuse prévoit un chantier ou un travail sur l’image de ses espaces de vente, elle se donne du temps, parce que toutes les boutiques du monde seront présentées avec les mêmes matériaux, couleurs et codes.  » Des standards à respecter impérativement, parfois au point de freiner les élans créatifs, comme le déplore l’architecte Florent Cenni :  » Personnellement, je trouve dommage de perdre tout aspect local au profit d’une seule esthétique, mais je peux comprendre la démarche « , nous confie-t-il, lui qui dirige le bureau bruxellois Zoom Architecture avec son associée Estelle Benatar depuis 1996. A leur actif, les enseignes de la griffe anversoise Essentiel et le Smets Premium Store dans la capitale, ainsi que l’exécution du flagship Louboutin, ouvert l’an dernier au Sablon.  » De nos jours, le but n’est pas d’exposer les articles, explique-t-il, mais de les mettre en scène, de donner une dimension supplémentaire à l’achat. Il n’y a plus vraiment de règles, on peut faire ce qu’on veut. Valoriser une robe ou un bijou dans un espace très chic comme dans un environnement très brut, travailler sur un projet sans devoir verser dans la surenchère d’effets ou de matériaux. Un multimarques comme Smets échappait aux contraintes d’uniformité habituelles, ça nous a laissé plus de marge pour nous amuser.  »

 » C’est vrai que les directives fournies par les maisons sont très précises, reconnaît pour sa part Olivier Dwek. Leur maîtrise du sujet est impressionnante, à tous points de vue. Au moment de placer un élément central, elles iront jusqu’à tenir compte du sens de rotation naturel des clients japonais. Chaque boutique doit être identique, on doit se sentir immédiatement chez Vuitton, à Paris comme à New York ou Milan. Mais les architectures, façades et volumes sont différents d’une ville à l’autre, j’ai donc pu bénéficier de beaucoup de liberté, soutenu par un maître d’ouvrage qui m’a accordé énormément de confiance. Nous discutions d’égal à égal.  » Pas de projet d’envergure sans un commanditaire à la hauteur. C’est également l’avis de Florent Cenni, qui tient à souligner l’importance d’une bonne collaboration :  » Le concept résulte souvent d’un travail d’équipe, d’une réflexion conjointe entre le client et nous. Et en amont, nous effectuons toute une recherche sur la marque, ses produits, son histoire ; on va voir les collections et les défilés. Entrer dans les arcanes d’un beau label, en connaître son âme et son ADN, c’est un véritable privilège.  »

Un sentiment partagé par Luc Druez, qui apprécie son activité au coeur de l’industrie du rêve :  » C’est assez jouissif de pouvoir prendre part à tout ça, d’entrer dans les coulisses de gens très créatifs et de constater qu’ils ont dépensé beaucoup d’énergie et d’intelligence pour aboutir à un résultat spécial. Il règne une compétition incroyable, la prochaine boutique doit être plus grande et plus belle que celle du voisin, qu’on ne nomme jamais mais dont l’identité ne fait aucun mystère. C’est l’escalade perpétuelle. Il n’y a pas de piège, juste la volonté sincère d’exalter ce qui se fait de mieux, d’éblouir les clients avec une qualité d’exécution ou de matériau d’exception, qui n’a rien à voir avec le bling-bling. Cela reste de la consommation, mais avec des valeurs, dans tous les sens du terme. « 

PAR MATHIEU NGUYEN

 » À Paris, comme à New York ou Milan.  »

 » Il n’y a pas de piège, juste la volonté sincère d’exalter ce qui se fait de mieux.  »

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