Sacoche, besace, aumônière, minaudière, châtelaine, escarcelle, cabas. Mais aussi polochon, pochette, réticule, vanity ou gibecière. Utilitaire ou frivole, vintage ou futuriste, discret ou encombrant, bon marché ou précieux, le sac est l’accessoire de mode incontournable de ce début de millénaire. Pas une femme, ni même un homme, qui ne soit aujourd’hui relié par un cordon ombilical à cette excroissance du  » moi « .

Le sac cristallise tous les fantasmes, véhicule toutes les aspirations. Ne renferme-t-il pas les  » joyaux  » de notre identité : rouge à lèvres, passeport, agenda, téléphone portable ou portefeuille ? Un accessoire certes, mais bigrement essentiel. Pour ne pas dire vital. Arracher à quelqu’un ce fidèle compagnon de route, et c’est un peu de son unité qui s’effiloche, et beaucoup de sa liberté de mouvement. Tour à tour doudou, carapace et confident. Voilà sans doute pourquoi voler un sac, c’est violer l’intimité de son propriétaire.

Les stylistes ont largement contribué à cette fétichisation. Inspirés par le halo de mystère qui entoure ce repaire des petits et grands secrets, ils rivalisent d’imagination pour l’habiller avec élégance ou extravagance. Siglé, lustré, frangé, pailleté, ethnicisé, le sac subit toutes les métamorphoses, se plie à toutes les fantaisies. On l’exhibe comme un étendard, une vitrine de nos désirs. Mais une vitrine miroir, qui renvoie un reflet aussi chatoyant qu’impénétrable. Car le fourre-tout a… plus d’un tour dans son sac. Côté pile, un penchant pour l’exhibitionnisme. Côté face, un goût prononcé pour les cachotteries. Un double fond qui le rapproche du vêtement. Comme lui, il divulgue autant qu’il dissimule…

Plus question donc de réduire ce gri-gri à sa fonction première. La chrysalide du paraître s’est transformée en papillon. Aujourd’hui, le baluchon fait partie de la silhouette, il la modèle même. Les collections automne-hiver 06-07 sont ainsi constellées de sacs en tous genres. Calé sur les omoplates, enroulé autour du poignet, dansant sur le ventre ou accroché à la ceinture, il libère ou entrave. Et promet des caresses soyeuses comme du duvet ou satinées comme des peaux de reptile polies.

L’art en bandoulière

Les grandes griffes ont même fait de cet emblème le fer de lance de leur communication. C’est dire. Chez Gucci, Prada, Burberry, Ralph Lauren, Versace, Chanel, Fendi ou Dior, les besaces, trousses et baguettes jouent les stars publicitaires. Pour un peu, on pourrait croire que la mise en scène qui gravite autour ne sert qu’à les mettre en valeur, comme si les sacs à main étaient devenus subitement les principaux ambassadeurs des marques.

Les maroquiniers s’en donnent également à c£ur joie. Décomplexés, on les voit faire appel aux plus belles femmes du monde pour épauler leurs petits trésors à rabat. On songe à Kate Moss et Longchamp bien sûr, mais aussi à Anouck Lepère et Delvaux. Le sac devient une évidence, une obsession, un mythe. Une femme peut désormais se passer de bijoux ou de maquillage, mais pas de sa seconde peau. Chez Longchamp, elle incarne même l’ultime rempart contre la nudité de la top britannique. Tout un symbole…

Signe des temps, des artistes contemporains puisent eux aussi leur inspiration au fond du sac. Comme hier Dali ou Magritte, auteurs pour l’un d’un fameux sac téléphone, pour l’autre d’un non moins surréaliste sac cage à oiseaux. A l’invitation de Louis Vuitton, neuf artistes ont ainsi réinterprété neuf  » Icônes  » – c’est le titre de l’exposition – tirées du patrimoine de la prestigieuse maison. Le résultat, qui est visible jusqu’au 31 décembre prochain à l’Espace Louis Vuitton à Paris (1), réserve quelques surprises. Ceux qui pensent que rien ne ressemble plus à un sac qu’un autre sac en seront pour leurs frais. Avec un peu d’imagination et beaucoup de talent, la designer Andrée Putman donne par exemple des ailes à l’anguleux Steamer Bag de 1901, réincarné pour l’occasion en nacelle de montgolfière. Quant à l’architecte Shigeru Ban, il s’inspire de la forme cylindrique et de l’imprimé Monogram du Papillon pour habiller les piliers d’une élégante rotonde. Comme quoi, un sac peut en cacher un autre…

Pièce maîtresse

En croco, en plastique, en autruche, en plumes ou en galuchat, le sac éclate au grand jour. Reste à se demander pourquoi ici et maintenant. L’argument économique ? Il vaut son pesant d’or. Confrontées à une concurrence toujours plus forte, les marques ont en effet été contraintes de diversifier leur offre. Les accessoires sont ainsi devenus en quelques années le nouvel eldorado pour les enseignes haut de gamme. Une stratégie qui leur a permis d’élargir leur clientèle. Tous ceux qui rêvent de luxe mais ne peuvent s’offrir la panoplie Gucci ou Dior se consolent avec ces miettes dorées. C’est ce qu’on appelle le marché du  » masstige  » (contraction de  » masse  » et de  » prestige « ). Dans ce jeu, le sac, qui n’est pas le produit le plus exclusif ni le plus accessible, occupe une place centrale. Il se situe opportunément à la croisée des chemins du glamour, incontournable pour les nanties mais aussi pour les fashionistas moins fortunées.

