Dans la foulée du succès des produits de terroir, la cuisine basquaise connaît aujourd’hui son heure de gloire. Des restos gastronomiques aux bars à tapas branchés, on ne compte plus les adeptes de la basque attitude. Tour d’horizon à Paris et à Bruxelles.

Carnet d’adresses en page 51.

La Famille ? On s’y rue. Ce petit resto du XVIIIe arrondissement, caché dans la rue des Trois-Frères, l’épicentre du quartier d’Amélie Poulain, est le dernier coup de c£ur du Tout-Paris. On se trouve ici sur la Butte Montmartre, à équidistance de la place du Tertre et de Pigalle. Inauguré il y a peu, l’endroit fait salle comble tous les soirs. L’ensemble de la presse parisienne branchée, de  » Jalouse  » à  » Nova Magazine « , a salué avec verve son ouverture. Les journalistes les plus pointus se sont gargarisés des subtilités de la carte qui propose l’une des plus ambitieuses cuisines fusion û comprendre  » qui mélange des ingrédients d’horizons alimentaires différents  » û du moment.

A la tête de La Famille ? Deux cousins : Patrick et Yannig Samot. Au départ ? Beaucoup d’envies. Celles de Yannig, comédien, et de Patrick, directeur artistique dans une agence de pub. L’un aime voyager à travers la France des bons produits. L’autre se plaît à inviter ses amis en créant des atmosphères. A deux, leur idée, c’est de recevoir bien et bon comme à la maison. Et ils ont illico trouvé le lieu rêvé : une petite maison annexée à un immeuble aux contours de baby loft new-yorkais.

Bien au courant des attitudes et des tendances qui secouent la capitale hexagonale, le tandem a visé juste en s’associant au jeune chef basque Inaki Aizpitarte. Cet ancien second du Café des Délices est parti peaufiner son art culinaire aux quatre coins du globe pour revenir à Paris en maître d’une cuisine fusion inspirée : noix d’entrecôte du Brésil, café pain grillé et épinards ; thon mi-cuit avec fruits secs et polenta… Inaki voyage dans l’assiette tout en laissant parler ses racines : piperade et, dans plusieurs plats, dont le divin pot au chocolat, quelques copeaux de piments d’Espelette. Aizpitarte tente, ose, expérimente. Meilleur exemple ? Les  » Dimanches miniatures « , un concept sympa qui, chaque premier dimanche du mois, nous convie à tester tous les plats de la carte en version tapas.

La déco de La Famille célèbre le fait main, le bricolage éclairé : des chaises évoquant le design scandinave aux grosses enceintes acoustiques vintage Elipson, en passant par les couverts et les nappes… Les murs affichent une belle couleur mastic avec des clins d’£il décalés : une grande toile tendue explique la fabrication du sucre, une photo signée Lian Hong montre un chat aux prises avec une table de mixage, des portraits de Zoulous datant des années 1970 se succèdent gaiement… Trente-deux couverts se partagent l’endroit, dont dix disposés autour d’une grande table d’hôtes. Ultime preuve de l’esprit de famille qui règne ici : la collection de vieux vinyles et les deux platines qui permettent à tout un chacun de jouer au DJ. Sans oublier, le bracelet  » La Famille, c’est important  » que les patrons ne manquent pas d’attacher autour du poignet des clients.

 » Aizpitarte symbolise un nouveau souffle de la cuisine basque, commente Philippe, graphiste et l’un des fidèles de La Famille. Il appartient à ces nouveaux talents qui ont repris le savoir ancestral pour faire des merveilles. Inaki travaille les produits de son terroir tout en ne craignant pas de les confronter aux ingrédients venus d’ailleurs. Nous étions de nombreux fils du pays et d’ailleurs à attendre ce genre d’approche détonante exprimant tout le côté flamboyant du pays Basque. La preuve : l’adresse connaît un succès sans faille .  »

Un terroir bien coté

Pour Emmanuel Rubin, chroniqueur au  » Figaroscope « , l’engouement pour la cuisine basque prend sa source dans un terroir exceptionnel.  » Il s’agit d’une région très riche, souligne-t-il. Entre la côte avec tous les produits de la mer et l’arrière-pays voué aux traditions pastorales et agricoles, il y a la place pour une série impressionnante de produits. C’est la force de la cuisine basque : elle n’a que l’embarras du choix.  » Il est vrai que ce pays verdoyant, à cheval sur la France et l’Espagne, possède un climat tempéré idéal pour garantir un élevage, une culture de légumes et de fruits d’une qualité remarquable.

