De plus en plus sophistiquées, les nouvelles textures apportent toujours plus de sensualité. Addictives, elles nous incitent à ajouter des étapes à notre rituel beauté. Avec, à la clé, une promesse de résultat immédiat.

Connaissez-vous l’effet shittori ? Au Japon, un seul mot suffit pour décrire l’action d’un soin qui laisserait la peau parfaitement hydratée, repulpée et éclatante en un geste. Au pays des rituels beauté en vingt étapes, voire plus si affinités, ce boulot-là revient à un produit qui, loin de se suffire à lui-même comme on pourrait le penser au vu des promesses qu’il annonce, n’est là que pour  » ouvrir la porte « , comme on aime à dire là-bas. Formule hybride entre le tonique et le sérum, la lotion dite de prétraitement, qui prépare la face à recevoir les actifs enfermés dans des soins de plus en plus ciblés, commence à peine à faire son apparition dans les salles de bains occidentales. Mais, si l’on en croit les experts, nous ne pourrons bientôt plus nous en passer. Le secret ? Une texture laiteuse fraîche et réconfortante à la fois, capable de procurer une  » sensation  » d’hydratation intense. La peau mieux hydratée sera plus perméable aux actifs qui viendront s’ajouter par la suite, augmentant ainsi leur efficacité sur le long terme. Le ressenti immédiat – un toucher plus ferme dû à la présence de nouvelles molécules repulpantes ultrasophistiquées, un éclat glossy induit par des nacres et des agents floutants – assorti au plaisir que procure l’application se chargeant de donner l’envie de remettre ça une à deux fois par jour…

 » Dans une routine beauté, chaque étape procure un bienfait, détaille Brigitte Noé, directrice des laboratoires de formulation chez Christian Dior. Si l’on se contente d’appliquer une crème « à tout faire », on sera forcément dans le compromis, car il y a une limite à la quantité d’actifs que l’on peut injecter dans un seul produit. Les textures sérum sont par nature beaucoup plus concentrées.  » Parce qu’il existe désormais une solution pour chaque type de désordre cutané, aussi anecdotique soit-il, les adeptes du  » layering  » ou de la technique dite du mille-feuille ne se privent pas d’empiler les couches. Finalement, la crème, dont on se contentait encore il y a une dizaine d’années, fait désormais office de  » couvercle  » en apportant confort et protection.

 » Plus la routine est complexe et plus on a besoin de sensorialité « , assure Caroline Nègre, chargée de la communication scientifique chez Yves Saint Laurent Beauté, en n’hésitant pas à utiliser un vocable absent des dictionnaires mais plébiscité par les pros lorsqu’il s’agit de désigner la capacité à être réceptif aux sensations.  » Les envies et les besoins des femmes évoluent bien sûr en fonction de leur âge mais pas seulement, souligne Brigitte Noé. La bonne question à se poser c’est : « qu’est-ce qui vous tracasse… en ce moment ? » Parfois c’est la peau qui tire ou qui manque de tonus, parfois c’est le teint qui vire au gris ou les pores qui se dilatent… Même quand on parle tout simplement d’hydratation, il n’y a pas une réponse universelle qui convienne à toutes les consommatrices.  »

LE CHOIX DES MOTS

Pour traduire au mieux en texture réelle les désirs des utilisatrices, les grandes marques de cosmétiques ont développé des laboratoires d’analyse sensorielle. Des équipes dont le travail prend d’année en année de plus en plus d’importance.  » Nos chercheurs ont développé des modèles inspirés par ceux de l’industrie alimentaire – pour les yaourts notamment – ou des peintures automobiles qui permettent d’objectiver des sensations subjectives, explique Marie-Hélène Lair, directrice de la communication chez Chanel. Des remarques comme « ça sent bon, c’est confortable, ça glisse quand on l’applique… » deviennent des formules chimiques. Mais les critères de sensorialité et surtout la manière de les exprimer diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre. La femme asiatique a une autre culture des produits cosmétiques, elle en parle autrement, en utilisant même des expressions qui n’ont aucun équivalent en français.  »

Les mots choisis par les testeuses lambda chargées d’évaluer un produit ne sont pas toujours en rapport avec la composition réelle du produit.  » Il peut nous arriver d’entendre qu’une texture est trop huileuse par exemple, alors que la formule ne contient pas d’huile du tout, détaille Brigitte Noé. En réalité, la texture n’est pas trop grasse, elle est juste trop glissante. La faute à un agent gélifiant qui roule un peu trop sous les doigts. C’est à nous alors de faire la correction qui s’impose.  » Et rendre la galénique encore plus addictive. Ainsi, chez Lancôme, les formulateurs disposent d’un catalogue de plus de 200 types de textures différentes, allant de la solution purement aqueuse à l’huile, en passant par les gels – là aussi aqueux ou huileux -, les émulsions huile dans l’eau ou eau dans l’huile et les bi-phases à mélanger avant usage comme une vinaigrette.

