Les émotions sont intraduisibles, mais les fleurs les expriment à leur façon. Un langage que Vanessa Diffenbaugh ravive dans un beau roman actuel.

Qu’est-ce qui vous attire dans cette langue perdue ?

J’ai grandi dans une petite ville de Californie, où il y avait une énorme librairie. C’est dans ce fouillis que j’ai découvert un dictionnaire des fleurs pour enfants, qui m’a inspiré un poème d’amour. Dire que mon petit ami d’antan l’a toujours (rires) ! Ce qui me plaît, c’est que ce langage soit si secret. La  » florigraphie  » est née en France à l’ère victorienne. La connaissance des fleurs y transcendait toutes les classes sociales. Elle s’est ensuite propagée à l’ensemble du monde. Offrir une fleur, c’est offrir un sentiment. Or il existe plusieurs sens contradictoires… La science ayant pris le pas sur le sentiment, le sentimentalisme est jugé péjoratif. Aujourd’hui, notre société high-tech inaugure des moyens d’expression ultrarapides. Les fleurs nous amènent à réfléchir à ce qu’on veut dire, elles révèlent quelque chose de fort.

Privée de famille, votre héroïne est-elle orpheline de mots ?

La famille représente l’inconnu pour Victoria. Pourra-t-elle un jour en faire partie ? Ballottée de familles d’accueil en orphelinats, elle est toujours confrontée à des gens qui doivent s’occuper d’elle. Seule Elisabeth s’intéresse véritablement à elle. Elle comprend que cette enfant ne supporte pas d’être touchée ou regardée. Confrontée à l’incapacité de communiquer de la fillette, Elisabeth trouve une alternative : le langage des fleurs, qui la relient à la vie et à elle-même. Il n’y a que là que mon héroïne se sent à l’abri, d’autant que personne ne comprend cette langue. Quoique…

L’amour irrigue l’histoire, est-il contagieux ?

Oui, mais il est surtout réparateur. Celui d’Elisabeth transforme Victoria en profondeur. Plus que le langage des fleurs, elle lui apprend qu’elle peut contribuer au monde. L’existence solitaire et instable de Victoria est aussi bouleversée par Grant, un homme ancré dans ses racines, qui m’a été inspiré par mon mari aimant. Telle la gentiane (plante), il lui dit qu’elle mérite d’être aimée.

À partir de quand une femme devient-elle une mère ?

Il s’agit effectivement aussi d’un roman sur la maternité. Ayant été une mère d’accueil, je me reconnais en Elisabeth qui désire recueillir une enfant blessée. L’adoption ne représente pas un lien biologique, mais cette décision est si consciente, que l’amour est identique. Lorsque Victoria accouche, la sage-femme lui dit qu’elle est une bonne mère, mais ces mots n’ont aucun pouvoir sur elle. Cette expérience est si envahissante qu’elle peut écraser une femme traumatisée. Toutes les mères culpabilisent, mais en réalité, maman et enfant se guident réciproquement.

Si vous étiez un végétal ?

La mousse qui évoque l’amour maternel et la liatris (photo), qui signifie  » je vais à l’essentiel « . Née pour écrire, je m’exprime à travers mes romans.

Le Langage secret des fleurs, par Vanessa Diffenbaugh, Presses de la Cité, 405 pages.

KERENN ELKAÏM

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