équipements ultraperformants, domaines plus vastes et pratiques attractives… Après les années snowboard, le ski, le vrai, connaît un nouvel engouement. Weekend Le Vif/L’Express fait le point sur ces disciplines up-to-date.

Ils se balancent, chaloupent d’un bord à l’autre de la piste, signant leur ample trajectoire d’une double empreinte parallèle, nette et profonde. Les amateurs savourent à nouveau le plaisir du ski (le vrai, sur deux planches !) après avoir boudé pendant dix ans ses joies et surtout ses peines. Excédés de passer des heures en chasse-neige pour maîtriser le virage parallèle, beaucoup avaient en effet troqué leurs skis malcommodes contre des snowboards plus séduisants, faciles d’utilisation et sources de sensations inédites. Le ski alpin glissait en dérapage incontrôlé. Le voilà qui revient pourtant en force. Raison majeure de ce retour en grâce, le ski parabolique, inventé par les ingénieurs de Dynastar, a définitivement remisé les longs skis droits au casier. Grâce à lui, les snowboardeurs de la première heure remontent aujourd’hui sur les planches, la trentaine passée. Et le chasse-neige a disparu : les débutants n’ont plus qu’à bouger les oreilles pour tourner.

Pour satisfaire les insatiables  » pistards  » convertis au virage parabolique (grand consommateur d’espace !), les stations ont également entrepris de se relier. Après l’Espace Killy, les Portes du soleil et les Trois-Vallées, deux domaines géants ont été inaugurés l’année passée : Paradiski (mariage des Arcs et de La Plagne) et les Sybelles (six stations de la Maurienne), soit 420 et 310 kilomètres de descentes. A l’intérieur de ces domaines, les pistes retrouvent peu à peu un modelé plus brut, inspiré du relief de la montagne. Les champs de bosses, qui avaient fondu comme neige au soleil, refleurissent, ainsi que les pentes  » non préparées  » (non damées). A côté des boulevards lisses, de nouveaux espaces de jeu sont également apparus pour combler les skieurs plus téméraires : itinéraires accidentés dans des combes et des vallons jusqu’alors inexploités, parcours de cross, aménagement de couloirs, de canyons, de rochers ou de minicorniches où l’on s’initie aux joies du hors-piste sans danger (Espace Slide aux Deux-Alpes, The Rider Space à Pra-Loup). La station de Risoul propose même des zones hors-piste sécurisées les jours où les conditions s’y prêtent. Car, cédant à la tentation de la poudreuse dans les traces de leurs prédécesseurs uniplanchistes, les skieurs poussent leurs spatules de plus en plus loin des pistes, dans l’univers indompté du  » freeride « .

Les amoureux de la glisse sur deux jambes découvrent également les pratiques mises à la mode par le snowboard,  » freestyle  » et  » skiercross « . Ironie de l’histoire, enfin, la plus ancienne des disciplines alpines se remet en piste. Car le télémark comme les nouvelles glisses partagent cette même philosophie du plaisir, mot d’ordre de la révolution du ski…

Freeride

Le village de La Grave, au pied du col du Lautaret, dans les Hautes-Alpes, n’a rien d’une station de ski. Ni pistes, ni télésièges débrayables, ni patinoire, ni discothèque. Juste un téléphérique, construit en 1976, pour monter les touristes au dôme de la Lauze, prendre le bon air et profiter du coup d’£il, à 3 560 mètres d’altitude. Et pourtant, l’hiver, la remontée mécanique délivre 50 000 forfaits à ses fidèles, tous fondus de neige  » naturelle « . Sitôt en haut, ils se dispersent dans les vallons du Chancel ou à l’ombre des faces nord, à la recherche de silence, de communion et d’émotion. Le domaine, une montagne sauvage dévalée en sept minutes et trente secondes par le détenteur du record du derby, offre 2 100 mètres de dénivelé et de liberté. La Grave est devenue la Mecque du hors-piste (baptisé désormais  » freeride « ), un ski d’amoureux des grands espaces, loin des autoroutes damées.

Cette pratique élitiste, aussi vieille que les stations qu’elle veut fuir, s’est démocratisée grâce aux marques de ski, qui en ont fait un outil de communication. Le terme est né en 1992 à Valdez (Alaska), où se déroula la première compétition d’une pratique jusque-là sans règles ni lois. Mais pas sans foi. S’il existe un circuit professionnel avec des  » riders  » capables de franchir sans sourciller une barre rocheuse de 30 ou 40 mètres de hauteur (un ahurissant spectacle médiatisé à outrance), le  » freeride  » est davantage un état d’esprit qu’un sport extrême.  » C’est une philosophie de glisse, un sentiment de flotter et de se fondre dans l’élément « , explique le champion chamoniard Stéphane Dan. Loin des sauts de corniche, ce vertige est accessible aux skieurs prudents, en deux ou trois virages bien balancés dans le panorama grandiose d’un versant inaltéré. A condition û et à cette condition exclusivement û d’avoir recours aux services d’un guide. Eux seuls savent lire les pièges de leur belle montagne. Ils connaissent le terrain, les couloirs et les falaises. Ils voient quand la neige est traîtresse, devinent les crevasses, se méfient de la météo. Et ils s’adaptent aux capacités de leurs clients.

