Au moment où la maison Fauchon, temple parisien de la gourmandise, fête ses 120 ans, elle embauche, en signe d’innovation, une jeune femme japonaise à la tête de ses cuisines salées. Rencontre avec la très zen Fumiko Kono.

« Chez Fauchon, j’ai apporté un peu de féminité, de légèreté, et une touche internationale « , dit-elle. Petit polo bleu marine et pantalon noir, Fumiko Kono ressemble à la grande s£ur de Chihiro, avec sa queue de cheval. Chef des produits salés de Fauchon, cette célébrissime adresse gourmande parisienne, elle semble particulièrement zen. Sa brochette de coquilles Saint-Jacques à la citronnelle est un best-seller du rayon traiteur, mis en scène par l’élégante agence de design Desgrippes, Gobé group. Mais la jeune femme propose également une version light d’un classique de la maison, l’£uf norvégien. Cuisine les risottos avec du riz japonais.

Fumiko trouve des idées partout. Par exemple à Belleville, dans son restaurant vietnamien favori, qui lui a inspiré l’idée de joindre aux préparations des herbes fraîches à ajouter au dernier moment.  » Mon rôle, c’est d’apporter une sensation de fraîcheur, de cuisine faite à la minute, dans un rayon traiteur.  » Est-ce bon ? La mousse de poivrons rouges, pas mal, consommée très frais. Mais, franchement, la madeleine à la truffe a un drôle de goût d’hydrocarbures. Et la chouquette foie gras, champignon noir, chocolat, marron, faut voir. En tout cas, c’est beau, ce qui est essentiel chez Fauchon, racheté il y a deux ans par Michel Ducros (les épices).  » L’alimentation de luxe, c’est d’abord un plaisir des yeux. D’ailleurs, on dit  » dévorer des yeux « , explique Isabelle Capron, directrice générale de la maison, qui fête, cette année, son 120e anniversaire. Chez Fauchon, nous nous situons au carrefour de la mode, du design et du goût.  »

La cuisine très décorative créée par Fumiko correspond à cette exigence. Sa verrine de poivrons rouges, couleur de fard à joues, et surtout sa feuille de brick, translucide comme une page d’herbier, sont très photogéniques. Autant que l’éclair Smocking, noir et blanc, de Christophe Adam, aux commandes du sucré, qui a fait une pleine page dans le magazine  » Elle « . Tel un accessoire de mode.

C’est dans un jardin potager, au Japon, que s’est formé le goût de Fumiko, auprès d’un grand-oncle très aimé, Tatsujiro.  » Quand j’étais petite, je sortais peu de la maison. Mon grand-oncle, qui a remplacé mon grand-père mort pendant la Seconde Guerre mondiale, cuisinait, sans véritablement être un cuisinier « , raconte Fumiko. Amateur raffiné de saké, il l’accorde – comme un vin – à de petites assiettes, prunes marinées,  » soba  » (les nouilles de sarrasin), qu’il prépare lui-même. Il ne mélange pas les goûts arbitrairement, il a un grand respect pour la pureté des produits : ils doivent être naturels et d’une grande qualité.  » Dans son petit potager, il ramassait des herbes, les faisait en tempura, que nous mangions avec le « soba », poursuit Fumiko. A mes yeux, la transformation des herbes, que je l’avais vu cueillir, était magique. Au printemps, nous récoltions les fleurs des cerisiers pour confectionner un confit en les faisant mariner avec du gros sel ; en automne, nous cuisinions le riz avec les châtaignes. Dès l’âge de 3 ou 4 ans, je l’aidais, et je préférais cela à toute autre chose…  »

En 1993, lorsqu’elle s’inscrit à la Sorbonne, Fumiko veut être journaliste. Elle ne parle pas un mot de français :  » Parfois, le soir, je pensais : la seule personne à qui tu as parlé aujourd’hui est la boulangère, à qui tu as dit : « Je voudrais une demi-baguette, s’il vous plaît. » Mais j’étais heureuse, car je suis une solitaire, au fond.  » Le mari de Fumiko, journaliste, vit à New York. La dernière fois qu’elle l’a vu, c’était en janvier dernier. Et pas beaucoup, car il a dû partir à Cuba lorsqu’elle est arrivée aux Etats-Unis. En l’attendant, elle joue du violoncelle. La cuisine française, elle l’a découverte par hasard chez Alain Passard, à l’Arpège, où une amie l’avait invitée.  » Un coup de foudre. Le produit le plus frais possible, cuisiné à la minute et mangé tout de suite : j’ai revu mon oncle.  » Elle demande, et obtient, un stage… de nettoyage, avant de passer en cuisine. Surtout, elle apprend enfin à bien parler le français.  » J’ai commandé un jour 2 kilos de poireaux jeunes. Sont arrivés 2 kilos de poivrons jaunes. M. Passard m’a engueulée. Là, j’ai commencé à faire attention…  »

Après l’Arpège, Fumiko a préparé des dîners pour des clients situés aux quatre coins du globe, créant une cuisine légère et internationale.  » J’aime pratiquer une cuisine subtile par allusions, par associations de goûts, dans laquelle le client est surpris sans être égaré par trop d’étrangeté. Je déteste ce qui est caricatural.  » Fauchon doit lancer bientôt un bar à sandwichs, préparés à la minute, projet qui lui plaît, la ramenant à ses goûts d’enfance. Que préparera-t-elle pour son dîner ce soir ? Un plat de pâtes (du  » soba « ). Comme toujours, lorsqu’elle est fatiguée, Fumiko mange japonais. C’est plus digeste.

Marie-Dominique Lelièvre

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