Oubliée, l’époque des frites grasses englouties entre deux schuss. Désormais, altitude et raffinement culinaire vont de pair. La preuve à Val Thorens, station délicieuse qui montre le chemin à suivre.

À 3 200 mètres d’altitude, le regard embrasse le panorama à 360°. Au loin, le massif du Mont-Blanc dessine sa silhouette sur fond d’azur. A l’opposé, c’est la barre des Écrins et de l’Alpe d’Huez qui dévoilent leurs contours enneigés.  » Vous êtes ici au coeur des Alpes, la plus belle vue que l’on puisse avoir sur cette chaîne montagneuse « , commente avec fierté Camille Rey, l’un des pionniers de Val Thorens. Ce point de vue imprenable, c’est la Cime Caron, sommet mythique du domaine des 3 Vallées. Depuis la table d’orientation où l’on fait le plein de sérénité contemplative, un détail en contrebas attire l’oeil. Un petit chalet dédié à la restauration, dont les propriétaires s’activent à dégager la terrasse d’une épaisse couche blanche. Que peut-on bien manger si haut perché ? De la pizza baguette surgelée ? Du hot-dog avachi ? Bonne nouvelle : vous n’y êtes pas du tout. Sous l’impulsion de Jean-Pierre Baralo, le Caron Freeride Café est devenu le rendez-vous prisé des riders éclairés. Ce baroudeur, dont les spatules affichent 3 millions de kilomètres au compteur, a promené ses skis dans quelque 180 stations du globe. À 50 balais, l’homme qui est à l’origine du ski-cross a mis ses années poudreuses derrière lui. Mais il n’a pas posé ses valises n’importe où. Avec Eva, son épouse suédoise, et son chien Flocki, il a décidé de reprendre ce qu’il considère comme  » l’affaire la plus difficile de Val Thorens « .

 » En décembre dernier, on a enregistré une température de -34°C. Le froid et l’altitude sont des problèmes constants. Tous les aliments doivent être isolés sous peine de geler. Même si c’est souvent la galère, je ne regrette rien, la Cime Caron est le départ du Lac du Lou, le plus bel itinéraire hors piste de la station, celui qu’empruntent ceux qui veulent échapper aux remontées mécaniques. Ces aventuriers-là ont bien droit à une nourriture digne de ce nom « , s’enthousiasme-t-il. Pour régaler les amateurs de sensations extrêmes, pas de menu mais quelques plats à la carte proposés en fonction de l’approvisionnement. Cette formule  » bienvenue chez nous « , comme l’a baptisée Baralo, s’est déjà fait connaître dans la vallée et au-delà pour son burger d’exception. La raison de ce succès ? Une viande de bison bio dénichée chez un éleveur du coin, qui croise le fer avec l’incontournable fromage local, le beaufort. Le tout servi avec de la salade et des frites fraîches. En guise de dessert, les spécialités scandinaves réalisées sur place par Eva, dont d’exquises brioches à la cannelle…

ALTITUDE ATTITUDE

Dans un contexte d’émulation culinaire, la station la plus haute d’Europe a compris l’intérêt d’ajouter une corde gastronomique à son arc. Depuis quelques années, la destination est valorisée et mise sur une clientèle aisée davantage que sur le public jeune qui a fait sa réputation. En témoigne, l’ouverture de plusieurs hôtels 5-étoiles pour les saisons à venir. Ce nouveau public entend se restaurer à la hauteur de ses moyens. Message reçu cinq sur cinq par plusieurs enseignes. Sur la piste des Dalles, le Chalet de la Marine épate par la qualité des assiettes qui résulte de l’exigence de deux frères perfectionnistes, Cédric et Arnaud Gorini. Tout autour, le décor a beau être quasi lunaire – les pierres prennent ici le pas sur la végétation -, la carte offre une belle latitude, d’une portion de caviar aux harmonies exotiques d’un potage Pho, en passant par un foie gras mi-cuit au chutney de pomme et coing. Par grand froid, le décor bardé de bois, l’odeur du feu et les vieux outils accrochés aux murs invitent à se tourner vers la partie plus bistronomique de la carte, tel un délicieux pot-au-feu aux légumes d’antan, accompagné de trois moutardes – à l’ancienne, aux cornichons et au gros sel. Le regard divague face à l’onctuosité du boeuf et la texture veloutée des légumes. Quel chef est capable de rendre hommage à la cuisine bourgeoise à une telle altitude ? En réalité, ils sont trois. Josselin Jeanblanc et Olivier Caillère, ainsi que Romuald Fassennet, Meilleur Ouvrier de France et chef étoilé, qui intervient comme consultant. Cerise sur le festin : un incroyable buffet de desserts signé par Xavier Brignon. Tarte aux myrtilles, guimauves maison, gâteau au caramel et fruits secs, île flottante, tarte au citron, mousse au chocolat (qui n’a pas fait de détour par le frigo), pommes d’amour… Largement de quoi faire exploser le bouton de sa combinaison de ski.