 » Si les skieurs moyens peuvent maintenant s’aventurer dans le hors-piste, c’est aussi grâce à l’amélioration du matériel « , explique Jean-François Collignon, directeur de la Compagnie des guides de Chamonix. L’arrivée de skis larges et flottants (de 80 à 110 millimètres de largeur au patin, au lieu de 62), faciles à manier, a en effet permis aux  » freeriders  » du dimanche de man£uvrer dans la neige profonde.  » A l’origine, ce sont tout simplement des snowboards coupés en deux par des pisteurs canadiens. Puis Atomic a développé le premier modèle commercial pour les sociétés d’héliski « , note Bruno Florit, créateur de la marque de tee-shirts Ski extrême. Effet boule de neige : le hors-piste s’est répandu comme une traînée de poudreuse.

Aujourd’hui, la moitié des skieurs se déclarent pratiquants (mais beaucoup se contentent en réalité de goûter la fraîche en bordure de pistes…). Les plus fortunés se font déposer en hélicoptère au sommet des monts suisses et italiens ou sur les pentes vierges du Canada, du Cachemire, d’Iran, du Kamtchatka, du Chili, de Nouvelle-Zélande… En France, il faut se lever tôt pour dénicher un coin où  » faire sa trace « .  » Il y a quelques années, on trouvait encore des champs vierges trois jours après les chutes de neige. A présent, tout est retourné dans la demi-journée « , constate Bruno Pellicier, président du Syndicat national des guides de montagne. A Chamonix, 80 000 personnes s’engagent chaque année dans l’itinéraire féerique de la vallée Blanche, du sommet de l’aiguille du Midi jusqu’au petit train du Montenvers : 20 kilomètres de ski sauvage sur le glacier et les ponts de neige, au pied des séracs. Dans les Pyrénées, le pic du Midi de Bigorre, 2 877 mètres d’altitude, a été ouvert l’année dernière aux skieurs accompagnés d’un guide (ici obligatoire).

Jean-Charles Bonsignore, le  » patrouilleur  » de la Meije, se poste tous les jours au pied du téléphérique pour vérifier que les gens montent bien avec l’indispensable sac à dos, la sonde, la pelle et l’Arva (appareil de recherche des victimes d’avalanches). Signe encourageant,  » en dix ans, ce marché est passé de 3 000 à 12 000 pièces « , souligne Dominique Boyer, PDG d’Ortovox (principale société distributrice). Mais encore faut-il savoir se servir du matériel de secours. Les stations de Tigne, de La Plagne, de Val-d’Isère, des Deux-Alpes et de Serre-Chevalier organisent des démonstrations gratuites, une ou deux fois par semaine. Sécurité oblige, certains fabricants de textiles et de matériel de ski greffent même des systèmes Recco (une autre technique de recherche) sur les vêtements et les chaussures. A condition de respecter la montagne et de rester humble devant les éléments, le rêve est à portée de spatules…

Ski de randonnée

Ce sont les purs et durs de la montagne. Les randonneurs délaissent le confort moderne des remontées mécaniques et partent à l’assaut de pentes vierges en fixant des peaux de phoque (lanières antidérapantes) sous les semelles de leurs skis. Ils ne rechignent pas à gravir à la sueur de leur front les massifs vierges des Ecrins ou de la Vanoise, récompensées par la cabriole d’un chamois et la descente finale dans la poudreuse. Philippe Lantelme, gardien de refuge, connaît bien ces visiteurs de l’hiver (désormais aussi nombreux que les promeneurs estivaux à pied) : ce sont des contemplatifs plus que des consommateurs de neige,  » qui ont le goût de l’effort et de la liberté « . Ils ne sont pas encore très nombreux.

 » Pourtant, on sent un frémissement, une envie de se réapproprier la solitude de la montagne « , indique Bernard Prud’homme, président de l’office du tourisme de Chamonix. Jean-François Grandidier, responsable du Club alpin français, qui fédère l’essentiel des randonneurs, pointe également  » une demande accrue pour les stages de formation et une augmentation des ventes de matériel « .