Au rayon des délices, la liste est longue : le foie gras, les jambons, les chipirons (calamars), les piments d’Espelette… Sans oublier les très trendy pimientos del piquillo, des petits poivrons qui poussent du côté espagnol, délicieux lorsqu’ils sont fourrés de fromage ou à la morue. Côté boissons, deux appellations viticoles se distinguent. L’Irouleguy et surtout le Txacoli, un vin que l’on sert à la façon du thé à la menthe marocain en l’oxygénant pour en faire passer l’amertume. Il faut également compter sur l’Izarra, une liqueur qui peut être jaune (40°) ou verte (48°). Plusieurs plats cuisinés basques ont le vent en poupe. C’est le cas de l’axoa, un émincé de b£uf û ou de veau û relevé avec des épices, et de la piperade, mélange de tomates, d’oignons et de piments frits préalablement. Cette lame de fond basque impose aussi la plancha (une plaque de métal très chaude qui permet de cuire les aliments en les saisissant et en les débarrassant d’un maximum de graisse), une méthode de cuisson qui n’en finit pas de faire des adeptes.

Outre La Famille, qui constitue l’une des enseignes les plus avant-gardistes, d’autres adresses parisiennes rendent hommage au savoir-faire basque. Parmi celles-ci, il ne faut pas manquer l’Hamaïka de Benjamin Triolet, un jeune Basque monté à Paris. Avec son air de ne pas y toucher et de petits moyens, il s’est débrouillé pour dessiner un endroit à l’atmosphère singulière. Un lieu hybride qui échappe aux lois du genre qui voudraient qu’un restaurant  » terroir  » affiche un look pseudo-rural. Ni architecte d’intérieur, ni grand bricoleur, Benjamin a fait appel à son imagination pour réussir une déco très personnelle à deux vitesses. Au rez-de-chaussée, on est du côté de la matière brute. Une cinquantaine d’ampoules mises à nu distillent une lumière feutrée. Les murs hésitent entre le béton patiné avec de la colle à carrelage û une vraie réussite û et du gros bois chaleureux. Une longue banquette, en bois elle aussi, longe le mur en faisant face au comptoir. Au sol, le plancher donne de la noblesse à l’ensemble. Rupture à l’étage où l’on pénètre une autre ambiance. Le rouge règne en maître dans une pièce exiguë qui prend des airs londoniens. Même tonalité pour le lustre chiné et les imposantes armoires dans lesquelles des cartons contiennent en vrac pimientos del piquillo et sangria ibérique. A coups de petites bouteilles de sauce pimentée, Benjamin stimule les sens. Il a suspendu les Serrano et les piments d’Espelette au-dessus de son comptoir. Et la série de tapas, qui chaque jour orne le zinc au moment de l’apéro, se découvre comme une invitation à la gourmandise. Pinxos (tapas avec du pain), chorizo, anchois marinés, chausson d’axoa s’offrent en rang d’oignons pour se marier avec un verre de Sangre de Toro bien charpenté. La carte jetée négligemment sur l’ardoise recèle plusieurs perles : la côte de b£uf d’un kilo servie sur le billot et provenant d’un petit boucher top secret, les gambas flambées au whisky et Tabasco, les moules à la plancha. Sans oublier les cogollos, de délicieux c£urs de laitue enroulés de Serrano et poêlés au vinaigre de Xérès.

