Fruits et saveuraigres-douces
Quelques mois seulement après son arrivée aux fourneaux de l’Hostellerie Lafarque, à Pepinster, Samuel Blanc s’est déjà taillé une solide réputation de grand cuisinier. Jeune chef au parcours atypique, il fait preuve d’une maestria qui enchante les gourmets. A recommander : sa cuisine salée aux fruits.
Recettes en pages 34 et 36.
Carnet d’adresses en page 96.
L’an dernier, disparaissait Michel Lafarque, l’un des plus talentueux deux étoiles du guide Michelin. D’avis d’expert, sa succession s’avérait ardue, tant la maîtrise culinaire du chef wallon était époustouflante. Il n’a cependant fallu guère de temps pour qu’un jeune cuisinier reprenne le flambeau de l’Hostellerie Lafarque… et fasse l’unanimité de tous les gourmets patentés, par son talent, sa curiosité, et, plus encore, son amour du métier.
Né voici trente-deux ans dans le Jura français, Samuel Blanc étudie la cuisine à Poligny, une des cités de référence du Comté, région naturelle où ses parents sont producteurs laitiers. Ses études terminées, il décide d’aller voir ailleurs ce qui se passe. Première étape : les Forges du Pont d’Oye, à Habay-la-Neuve. Deux ans plus tard, il met le cap sur l’Allemagne… où le jeune homme n’entend pas faire du surplace : » Il existe en Allemagne un classement des restaurants basé sur les cotations dans les guides les plus réputés. Je travaillais pour le n°11. J’ai donc écrit aux dix premiers. » Une réponse arrive et elle émane de Harald Wohlfahrt du restaurant Schwarzwaldstube, le numéro 1 en personne, triplement étoilé depuis1992. Durant quatre ans et demi, Samuel Blanc va donc £uvrer au sein du navire amiral de la cuisine allemande, auprès d’un des plus grands chefs contemporains, fréquentant ainsi la clientèle exclusive et internationale des grands hôtels de la Forêt-Noire. Deux ans plus tard, il devient le bras droit du chef, sa doublure. » Avec Harald Wohlfahrt, confie-t-il, on apprend la précision, l’exactitude des goûts. C’est un homme très méticuleux, ouvert sur toutes les cuisines du monde. Beaucoup de tables de France ou d’ailleurs peuvent l’envier. Malheu-reusement, hors de ses frontières et d’un public de connaisseurs, la grande cuisine allemande est totalement méconnue. »
Samuel Blanc devient chef à part entière voici un peu plus d’un an. Il se retrouve alors dans un restaurant familial, en Alsace, avec la mission de conquérir une étoile Michelin, but qu’il atteint en quelques mois à peine, lors de l’édition 2003 du guide. C’est alors Harald Wohlfahrt, consulté par Agnès Lafarque, qui le met sur la route de Pépinster, pour succéder à Michel.
Amoureux de la campagne, Samuel Blanc peut y épanouir ses passions pour les produits frais. » Peu de temps après mon arrivée en Belgique, souligne-t-il, j’ai eu l’occasion de suivre un stage du célèbre herboriste François Couplan, qui a notamment travaillé avec Marc Veyrat. La région de Pepinster, avec les Fagnes et le plateau de Herve à proximité, est riche en plantes sauvages que je vais intégrer dans mes plats. Michel Lafarque avait aménagé un potager bien protégé par des murs ; nous allons poursuivre dans cette voie en cultivant, comme lui, des légumes moins connus. »
C’est lorsqu’il exalte les saveurs de ses cueillettes dans l’assiette que Samuel Blanc est au sommet de son art. Chaque préparation fait l’objet d’accords de goûts et de textures, élaborés avec une rare minutie. Si certaines assiettes peuvent présenter des mariages insolites, comme ces tomates et shiitake alliés à de la mangue et de l’ananas, elles s’avèrent cependant très équilibrées en bouche, par un jeu de saveurs qui trouve souvent son secret dans les sauces.
Les fruits font aussi partie du répertoire de Samuel Blanc. Ils accompagnent, par exemple, une de ses recettes de foie gras. » A la fin du printemps, je le sers avec des cerises, commente-t-il. Pour respecter l’équilibre sucré et salé, je commence par un caramel de miel et de romarin, déglacé avec du jus de citron et/ou du vinaigre. Au dernier moment, j’assemble cette base avec des cerises fraîches dénoyautées et sautées à la poêle. Plus tard, en été, j’utilise des abricots, un mélange de coulis et d’abricots grillés, pour donner un peu de nervosité à ce fruit, plus rond que la cerise. »
Pour Samuel Blanc, les fruits sont à envisager comme » une épice parmi d’autres « , un moyen de construire les saveurs. Ils ne sont toutefois jamais servis à l’état brut. Ils entrent dans l’architecture du plat, surtout dans la confection des aigres-doux. » J’ai récemment été tenté par la beauté du pitahaya, s’enthousiasme-t-il. Avec sa chair émaillée de grains noirs, ce fruit est très beau. Quand vous le goûtez cru, certes, il n’est guère intéressant. Mais je l’incorpore de deux manières. D’abord en le déshydratant, ce qui a pour effet de concentrer les saveurs et d’apporter une note croustillante que vous trouvez dans toutes mes assiettes. Ensuite, j’en ai fait un coulis relevé avec des saveurs exotiques : le citron vert, le cayenne, le gingembre et même la coriandre. Ce pitahaya se marie très bien avec du thon mi-cuit, un poisson qui accepte à la perfection la présence de fruits. »
Il ne faut guère multiplier les exemples pour comprendre que l’école de la perfection du maître Harald Wohlfahrt a engendré un élève de grand talent. Et le futur est là pour le confirmer…
Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici