A 72 ans, le couturier milanais continue d’imposer une certaine idée de l’élégance. A l’occasion de l’inauguration de sa boutique avenue Montaigne, au coeur du Paris chic, il s’est confié à Weekend.

« Je suis le premier employé de ma maison « , répète à qui veut l’entendre Giorgio Armani. Et c’est vrai que le couturier musclé garde ses yeux bleu glacier rivés sur treize usines, huit lignes de vêtements, des parfums, des cosmétiques, du mobilier, des restaurants et même des confiseries, en attendant une rétrospective à Milan en février, sa gamme de produits de soins en septembre prochain et des hôtels, dont les premiers ouvriront à Milan et à Dubaï en 2008. En superstar de la mode, il reçoit bien escorté dans son bureau milanais, à la veille de l’inauguration de sa nouvelle boutique parisienne.

Weekend Le Vif/L’Express : Depuis le lancement de votre maison, en 1975, votre regard sur la mode a-t-il changé ?

Giorgio Armani : Quand j’ai commencé, je voulais trouver une solution pour habiller les hommes et les femmes d’une manière moderne. J’ai essayé de créer une image différente, liée à des façons de vivre et de bouger en mutation. Les hommes aimaient bien l’idée de porter un costume neuf en gardant le confort de leurs vieux vêtements. Pour les femmes, le tailleur était rigide. Je voulais leur donner la possibilité de gagner l’aisance des hommes, avec des vestes à la structure assouplie. Cela a permis de comprendre que l’on pouvait porter des vêtements d’homme avec un côté très féminin. Depuis, les codes se sont assouplis, on peut être élégant de façons tellement différentes…

Dans un contexte de globalisation, y a-t-il une identité italienne de la mode ?

Je n’ai jamais pensé différemment suivant les pays, d’autant qu’avec l’évolution des moyens de communication le rapport au temps et à l’espace s’est transformé. Il reste que les créateurs italiens continuent de partager une approche plus rationnelle et pragmatique de la mode, moins poussée dans une direction théâtrale.

Vous n’avez jamais aimé les chocs.

Les pièces qui n’arrivent jamais en magasin ne m’intéressent pas. Je fais des défilés pour que la presse parle de produits que l’on trouve dans la vraie vie. C’est la différence entre moi et d’autres créatifs. Sur mes épaules, il y a un empire. Pour moi, ce serait plus facile de faire un défilé spectaculaire que de réussir à étonner les gens avec de petits détails qui changent. C’est le risque de la mode actuelle. De nombreuses griffes s’endettent pour organiser un défilé extraordinaire, décrocher les mannequins et les people du moment. Certaines marques ont disparu à force d’avoir privilégié les dépenses d’image au lieu de consolider leur structure.

Quelle est votre plus grande fierté ?

Je n’ai jamais essayé de profiter de mon nom pour faire n’importe quoi. Tout ce que j’ai réalisé depuis plus de trente ans a toujours été vendu. Avoir trouvé l’équilibre entre la créativité et la nécessité d’obtenir un résultat, c’est la chose dont je suis le plus fier.

Quelle relation entretenez-vous avec Paris ?

C’est une ville prioritaire pour moi, je me sens d’ailleurs un peu parisien depuis que je présente ma ligne Armani Privé pendant la semaine de la haute couture. Ma mère vient de l’Emilie- Romagne, où l’on prononce le  » r  » à la française, ce qui a facilité mon apprentissage. Je suis sorti de l’école avec de mauvaises notes, mais j’y ai vraiment appris le français. J’aime l’esprit des femmes et surtout l’inventivité de celles qui n’ont pas d’argent. Si j’apprécie la campagne et le sud de la France, où j’ai une maison, j’aime aussi le Paris plus populaire.

Comment avez-vous pensé votre boutique de l’avenue Montaigne ?

Pour une marque, l’avenue Montaigne est un passage obligé et un symbole unique de l’architecture européenne. Le magasin est très différent des autres espaces Armani. Ce n’est pas une association de pierre et de métal, mais plutôt un appartement cosy, un peu boudoir avec une association d’onyx et de soie brossée. Je m’y suis impliqué jusque dans l’architecture. Le décor est essentiel, mais il ne doit pas étouffer la marchandise.

Vous vous lancez aussi dans l’hôtellerie ?

D’une façon générale, je n’aime pas aller à l’hôtel, alors j’essaie de concevoir des chambres comme des petits appartements, avec tout le confort que l’on peut avoir chez soi. Avant Londres et Paris, les premiers ouvriront à Milan et Dubaï, où ce sera un hôtel avec cinq restaurants et vingt décors de chambres différents.

Quels sont vos autres projets ?

J’ai attendu un certain temps pour lancer ma gamme de produits de soins, pour que les gens comprennent que je ne vends pas seulement mon nom sur le pot. L’univers du bateau m’intéresse particulièrement en ce moment, car les chantiers croulent sous les commandes. Les yachts modernes ont souvent des décors chargés, qui n’ont rien à voir avec la mer et je voudrais retrouver ces ambiances.

Vous semblez épargné par le doute…

Non, j’ai la chance de toujours être dans le questionnement quand je commence une collection. Je trouve ça plus valorisant de prendre des risques, d’essayer de chahuter un peu les codes Armani, même si on m’incite souvent à faire le contraire. Je ne peux pas me relâcher, je suis le premier employé de ma maison, j’y trouve des raisons de vivre.

Carnet d’adresses en page 70.

Propos recueillis par Anne-Laure Quilleriet

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