La maison-atelier du sculpteur Oscar Jespers a accueilli la fine fleur de l’avant-garde belge et internationale. Cette machine à remonter le temps nous ramène dans les années 20, à une période faste tant dans le domaine de l’art qu’en matière de design et d’architecture.

Avec sa façade aux lignes épurées couverte de crépi blanc et ses châssis foncés, cet immeuble a des allures d’usine moderniste. Ce témoin du siècle dernier fut en réalité la résidence du sculpteur cubiste Oscar Jespers (Borgerhout, 1887 – Bruxelles, 1970), qui installa ici également son atelier, pour y travailler la pierre, le bois et le métal.

C’est en 1928 que cet Anversois arrive à Bruxelles, afin de donner cours à la fameuse école de La Cambre. Il demande alors au directeur de cet établissement renommé, qui n’est autre que Victor Bourgeois, l’un des ténors belges du modernisme, de dessiner son home sweet home, à Woluwe-Saint-Lambert. Le concepteur de talent est imprégné par ce qui se fait de plus novateur en cette décennie. Il a participé en 1925 à l’exposition retentissante des Arts décoratifs, à Paris, et a même collaboré à un projet de Mies van der Rohe, à Stuttgart. Il est aussi ami avec la plupart des précurseurs belges de sa discipline. Les deux hommes sont incontestablement sur la même longueur d’onde.  » Tout comme Victor Bourgeois, Oscar Jespers connaissait beaucoup de monde et recevait chez lui de nombreuses célébrités… Le Russe Vassily Kandinsky lui a même envoyé une carte ornée d’un de ses dessins à l’occasion de la naissance de son fils. Dans les années 20, ce sculpteur bruxellois a réalisé des oeuvres remarquables, qu’il a malheureusement détruites par la suite « , déplore Jean-François Declercq, l’antiquaire et collectionneur d’objets rétro qui occupe actuellement cette habitation au riche patrimoine.

UN DÉCOR STIMULANT

Au fil des ans, la bâtisse, heureusement classée depuis 1995, a été transformée, à plusieurs reprises, perdant du coup de son lustre originel.  » Le bâtiment était une machine artistique, avec un vaste atelier et une salle d’exposition, raconte le nouveau propriétaire. L’intérieur était plus ouvert qu’aujourd’hui, certaines pièces ont été divisées. La famille Jespers occupait en fait un petit flat à l’étage supérieur.  » Malgré cette configuration ancienne, remodelée peu à peu, le bâtiment reste toutefois inondé de lumière grâce aux grandes baies vitrées cernant le volume.

Pour Jean-François Declercq, vivre dans ce vestige des Années folles est une bénédiction. C’est à l’adolescence qu’il a découvert l’esthétique et le modernisme en acquérant quelques pièces d’auteur.  » Mes premières trouvailles, qui remontent aux années 90, étaient un luminaire de Joe Colombo et une chaise de Charles et Ray Eames. À ce moment-là, cela n’intéressait pas grand monde. J’ai dégoté des meubles de Jules Wabbes et de Jean Prouvé pour une bouchée de pain « , se réjouit celui qui partage sa vie entre notre capitale et la Ville lumière, où il est toujours à l’affût des tendances. Par l’intermédiaire de l’architecte industriel Jean Prouvé, vénéré aujourd’hui comme un demi-dieu par les spécialistes, le jeune collectionneur découvre encore les oeuvres de Charlotte Perriand et du Corbusier, déjà très prisées outre-Quiévrain dans les années 90.  » A travers eux et toutes leurs réalisations qui baignent dans l’esprit du Bauhaus, on est inévitablement charmé par cette période d’avant-guerre. C’est donc une expérience très stimulante pour moi d’être dans cette demeure, qui vous transporte, telle une machine à remonter le temps, des décennies en arrière « , note l’heureux habitant de ce trésor constructif.

LA PASSION COMME GUIDE

Un édifice de ce genre ne s’apprivoise évidemment pas comme une bicoque ordinaire. Mais l’occupant des lieux, lui-même mordu de vintage, possède de nombreux meubles des années 40 et 50 qui s’intègrent parfaitement dans ce cadre, à l’image de ces panneaux en aluminium fabriqués dans les ateliers de Prouvé et qu’il a fixés, çà et là, pour recréer une atmosphère d’atelier.  » Ils avaient été envoyés au Cameroun comme de la ferraille et utilisés dans des écoles « , raconte-t-il. Plusieurs bureaux et coins-salons ont par ailleurs été aménagés dans la maison, offrant un beau panorama de ce qui se faisait de mieux au niveau mobilier en ce temps-là, et permettant accessoirement de s’asseoir partout !

Outre le design des grands maîtres français, le Bruxellois possède également plusieurs meubles de Donald Judd et raffole des lampes de Gino Sarfatti, qu’il considère comme l’un des créateurs de lumière les plus intéressants et les plus polymorphes du siècle dernier.  » Vous savez, tout est question de passion, confie-t-il. Qu’il s’agisse d’occuper et de profiter d’un logement si extraordinaire que celui-ci ou de chiner pour trouver des objets. Le collectionneur met généralement la barre un peu plus haut que l’amateur moyen. Il s’enthousiasme peut-être parfois exagérément… Mais c’est ce qui rend la vie palpitante, non ? « 

PAR PIET SWIMBERGHE / PHOTOS : JAN VERLINDE

 » C’est une expérience très stimulante pour moi d’être dans cette demeure, qui vous transporte des décennies en arrière.  »

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