De la musique aux séries télé, le girl power assassine le sexisme primaire. Sur les chemins plus confidentiels de l’art contemporain aussi, les femmes donnent de la voix. A l’occasion d’Art Brussels, Weekend zoome sur quatre jeunes pousses bourrées de talent.

Si, aujourd’hui, il semble évident que l’égalité est de mise dans le monde de l’art, il n’en a pas toujours été ainsi. Comme le démontrent brillamment Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici dans Femmes artistes / artistes femmes, essai récemment paru aux éditions Hazan (1), le xxe siècle aura été un siècle de lutte, d’émancipation, d’indépendance et de revendication pour les créatrices nées sous chromosomes XX. Il suffit de feuilleter n’importe quelle histoire générale de l’art pour s’en rendre compte : les hommes imposaient jusqu’il y a peu encore leur imprimatur sur la toile et le socle. Preuve irréfutable : il aura fallu attendre 1900, nous apprennent encore Gonnard et Lebovici, pour que l’école des Beaux-arts de Paris soit accessible aux femmes… Pas étonnant que l’art moderne trempe dans la testostérone. Pas de Marcelle Duchamp, pas de Paulette Klee, même pas de Jacqueline Pollock… Comme le droit de vote, le droit à la création des femmes résulte d’un combat. L’arbre de l’art contemporain regorge des fruits de cette bataille âprement gagnée. Des artistes aussi incontournables que Louise Bourgeois, Annette Messager ou Sophie Calle sont là pour en témoigner. Sans elles, le visage de la création actuelle serait franchement différent. Sans verser dans l’hommage suspect, Weekend a voulu souligner cette évolution réjouissante. La foire d’Art Brussels, qui se tient au Heysel jusqu’au 21 avril (2) était l’occasion de mettre en lumière le travail de quatre jeunes artistes belges ou vivant en Belgique qui, loin des préoccupations de leurs aînées, vivent leur métier naturellement, sans s’encombrer des questions de genre.

(1) Femmes artistes/artistes femmes. Paris, de 1880 à nos jours, par Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici, éditions Hazan, 480 pages.

(2) Art Brussels, Brussels Expo, palais 1 et 3, à 1020 Bruxelles. Du 18 au 21 avril. Internet : www.artbrussels.be

Virginie Bailly Dans les plis du réel

Virginie Bailly plonge son pinceau dans l’histoire de l’art pour mieux interroger son médium favori : la peinture. On avait déjà pu s’en rendre compte lors de la dernière édition du Prix de la Jeune Peinture Belge ( voirWeekend Le Vif /L’Express du 13 juillet 2007) où l’artiste reprenait à son compte les questionnements des impressionnistes et de Paul Cézanne sur la fugacité et l’étrangeté de la lumière dans de magnifiques toiles monumentales. Actuellement, cette artiste de 32 ans, diplômée de la Haute Ecole Sint-Lukas de Bruxelles et post-graduée de l’H.I.S.K. à Anvers, s’empare des paysages merveilleux du peintre flamand Joachim Patenier (1475/85-1524).  » Je suis vraiment attirée par l’étrangeté de ses paysages, son atmosphère étonnante, la densité de ses glacis. C’est un coloriste de génie « , s’enthousiasme Virginie qui, on ne s’en étonnera pas, occupe par ailleurs un poste de professeur d’histoire de l’art à l’Académie d’Overijse. De ce voyage dans l’univers de Patenier, elle est revenue avec un rocher qui l’inspirait particulièrement. Sur la toile, elle a peint une table, sur laquelle elle a repeint le rocher à sa manière. La référence au socle  » anoblissant  » utilisé en sculpture est claire : l’élément de paysage s’en trouve cristallisé, idéalisé. Ce rapport intime au réel, cette volonté de mettre les détails sous la loupe et de capter l’insaisissable fondent la philosophie du regard de Virginie Bailly. En parallèle à son activité de peintre, l’artiste conçoit ainsi des  » Kijk Boxes « , des boîtes à regarder. Construites en 3D, ces grandes structures éphémères en bois, dotées d’une fenêtre, donnent au spectateur qui s’y introduit un point de vue inédit sur le paysage où elles s’élèvent (un terril à Genk, un aqueduc romain à Tongres…). Une sorte de camera obscura à taille humaine, qui pousse à regarder la réalité d’un autre £il, à la scruter comme on admire une toile de maître.  » C’est pour moi une manière expérimentale de poétiser le réel, de donner un autre point de vue sur les choses « , explique Virginie. Une ode pure et dure à la réalité.

Virginie Bailly est représentée par la galerie malinoise Transit. A voir à Art Brussels.