Parmi les bons plans, on citera également, Bellota-Bellota et La Plancha. Si la première adresse n’est pas exclusivement basque, elle permet néanmoins de goûter le fin du fin en matière de pimientos del piquillo. Pour être en phase avec l’âme des produits qu’il défend, ce lieu d’exception ne pouvait être qu’intime. La déco de carrelages et de jambons pendus au plafond confèrent une atmosphère de bistro chic. Une vingtaine de places assises et une petite table d’hôtes dans la cave voûtée permettent aux convives de se délecter en toute décontraction. Raffinement et simplicité : le jambon qui est servi, du Pata Negra, l’est de façon presque brute avec juste une fine compote de tomates et du pain de campagne de l’excellent boulanger Poujauran. La Plancha, quant à elle, s’affiche comme une véritable bodega. Le patron fait partie des précurseurs en la matière puisque cela fait treize ans qu’il a ouvert ce restaurant. Le décor mêle en vrac affiches de corrida, photos rétro, breloques et croix basques. L’endroit est idéal pour déguster des tapas hors pair : jambon pata negra, sardines à la basquaise et calamars à la plancha.

A Bruxelles aussi

Bruxelles n’a pas à rougir. La capitale belge n’a pas manqué le train de la basque attitude… Ce, grâce à Frédéric Boutry. Son Fils de Jules a pris tout le monde de vitesse, il y a une petite dizaine d’années déjà. Dédié à la cuisine basque et landaise, l’enseigne ixelloise offre en plus un cadre minimaliste d’inspiration Art déco. La salle se partage entre de belles tables en bois, de grandes banquettes en moleskine et un décor de verre et d’acier. Cette approche mêlant modernité et terroir basque est unique ; même Paris ne peut s’enorgueillir. A la carte, on retrouve des mets classiques : chipirons à la plancha, axao d’Espelette, piquillos à la bacalao… Mais aussi des interprétations plus audacieuses comme ce gâteau basque accompagné de confiture de cerise et de crème anglaise à l’Izarra. Récemment, Frédéric Boutry a encore élargi ses horizons gourmands en ouvrant une épicerie dédiée aux produits basques. El Vasco, la bien nommée, permet de glaner tous les incontournables du terroir basque. Cette sélection û effectuée sur place par la mère du patron restée au pays û prend place dans un agréable cadre de bois sentant bon la convivialité rurale. Une petite table d’hôte à l’arrière invite le midi à déguster les différents produits régionaux : jambon de Bayonne et fromages des Pyrénées.

Dernier venu à Bruxelles dans le créneau et à mille lieues de l’approche du Fils de Jules, Comocomo prouve la popularité de la gastronomie basque. Ce bar à tapas d’un nouveau genre s’est ouvert, il y a un an, rue Antoine Dansaert. Il n’y avait pas de meilleure adresse que cette rue mythique du dowtown bruxellois pour accueillir ce concept inédit croisant terroir basque et fast-food. Sous-titré  » Use your fingers  » ( » utilisez vos doigts « ), le Comocomo est dédié aux pintxos (prononcer  » pinchos « ) du nom de ces gourmandises basques à base de pain, de poissons, de viandes et de légumes. Pour chaque catégorie de plat une couleur : le vert pour les légumes (veggies), le rouge pour le porc (porkies), le mauve pour les préparations à l’ail (garlikies). Le must de la carte ? Le pintxos  » pimiento del piquillo « , soit du pain garni avec le fameux poivron rouge fourré au fromage de chèvre. Le maître des lieux, Sebastian Sanchez-Peña, a directement importé la formule des bars branchés de San Sebastian. Non sans ajouter plusieurs touches personnelles : une déco contemporaine basée sur le béton brut, l’inox, des tuyauteries apparentes, un tapis roulant inspiré des bars à sushis londoniens ainsi qu’une sélection de vins et de produits du terroir basque. Détail amusant : les longues tables du fond sont munies de prises permettant aux  » addicts  » de surfer sur Internet tout en grignotant. Bruxelles peut donc se vanter de disposer du premier  » fast  » basque.

Michel Verlinden

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