Une nouvelle clientèle, moins aguerrie, s’intéresse aussi à la rando. A ces habitués des remontées mécaniques, les guides proposent de chausser les peaux de phoque au sommet des télésièges, pour une marche d’initiation d’une heure ou deux, avec l’assurance d’une belle descente au bout de l’effort. Avant de penser à s’attaquer aux itinéraires légendaires : la route Chamonix-Zermatt ou le Mont-Blanc…

Freestyle

La flèche, c’est ringard. Les jeunes skieurs ne courent plus après l’insigne d’or ou d’argent : ils veulent maintenant glisser sur des rampes d’escalier et tenter le  » big air  » (énorme bosse), comme leurs idoles présentées en couverture des magazines spécialisés. Comprenez : skier, ou plutôt sauter dans un  » snowpark  » sur des bosses, des rampes et des rails. Pour satisfaire les appétits de figures libres de ses élèves fascinés par les exploits d’un Candide Thovex (le prodige qui franchit quatre dameuses d’un saut un seul), l’Ecole du ski français forme depuis trois ans ses moniteurs au  » freestyle  » (c’est ainsi qu’on appelle cette jeune discipline). Les  » snowparks  » s’adaptent également aux débutants, avec des petites bosses et des modules miniatures. Car ce ski acrobatique ne s’improvise pas.  » Il est hors de question de se lancer dans un 360 (un tour complet sur soi-même) sans une bonne maîtrise de ses skis. Et pour s’engager dans un  » pipe « , piste en forme de gouttière, aux parois verticales de quatre mètres de hauteur, il faut être un expert en prise de carre « , rappelle Sébastien Palusci, moniteur aux Deux-Alpes. Moins têtes brûlées que leur image  » à la cool « , savamment construite, ne le laisse paraître, les  » freestylers  » professionnels sont tous passés par le trampoline avant de tournicoter dans les airs les skis aux pieds. Mais, désormais, leurs émules, à l’étroit dans leur ghetto, entendent l’appel des grands espaces immaculés : ils partent, sac au dos, façonner des bosses avec une pelle dans les domaines hors-piste…

Télémark

Dans les montagnes françaises en habit blanc, le bal des télémarkeurs a repris. Désormais, la glisse sensuelle et chaloupée de ces dandys du ski alpin croise de plus en plus souvent la trajectoire moins romantique des avaleurs de pistes. On les voit dans toutes les stations, experts qui maîtrisent la génuflexion et débutants patauds en quête d’équilibre. Ceux-là trouvent désormais du matériel en location (c’est nouveau) dans les magasins de sport, et des moniteurs pour leur apprendre le beau geste. Aujourd’hui, le plus vieux virage du monde mène la danse des tendances.

Le télémark, inventé dans la province norvégienne du même nom, est l’ancêtre du ski. Le 8 février 1868, Sondre Norheim, menuisier de son état, fit sensation au concours d’Iverslokken avec une technique révolutionnaire : le virage ! Jusque-là, les Scandinaves, habitués à se déplacer dans la neige, savaient glisser mais pas tourner. En s’inspirant de la marche, Sondre créa le fameux pas de télémark : une fente avant, le genou intérieur fléchi, qui déclenche le pivotement. Le talon reste libre, grâce à une fixation qui maintient seulement l’avant du pied (à l’époque, une lanière en osier tressé). Le ski moderne était né.

Piqués au vif par cet insolent petit paysan, les notables de la grande ville de Christiania (aujourd’hui Oslo) rétablirent leur suprématie quelques années plus tard avec le virage parallèle et son désormais célèbre planté de bâton, qui finit par effacer le télémark. En France, un petit millier de nostalgiques de la génuflexion se prosternaient encore sur la neige, dans le culte des origines du ski. Le télémark glissait en pente douce vers l’oubli, quand le retour en grâce de la courbe et de l’élégance l’a remis en piste.

En cinq ans, le nombre des adeptes du virage fenté a quadruplé. L’ancêtre a même pris un coup de jeune, à l’image de l’Association française de télémark, relancée il y a peu par une équipe de trentenaires dynamiques (parmi eux, une certaine Amy N’Guyen, championne du monde en titre…) Mais les nouveaux comme les anciens partagent le même goût de la tradition. La course des Black Shoes, à Tignes, rassemble chaque année près de 300 personnes, dans une ambiance vin blanc-tartiflette toute savoyarde.  » Cuisses et foie en coton, s’abstenir !  » proclame le slogan. Georges Baetz, l’organisateur, arbore un costume en drap de Bonneval, filé main à la manufacture Arpin. Son accoutrement de grand-père ne l’empêche pas de faire baver d’admiration les jeunots quand il se lance, un brin provoc’, en  » facky  » (marche arrière) sur une bosse. Ce genre de rassemblement fol- klorico-sportif s’est multiplié : la bien-nommée  » Tournée des quatre fromages « , la  » Belle Fente « , aux Arcs, ou encore la  » Pachonnée  » (du  » pachon « , le bâton utilisé autrefois pour s’équilibrer) à la Rosière. A côté des coureurs qui jouent la montre, casque sur la tête, les lanternes rouges font le spectacle en tenue d’antan, préférant la coiffe ou le béret.

Dossier réalisé par Léa Delpont

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