Elodie Antoine En toute  » textilité « 

Ses fringues, Elodie Antoine se les taille perso. Cette jeune femme de 29 ans diplômée de l’atelier de sculpture de La Cambre adore le textile au point qu’elle en a fait la matière première de ses sculptures. Loufoques et drolatiques, ses pièces tiennent pour beaucoup du surréalisme. A la suite d’André Breton, elle semble trouver dans la fameuse phrase du comte de Lautréamont –  » Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie  » – une règle esthétique générale. Son travail est en effet conduit par des collisions d’univers a priori peu disposés à se rencontrer. Comme ce ballon recouvert de cravates qui, dit-elle,  » met en présence la plage et le fonctionnaire « , ce rouge à lèvres moulé en forme de mèche à béton ou ces paysages de centrale nucléaire en dentelle aux fuseaux : un choc entre la délicatesse de l’artisanat et la robustesse grisâtre du sujet. On aime aussi ses interventions sur le paysage comme ces champignons en mousse et textile qu’elle s’en va accrocher au tronc des arbres. Une manière pour elle de superposer les logiques saisonnières de la nature et de la mode. Aujourd’hui, Elodie Antoine travaille surtout le feutre,  » avec lequel j’obtiens de chouettes formes, complexes et sans marques de couture, ou de soudure « . Très organiques, les £uvres dont elle accouche n’ont rien de feutré : un monde de globules mutants, de tuyauteries rouge sang et d’êtres étranges prêts à excaver les délires les plus nécrosés de l’imaginaire.

Depuis deux ans, Elodie Antoine est représentée par la galerie Frédéric Desimpel (Ixelles). A voir à Art Brussels.

Aurore Dal Mas Crépusculaire

Elle aime les clairs-obscurs du Caravage et la mélancolie rageuse de PJ Harvey. A 26 ans, Aurore Dal Mas, n’a pas (encore) étranglé son adolescence. Pour le plus grand bien de son travail. Les photographies de cette jeune diplômée de La Cambre puisent en effet leur force dans cet état poétique et ténébreux qui nous kidnappe tous au crépuscule de l’enfance.  » Je tente de capter quelque chose de l’être humain, avance-t-elle timidement. Mon travail est sombre, c’est vrai. Mais tendre aussi. Pas dépressif. Mélancolique plutôt.  » Volontairement intemporels, ses clichés prennent vie  » dans des endroits où je suis passée avec des gens que je ne connais pas « . Des lieux légèrement inquiétants comme des parkings ou des maisons décaties où les êtres se laissent à peine effleurer par la lumière.  » En général, je trouve qu’on montre trop les choses. Quand c’est trop lumineux, ça n’apporte pas grand-chose à l’image. Je préfère qu’on devine un peu. Que les choses ne soient pas évidentes.  » Le b.a.-ba de l’érotisme en somme, bien présent dans son univers à la fois sépulcral et langoureux. Comme sur cette photo attachante d’un couple voilé d’un bleu trouble et qu’on imagine enlacé hors cadre. Si Aurore n’est pas encore  » attachée  » à une galerie, comme elle l’espère, elle a déjà été accrochée comme  » jeune talent  » à la Photo Gallery à Bruxelles et a participé à de nombreux festivals, dont récemment la Biennale de photographie à Liège. Déterminée, elle vient de quitter un job alimentaire pour se consacrer entièrement à la création. Car, outre la photo, Aurore Dal Mas pratique la vidéo, la poésie et la chanson. Une £uvre totale à la Patti Smith traversée par une même atmosphère plombée de vie.

Plus de renseignements sur www.techniquebeton.com,  » ma petite entreprise « , comme elle dit…

Léopoldine Roux Pop et gourmande

Léopoldine Roux se départit rarement de son sourire enjôleur. Son £uvre, barrée dans la séduction pop est à l’image de son auteure : pétillante et décomplexée.  » Après les Beaux-Arts à Rennes, j’ai dû trouver mon propre style, raconte cette jeune Française de 28 ans installée à Bruxelles. Mes deux profs de peinture étaient issus de la lignée minimale et conceptuelle. Mon style à moi est beaucoup plus pop et rock’n’roll. Je pose un regard critique sur le minimalisme, j’en adoucis les angles.  » Pas de doutes là-dessus. Certes, quelques-unes de ses sculptures accusent une hérédité avec un certain géométrisme. Mais elles tiennent plus du carré de crème glacée que de celui de Malevitch… Une sorte de mariage mixte entre le travail de Claes Oldenburg et celui du designer des sucres de Tirlemont. L’aspect appétissant est une constante dans l’£uvre de Léopoldine Roux. Ses peintures, recouvertes de pois  » faits main  » aux couleurs sucrées, évoquent les capsules d’acide citrique que s’enfilent les enfants.  » Mais parfois, je frôle l’indigestion, raconte l’artiste. D’ailleurs, je viens de faire un voyage au Japon, et certaines de mes nouvelles peintures sont beaucoup plus sobres : noir et blanc et pas de all-over. J’assume mieux le vide.  » Touche-à-tout, Léopoldine est pour une contamination des univers plastiques :  » Je ne suis pas pour la sacralisation des objets. Je peux tout aussi bien créer des sculptures conçues pour devenir des bancs publics, qui s’apparentent alors à du design. J’aime aussi intervenir sur le paysage de manière éphémère « . Ainsi, elle se plaît à colorer l’eau des fontaines ou se faire filmer en train de peindre en rose les vieux chewing-gums collés au bitume.  » Après, on dirait un parterre de pétales de roses « , rigole-t-elle. Le résultat de cette performance : un film en noir et blanc où chaque  » mise en couleur  » apparaît à l’écran. Le tout au son d’Iggy. Pop, évidemment.

Jusqu’au 26 avril, la galerie Guy Ledune expose les nouvelles £uvres de Léopoldine Roux à la Black Box, 142, rue de Stalle, à 1180 Bruxelles. E-mail : info@galerieledune.be

Baudouin Galler

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