Cette course effrénée pour mettre la main sur le dernier accessoire dans le vent n’est pas que commerciale. Ou juste futile. Elle masque également une quête identitaire, comme le fait justement remarquer Bérénice Geoffroy-Schneiter dans  » Sacs  » (Assouline).  » Mais s’il est une dictature en cette aube de troisième millénaire, écrit-elle, c’est bien celle de la course effrénée au luxe et aux marques.  » Nous sommes de la même tribu « , semblent se dire ces cohortes de femmes exhibant comme autant de trophées un Vuitton monogrammé, un Chanel intemporel, un Dior exubérant, un Céline classique, un Gucci sexy, un Tod’s minimaliste, un Coach  » américain « , un Lancel BCBG, un Cartier chic, un Bottega Veneta tressé, un Prada  » tendance « , un Fendi  » branché « …  »

L’usage dicte la forme

Réceptacle de nos effets personnels. Et de nos convulsions collectives. Ce n’est pas par hasard si le sac a de tout temps épousé les soubresauts du monde. Véritable baromètre des mutations sociologiques, il a grandi, rapetissé, gonflé, disparu même, au gré des besoins et des innovations technologiques. Balluchon rudimentaire en peau de bête à l’époque néolithique, il étoffera sa gamme chez les Grecs et les Romains. Sous la forme d’une besace pour les hommes, mobiles et actifs, d’un petit filet, ancêtre du réticule, pour les femmes, plus sédentaires.

Au Moyen Âge, nouvelles répartitions des tâches et nouvelles moutures pour le sac. La femme, plus impliquée dans la vie active, hérite de poches suspendues à la taille, mais solidaires du vêtement, et pouvant contenir de menus objets ou de l’argent. Ces bourses subsisteront jusqu’au xvie siècle. Leur degré de raffinement, et leur poids, indiqueront le statut social de leur propriétaire, homme ou femme. De la Renaissance aux premières lueurs du xixe siècle, le manchon, qui annonce les poches, fera de l’ombre au sac au sens où on l’entend aujourd’hui.  » C’est autour de 1800 que le premier « sac à main » digne de ce nom pointe délibérément le bout de son fermoir « , rappelle Bérénice Geoffroy-Schneiter. Libération des m£urs et des esprits oblige. Les dames ne quittent plus dès lors leur réticule.

Un siècle plus tard cependant, à la faveur de l’émancipation des femmes, qui entrouvrent aux forceps les portes de métiers réservés jusque-là aux hommes, le sac de voyage se substitue au sac ouvragé. Tout en intégrant les dernières innovations comme la fermeture Eclair ramenée du Canada par Emile Hermès en 1918. Les considérations esthétiques reviendront progressivement dans la course sous l’égide des grands noms de la mode. Mais sans jamais perdre de vue l’aspect pratique. Comme en témoigne l’invention, par Coco Chanel en personne, du sac à bandoulière. L’usage dicte la forme. Du moins pour un temps encore.

Car après-guerre, le sac s’autorisera plus de fantaisie à mesure que les m£urs se relâcheront et que les stars deviendront les nouvelles prescriptrices du bon goût. Hermès rebaptisera un de ses modèles  » sac Kelly  » en l’honneur de la princesse Grace de Monaco lorsque celle-ci apparaîtra à la Une de  » Life  » avec le sac à main en question. Comme plus tard, la marque de luxe dédiera un de ses précieux accessoires à Jane Birkin.

Mode survie

Sismographe du temps qui passe, mais aussi de nos petites névroses. Dans  » L’Interprétation des rêves « , Freud a comparé tout objet creux au sexe féminin. Le sac ne serait donc pas seulement un prolongement de soi. Il serait carrément une partie de soi, la plus intime encore bien. Un trouble que n’a pas manqué d’exploiter le génial Alfred Hitchcock, disséminant dans tous ses films quantité d’accessoires à l’érotisme latent comme des rouges à lèvres, des chapeaux ou des sacs à main.  » Morceau de luxe à portée de main, emblème de prestige et de gloire, symbole de pouvoir et de séduction, observe la critique d’art Bérénice Geoffroy-Schneiter, le sac n’en demeure pas moins ce « réceptacle de vanités et de névroses », ce « kit de survie » auquel la femme ne consent qu’à grand-peine à se séparer.  »

La femme. Mais aussi l’homme. Burberry, Paul Smith, Bernhard Willhelm, Dirk Bikkembergs, tous affublent l’homme cet hiver de ballots, de sacoches, de valisettes. Le retour de la silhouette filiforme n’est pas la seule raison de cet excédent de bagage. On peut y voir un signe concret de cette  » féminisation  » du mâle épinglée par les tendanceurs. Et à voir la taille de leurs baluchons, il ne fait pas de doute que les hommes ont, eux aussi, beaucoup d’effets personnels à trimballer. Ou à cacher. Mais chut, à chacun ses secrets. Le sac est un sanctuaire sacré. On peut regarder, mais pas toucher…

(1) Espace Louis Vuitton, 60, rue de Bassano,

à 75008 Paris. Tél. : +33153575203.

Laurent Raphaël

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