Après une décennie flamboyante sur le circuit express et serré du mannequinat, Hannelore Knuts gère la chicane de ses 30 ans. La Limbourgeoise slalome aujourd’hui entre photographie, DJaying et consultance de mode pour Haider Ackermann et le Studio Delvaux. Un tournant qu’elle vit comme une  » seconde puberté « . Portrait.Dans les années 1980 à Kuringen, patelin classe moyenne du Limbourg flamand aussi banal qu’un dimanche pluvieux, une gamine sautille autour d’un carrousel. Ça sent la barbe à papa et les veilles de jour d’école. Dans les années 2000 à Paris, New York, Londres et Milan, une jeune femme, belle comme une énigme foule les catwalks d’un regard hypnotique. Ça sent le champagne et les jours sans fin. Question : du point A quel est l’itinéraire le plus rapide pour rejoindre le point B ? S’il vous reste la possibilité d’appeler un ami, composez le numéro d’Hannelore Knuts, ce bout de chemin, elle le connaît. C’est elle qui l’a tracé. Sans carte, ni boussole. Ni plan d’attaque d’ailleurs :  » C’est la mode qui a décidé pour moi. Qui m’a prise dans ses bras. Je n’avais rien programmé. Tout a été très vite . »

Vaguement khôlée, toute en pieds nus et cheveux en bataille, Hannelore nous reçoit dans sa cuisine. Comme un vieux pote passé prendre le café à l’improviste. On voudrait fracasser le cliché surfait de la petite diva pénible déprimée dans son 36, on n’irait pas ailleurs. Des toilettes au salon, la maison d’Hannelore est une sorte de caverne d’Ali Baba  » edgy  » : flipper, albums cultes (Nirvana, Led Zep, Fleetwood Mac), mobilier rétro. Sur les murs, Elvis y côtoie Michel-Ange, Spilliaert tutoie le lapin Play Boy et Jérôme Bosch voisine les polaroïds. Un patchwork plein d’humour, qui dit les rencontres, raconte les souvenirs. C’est incarné, chaleureux. A son image. Hannelore rit fort, ponctue ses phrases de  » theu « , de  » hey « . Pas mal de  » allez dis ! « , aussi. Rien de vulgaire. Juste drôle, frais, sincère. Quelque chose entre de la timidité voilée et les beaux restes d’une enfance simplement heureuse. De celles qu’on finit par quitter parce qu’elles manquent de relief.  » Je viens d’une famille très normale, flamande. Personne n’est jamais allé plus loin que Hasselt. J’adore mes parents, mais ils ne m’ont jamais stimulée à être créative.  » C’est le grand-père maternel qui lui ouvre les yeux sur le monde, éveille sa curiosité pour l’image.  » Il avait un énorme appareil photo à soufflet. Ça prenait des heures pour prendre un portrait de famille. Il parlait de contre-lumière, de temps de pause, j’étais fascinée. Il est décédé il n’y a pas très longtemps.  » Un mug posé sur la table de la cuisine affiche un cliché d’eux deux. Elle prend la tasse en main :  » C’était mon grand ami. C’est un peu grâce à lui si je suis là.  » Par ricochet, en effet : à 18 ans la petite provinciale tente sa chance à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers, section à photographie. Reçue, elle passe sa première année avec mention. Elle n’ira pas plus loin. La mode va en décider autrement.

Un post-it et 500 FB

Nous sommes en 1997.  » Une amie de l’école travaillait à l’époque comme assistante chez Veronique Branquinho qui présentait son tout premier show à Paris. Je suis rentrée chez moi un soir, j’ai trouvé un post-it : show de Veronique dans trois jours. Manque de mannequins. Le bus démarre demain. Viens. Tu gagnes 500 francs.  » Ça s’appelle prendre le bon train : un journaliste de Canvas présent au défilé lui propose de l’inclure dans un documentaire sur les mannequins belges débutants. La chaîne de télé néerlandophone arrange tous les rendez-vous avec les agents. La saison suivante, on retrouve Hannelore sur les podiums milanais. Elle ne fera jamais de casting.  » Tout le monde me voulait. Je me suis dit, bon, O.K., je suis mannequin maintenant.  » La suite est flamboyante : campagnes de pub pour Yohji Yamamoto, Jean Paul Gaultier, Prada, Dolce & Gabbana. Covers et éditoriaux signés Steven Meisl, Inez Van Lansweerde & Vinooh Matadin, Terry Richardson, Patrick Demarchelier, Craig McDean pour les Vogue britannique, italien, français, coréen, japonais. Défilés Allessandro Dell’Acqua, Prada, Fendi, Versace, Balenciaga, Dries Van Noten, Givenchy, Lanvin, Louis Vuitton, Yves Saint Laurent, Moschino, Christian Lacroix, Alexander McQueen, Hermès, Jean Paul Gaultier à Bref, tout le beau monde. Au début des années 2000, Hannelore figure dans le top 15 des modèles les plus demandés.