 » Un produit n’est efficace que s’il est appliqué avec régularité, insiste Brigitte Noé. Si l’on n’a pas de plaisir en le faisant, on abandonne. Chez Dior, lorsque l’on nous donne un actif, notre travail c’est de le préserver au mieux et de nous assurer qu’il soit bien biodisponible là où il faut. Nous faisons de l’habillage sur mesure. En ciselant nos textures à petits points.  »

Pour séduire et convaincre d’ajouter – ou au moins de modifier même temporairement – une étape dans le rituel de beauté des Occidentales pressées, rien de tel que l’effet de surprise qu’une texture inédite peut provoquer.  » Aujourd’hui, près de 75 % des produits de soin sont ce que l’on appelle des émulsions directes, rappelle Stéphanie Cheilian, responsable des laboratoire Helena Rubinstein. Soit des émulsions huile dans l’eau, qui contiennent de 15 à 35 % de phase grasse afin de garantir un bon ratio entre nutrition et fraîcheur. L’enjeu sera d’apporter suffisamment de confort tout en incluant un maximum d’actifs quand on sait que la grande majorité des molécules que nous utilisons sont plutôt aquaphiles. La gageure c’est de garantir une concentration en actifs élevée sans compromis aucun sur la sensualité.  »

UN COUP DE BLUFF

Un tour de force qui tient souvent du tour de magie tant l’illusion peut être bluffante. Ainsi, malgré son nom qui pourrait laisser penser que l’on a dans les mains un produit à base d’huile, le nouveau Blue Therapy Serum in Oil de Biotherm reste une émulsion directe. Au contact de la peau, la formule huile dans l’eau, composée de 35 % d’huile dans un gel fondant – la taille micronisée des gouttelettes d’huile assure au sérum son aspect translucide – se transforme, convertissant sa texture sérum en une huile nutritive laissant une sensation douce et veloutée. A l’inverse, le nouveau Sérum-en-Crème d’Yves Saint Laurent Beauté est une émulsion eau dans l’huile, fouettée avec des cires lissantes. Un baume aérien fondant, particulièrement bienvenu pour pratiquer l’auto-modelage.

 » Les phases grasses mais aussi les phases aqueuses sont de plus en plus sophistiquées, insiste Brigitte Noé. Surtout dans les produits premium. Là où pour une crème « classique » on va se contenter d’une huile, d’une cire, de quelques émulsionnants et d’un petit agent gélifiant, nous allons mixer deux beurres, trois huiles de composition et de viscosité différentes qui vont permettre de travailler le soin sur la peau pour qu’il se fonde littéralement sur elle progressivement. Nos textures peuvent contenir jusqu’à quarante ingrédients, dosés au centième de pourcent près. Elles doivent être à la fois fines, fermes et généreuses. Celle de notre nouveau Grand Masque qui sortira en décembre dans la gamme Prestige doit pouvoir se travailler car il est associé à un rituel de massage conçu par la responsable de l’institut Dior à Paris. Il ne pouvait être ni gras, ni pâteux. Ni trop sec non plus puisqu’il fallait donner l’envie de se caresser le visage sans fin. Et pour cela, nous avons une poudre magique dont la composition chimique est très proche de la constitution des cellules de l’épiderme. Elle favorise la pénétration des actifs, mais surtout, elle fond dès qu’on l’étale et la rend toute douce et toute repulpée.  »

Si chaque marque a ses secrets, toutes s’accordent pour dire que c’est du côté de l’Asie qu’elles puisent aujourd’hui leur inspiration.  » Les Occidentales n’opteront jamais pour des rituels aussi complexes que ceux des Japonaises ou des Coréennes, concède Caroline Nègre. Mais elles adopteront volontiers ces nouveaux produits en cure pour répondre à un problème ponctuel ou pour « réinitialiser » la peau lors d’un changement de saison. En ce sens, les textures mixtes, comme les crèmes gels, sont particulièrement tentantes.  » Les nouveaux masques aussi, que l’on travaille au doigt et dont on n’enlève plus l’excédent, qui peuvent certains jours de la semaine remplacer la crème de nuit.

 » Ce qui est sûr, c’est que plus aucune femme n’est prête à attendre deux mois pour voir un résultat, conclut Brigitte Noé. Dans notre jargon, on parle de signal instantané que le produit va donner à la peau. Et qui doit être perceptible par la consommatrice. Une crème « liftante » dont l’effet tenseur est mesurable scientifiquement mais qui ne « tire » pas un petit peu n’enverra pas ce signal d’efficacité. Dans ce cas précis, il faudra même penser à rendre le soin un tout petit peu inconfortable pour envoyer ce signal, justement. En beauté, ce qui se voit ne suffit pas. Ce que l’on ressent est aussi important.  »

par Isabelle Willot

 » Plus aucune femme n’est prête à attendre deux mois pour voir un résultat.  »

 » Plus la routine est complexe et plus on a besoin de sensorialité. « 

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