HÔTELS FONDANTS

Couplé à la très réputée Folie Douce, sulfureuse boîte de jour en plein air, le restaurant La Fruitière appartient également aux adresses qui comptent à Val Thorens, même s’il faut avouer qu’elle s’affiche un cran en-dessous du Chalet de la Marine. Sous la charpente cérusée, le décor restitue l’atmosphère d’une vieille laiterie, vieux pots à lait à l’appui. La carte se révèle plutôt consensuelle, entre un travers de porc aux cinq épices, un pavé de bar sauvage à l’encre de seiche et coulis d’écrevisse, ainsi que des coquillettes à la truffe noire en guise de clin d’oeil iconoclaste. Côté vins, la présence d’un Château Cheval Blanc 2007 à 770 euros le flacon en dit long…

Autre signe de la montée en gamme de Val Thorens : l’Altapura, hôtel figurant dans le portfolio du groupe Sibuet depuis 2011. Pour rappel, Jocelyne et Jean-Louis Sibuet ont développé un nouveau créneau hôtelier à la fois luxueux et intimiste, d’abord à Megève, ensuite vers le sud de la France, avec du grand confort souvent servi par des spas très prisés. C’est sous l’intitulé Skipalace que s’avance ici leur bébé, tant le bien-être constitue l’axe central du lieu : Mac Mini dans les chambres, conseils et exercices physiques d’un coach sur la télé privée, décoration nordique moelleuse et feutrée, soins de récupération au spa… Et bien sûr, trois restaurants dont le très classieux Les Enfants Terribles, brasserie proposant des plats de rôtisseries ou un banc d’écailler au large choix, et le très décalé La Laiterie, qui redore le blason de la fondue à travers les produits d’un maître-fromager d’exception, Frédéric Royer, mais également via trois créations inattendues : fondues au champagne, aux truffes et aux champignons.

SAVEURS HAUT PERCHÉES

Jean Sulpice est une autre emblème de la vallée. Chef farouche de 35 ans au visage et au physique affûtés comme une lame d’Opinel, il emmène la gastronomie vers les sommets par le biais du restaurant doublement étoilé L’Oxalys qu’il gère avec son épouse Magali. Peu enclin à la courbette et au sourire, Jean Sulpice est un cuisinier concentré qui s’est formé auprès de Marc Veyrat pendant cinq ans. Sa cuisine ?  » Créative, savoureuse et élégante, directement inspirée par la nature et la montagne.  » On en prend la mesure dès que l’on s’attable, à la faveur de deux carottes dans un vase qui expriment la terre, l’enracinement. La carte des vins dit aussi le goût du terroir, avec l’accent mis sur la Savoie – notamment l’excellent Domaine des Ardoisières. La salle est sobre, dominée par le noir et trois luminaires sphériques qui jouent les voûtes célestes. Les mets du menu 6 services ? Ils impressionnent. Le Velouté de châtaignes en chaud-froid de parmesan et râpé de truffes. L’Omble Chevalier, beurre de haddock fumé et oignon doux des Cévennes. Le Chevreuil, betteraves cuites en croûte de sel, jus à la racine de gentiane. La Mousse de Beaufort, herbes de saison, coulis de betterave et noix de Grenoble. Le Blanc-manger à l’eucalyptus et pamplemousse. Et enfin, La Pomme, coque meringuée, miel de montagne et parfum d’Antésite. Le credo de ces déclinaisons qui ont la verticalité pour horizon ? Jean Sulpice le révèle :  » Passé la période d’adaptation, je suis tombé amoureux de cette station des confins en raison de l’exigence de son relief. J’aime me frotter physiquement à la montagne. J’estime également que pour tous ceux qui viennent manger ici, l’effort est une notion centrale. J’aime qu’on arrive hors d’haleine. On s’installe avec la faim au ventre et l’assiette devient une véritable récompense. « 

PAR MICHEL VERLINDEN

La station la plus haute d’Europe a compris l’intérêt de miser beaucoup sur le haut de gamme.

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