Muse

On ne peut pas dire que Hannelore Knuts dégage la beauté conventionnelle, américaine, lisse, des mannequins stars des années 1990. Elle mêle le côté underground, très  » Girl next door  » à la Kate Moss à une forme d’intelligence du style, qui la rend moins borderline que la brindille. Un alliage idéal, complet, que les stylistes souhaitent à l’époque insuffler à leurs collections. Sur le bureau de John Galliano, vous trouviez ainsi un cliché d’Hannelore. Pas lookée, non,plutôt sapée comme à la maison :  » Il m’a dit que quand il ne parvenait pas à prendre une décision sur la manière de dessiner une pièce, il regardait ma photo et s’imaginait comment ça tomberait sur moi.  » Pas malà Mieux encore : Azzedine Alaïa l’appelle un jour personnellement.  » Il voulait que je le conseille sur ses choix, vous imaginez ? Monsieur Azzedine Alaïa me demande à moi de donner mon avis sur ses collections ! Avant d’accepter, je voulais au moins aller chiner dans ses archives, étudier à fond son style. Il ne préférait pas. Il voulait un avis spontané.  » Pendant un peu plus d’un an, Hannelore assistera le couturier tunisien lors des fittings. Dries Van Noten et Jean Paul Gaultier la solliciteront aussi. Hannelore choisit finalement de travailler exclusivement pour son ami Haider Ackermann.  » Je ne peux pas multiplier les collaborations. C’est délicat. Je pourrai trahir les designers sans le vouloir, dévoiler une couleur, un tissu.  » Bien qu’elle soit encore présente sur le circuit du mannequinat, Hannelore anticipe le tournant de carrière que tous les tops de son âge doivent gérer.  » C’est nécessaire de se recycler. Je vis très bien, et je ne me plains pas, mais mon compte en banque n’est pas extensible et aussi doré que les gens peuvent l’imaginer.  » En attendant de trouver définitivement la voie qui lui sied, la consultance de mode semble pour l’instant être l’option la plus évidente. En octobre prochain chez Colette, lors de la fashion week à Paris, cette passionnée de sacs à main dévoilera ainsi les deux nouveaux modèles qu’elle a imaginés pour le Studio Delvaux, le nouveau pôle créatif du maroquinier belge.

Derrière l’objectif

A moins que telle une Lee Miller des années 2000, Hannelore ne revienne à ses premières amours : la photographie. Elle dit :  » Je ne me suis jamais arrêtée de photographier. Quand j’ai faim, je mange, quand je vois quelque chose qui me plaît, je shoote.  » Le scénario n’est pas improbable. En juin dernier, au festival des Transphotographiques de Lille, on a effectivement vu ses clichés exposés aux côtés d’autres mannequins photographes, comme Milan Vukmirovic, ancien top, ex-rédacteur en chef de l’Officiel Homme, et nouveau DA de la ligne capsule Trussardi 1911. Lors d’une expo collective à Hasselt, elle a aussi co-signé une installation avec son ex-petit ami, le rocker flamand Tim Vanhaemel (Evil Superstars, Millionaire). Le style de ses images ? A la fois réalistes et magiques, elles transpirent une belle étrangeté, à la lisière du fantastique : l’excroissance d’un tronc d’arbre, un chat ailé, des cadavres de bouteilles de champ’ oubliés sur la plage. Entre pulp photo, blog d’adolescente et journal intime sa patte s’inscrit singulièrement dans l’air du temps. Comme ses sets de DJaying qu’elle assure avec une amie sous le nom de 4 tits, mêlant standards du rock et électro contemporaine.  » Ma vie d’avant ne me manque pas, précise-elle. Je vis ma seconde puberté. Les champs sont ouverts.  » A vrai dire on ne s’en fait pas trop pour elle. Cette fille trouve son chemin sans carte et sans boussole.

Baudouin Galler

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