Aujourd’hui, le packaging revendique sa place dans les meilleures caves. Blasons dessinés par des couturiers ou des designers inspirés. C’est sûr, l’emballage emballe… Zoom sur des étiquettes très stylées.

Carnet d’adresses en page 119.

Sur un fond blanc, une grappe de raisins ultrastylisée, dorée à chaud, porte la signature de la styliste Agnès b. L’étiquette serait sans doute passée inaperçue s’il ne s’agissait de vin, et pas n’importe lequel : un saint-émilion grand cru, sous-titré  » le vin haute couture  » et lancé en juillet dernier. Ce château l’Evêché 2003, joliment emballé par la styliste parisienne, a donc osé l’improbable, l’alliance de deux mondes peu enclins à fraterniser, celui des catwalks et du sarment.  » Au début, les négociants bordelais nous ont regardé de haut, confie Jacques-Louis Rufenacht, gérant de FJL, une société de négoce sise à Saint-Emilion. Nos petits voisins nous ont tiré dessus à boulets rouges et puis ça s’est calmé et certains ont même fini par apprécier notre démarche. Le CIVB (syndicat viticole des vins de Bordeaux) a compris que nous ne voulions pas dénaturer l’image de Saint-Emilion, au contraire.  »

Avec son ami François Quentin, £nologue et propriétaire depuis 1997 du vignoble de l’Evêché, cet ex-consultant, n’en est pas à son premier coup d’essai. En 2001 déjà, les deux complices écrivent à Sonia Rykiel pour lui expliquer leur démarche, la volonté d’associer un vin de qualité, qu’ils jugent très féminin par ses tannins soyeux et son goût rond, à une image plus contemporaine qui serait liée au vêtement.  » Elle a pris le temps de la réflexion, se rappelle Jacques-Louis Rufenacht, elle voulait s’assurer que le produit était bon, l’a fait tester à des amis £nologues qui l’ont validé. Ensuite tout est allé très vite. Elle avait carte blanche mais elle a été très investie dans son travail. Elle craignait que ses propositions ne nous plaisent pas alors que le fait qu’elle accepte l’idée était déjà pour nous une réussite absolue !  » Et c’est Sonia Rykiel qui aura l’idée d’intégrer dans son dessin une grappe de merlot qui deviendra le leitmotiv graphique.

L’année suivante, Paco Rabanne conçoit, lui, une étiquette de la cuvée 2001 rappelant ses fameuses robes métalliques des années 1960. Et le couturier de préciser, au passage, que le  » premier geste de Noé en débarquant de l’arche fut de planter la vigne ! « . Le dernier millésime porte donc la griffe d’Agnès b. qui a également réalisé l’étiquette de l’Esquisse de L’Évêché, une nouvelle gamme de bordeaux, plus accessible.

Accusé un temps de succomber aux sirènes du marketing, malgré les excellentes notes de dégustation du château l’Évêché, Jacques-Louis Rufenacht nuance les attaques.  » Lorsque l’on sait que le territoire de Saint-Emilion compte plus de 1 000 producteurs de vin et autant de cuvées, on est obligé de sortir du lot. Il ne faut pas oublier que si les grands crus classés, type Cheval Blanc, bénéficient de moyens considérables pour leur publicité, les grands crus, pour leur part, sont noyés dans la masse et ont du mal à se frayer un chemin. Si l’un des moyens de se faire remarquer consiste à créer un packaging innovant et de qualité, où est le mal ? » Un concept qui semble pertinent puisque les 6 000 bouteilles numérotées de château l’Evêché ont été épuisées en un temps record avec un succès de vente notoire au Japon.

Pour Gabriel Despagne, graphiste spécialisé dans le packaging de vins et fils de viticulteur bordelais, l’Asie est assurément un marché porteur, moins attaché que l’Hexagone à l’image du bordeaux classique,  » avec ses blasons vieillots qui évoquent la France de Louis XIV « .  » Les vins de Bordeaux perdent chaque année un peu plus de parts de marché, la crise pousse le milieu à une remise en question, commente-t-il. Pour les gens qui ne sont pas des amateurs éclairés, le sentiment qui se dégage d’une bouteille est primordial. L’étiquette joue désormais une place de plus en plus importante dans l’acte d’achat.  »

Pour la cuvée Essence de Dourthe 2002, le designer a opté pour une épure maximale, avec pour seule référence au monde des cépages, une microgoutte de vin. Pour le Piedra Negra 2000, un vin argentin placé sous la houlette de récoltants français ou le Château des Erles, un fitou 2003, exit les dessins du joli château et de ses dépendances au profit de lettres qui se superposent pour de subtils effets de profondeur de champ typographique. Très graphique, elle aussi : l’étiquette de la cuvée 2003 du château Brassac.  » Dans ma démarche, j’essaie de  » sortir  » de l’étiquette tout ce qui n’est pas nécessaire, martèle Gabriel Despagne. Je ne veux pas céder à la mode du packaging flashy, très en vogue, mais simplement réinterpréter les codes traditionnels du bordeaux.  »

Avec une nouvelle génération de consommateurs, à la sensibilité très urbaine, les producteurs et négociants n’hésitent pas à prendre un virage à 180 degrés. Jean-Baptiste Senat, qui a quitté Paris avec sa femme Charlotte pour s’installer dans le Languedoc, produit depuis 2003 des vins nature particulièrement décomplexés. Son millésime  » Mais où est donc Ornicar « , très prisé également au Japon, a été designé avec succès dans un style néoconstructiviste, par un graphiste italien que ne le quitte plus, Gianfranco Pontillo. Le duo vient de mettre en scène,  » Les Arpettes  » dont le packaging consiste en un alignement de bandes multicolores et de lettres déconstruites.  » Pour le prochain millésime, on rapprochera un peu les lettres, reconnaît Charlotte Senat, car certains consommateurs ont vraiment du mal à lire le nom !  » Décidément moins corseté par les traditions que le bordelais, le pays d’Oc multiplie les blasons en roue libre comme l’illustre l’écusson post- » scrabble  » du Florilèges 2004, un petit rosé à base de grenache et de merlot vinifié par Stéphane Laroche.

Si les graphistes reconnaissent l’importance des vins du Nouveau Monde dans le bouleversement du packaging, Sacha Lichine, 45 ans, négociant qui a grandi à New York et étudié à Boston, avant de s’installer à Megève, s’en revendique sans ambiguïté.  » Depuis bien longtemps les vins de Napa Valley ou d’Australie osent le décalage !  » affirme-t-il. Son catalogue ne recule devant aucune audace :  » Sexy bourgogne Chardonnay « ,  » Hot Pinot noir  » ou gris de gris étiqueté  » Le Poussin Rose « , dessin d’£uf en prime concocté par un cabinet de graphisme britannique.  » Les gens ont beaucoup de mal à se repérer entre toutes les appellations contrôlées. Notre approche, plus anglo-saxonne qu’européenne, vise à plus de simplicité, dans le bon sens du terme. On voudrait nous culpabiliser mais c’est du plaisir que nous voulons offrir, avec la volonté de démystifier le Vin avec un grand V.  »

A Azille, dans le sud de la France, Laurent Duménil et Ludocic Remaury ont fondé récemment XL Wines, un label clairement tourné vers une clientèle trendy. Leurs vins multicépages (un rouge, un blanc et un rosé, nourris au soleil de la Méditerranée) au format hors standard, s’ornent d’un logo de cadran, directement sérigraphié sur le verre. Leur intitulé – 11 : 30 a.m, 8 : 30 p.m, 12 : 30 p.m. – pousse avec talent un peu plus loin le bouchon de l’avant-garde. En attendant, un nouveau cru, baptisé  » Jet-Lag « , pour mieux mesurer le décalage.

Antoine Moreno

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