HEAVY METAL

S’emparer ou s’inspirer des caissons de transport maritime pour créer des maisons chics, des boutiques en vue ou des musées nomades, c’est le pari de l’architecture container. Esprit récup’ garanti. Âmes sensibles s’abstenir.

Dorénavant, les architectes empilent les cubes. Mais pas n’importe quels cubes. Du lourd, du très lourd. Des containers maritimes qui pèsent entre deux et quatre tonnes l’unité. Un gabarit qui ne fait peur ni à Jean Nouvel ni à Shigeru Ban, deux champions de l’architecture contemporaine qui ont eu recours plusieurs fois à ces mastodontes pour leurs créations. Ils ne sont pas les seuls à détourner l’objet qui, démultiplié, superposé, évidé et aménagé, séduit les esprits les plus avant-gardistes.

Pour Adam Kalkin, la poétique du container ne fait plus aucun doute. Cet architecte et artiste américain de 46 ans, exposé entre autres à Art Basel Miami, compte à son actif plusieurs dizaines d’interventions réalisées à base de ces modules  » heavy metal « . Du bar mobile Illy Café (2.) dont les 4 parois d’acier se déploient comme une fleur, à la très chic Adriance House (3. et 4.). Cette maison de vacances de 370 m2, posée en bordure de l’Atlantique, dans le Maine, est composée d’une suite de 12 containers orange, empilés deux par deux, et logés sous toiture. Transformés en chambres, en cuisine ou en bureau de travail, reliés depuis le rez-de-chaussée par des escaliers, ils remplissent parfaitement leur rôle de pièces à vivre. Rien ne les distingue (ou presque) d’une maison traditionnelle si ce n’est leur look industriel et leur hauteur sous plafond de 2,36 m.

ET VOGUE LE CONCEPT

Le passage de l’univers des docks et des chantiers à celui de la sphère douillette de l’habitation nécessite évidemment quelques adaptations. L’épaisse carcasse de métal est percée d’oculi ou de parois vitrées, histoire de laisser passer la lumière et de rassurer les claustrophobes. Son revêtement intérieur, avec son bardage maousse costaud qui ferait passer la soute du Titanic pour une feutrine de billard, tend lui aussi à être dissimulé derrière une cloison plus classique. Pour estomper les aspects un peu trop radicaux de ces Tetra Pak standardisés (20 ou 40 pieds selon la norme internationale), on opte même pour des balcons fleuris,  » pluggés  » à même la structure comme l’a imaginé Nicholas Lacey and Partners. Cette agence d’architecture a conçu, dès 2001, des studios et appartements privés à base de containers dans le quartier des docks à Londres sous le nom de Container City I (1.). Un ensemble multicolore qui culmine jusqu’à 5 étages. Presque aussi ludiques qu’une partie de Tetris, les modules s’emboîtent les uns sur les autres, parfaitement alignés ou en décrochage pour le goût du porte-à-faux.

Tout le monde cède à la mode de la grosse boîte en acier Corten et en premier lieu les centres d’art qui se servent habilement de son image  » rough  » un brin provocatrice. Ainsi, à Séoul, dans le quartier de Cheongdam, le Platoon Kunsthalle (7.) a été agencé à partir de 28 containers de cargo. Parfaitement rangés de manière à former deux blocs distincts et homogènes, les cubes abritent sur 950 m2, avec une rigueur militaire, une librairie, des ateliers d’art, un bar et un restaurant. L’approche est ultraminimaliste, tout en angles et en aluminium, sans oublier l’éclairage intérieur, conforme à l’esprit  » entrepôt  » du container, c’est-à-dire au tube néon. Cheongdam sensibles, s’abstenir !

Mais faire des remous est plutôt une bonne chose dans le branding. Les marques pour qui l’architecture commerciale est un atout marketing se sont mises à leur tour à scruter l’horizon marin. Mettre la main sur les précieux caissons dans les ports est un jeu d’enfant, en particulier en Chine, premier exportateur au monde dans le domaine, et plus précisément à Shanghai où ils se vendent pour quelques centaines d’euros.

Freitag (6.), la marque suisse de sacs à main confectionnés à partir de bâches de camion, a légitimement craqué pour un concept 100 % récup’. Son étonnant flagship de Zurich est un jeu de construction dépouillé jusqu’à l’os dont le clou du spectacle est un mât de 9 containers qui s’élève à 25 mètres de hauteur. Mais l’esprit  » cargotecture  » ne remplit jamais aussi bien son rôle que lorsque la construction se monte et se démonte avec la facilité d’un Meccano. Il y a, bien sûr, le gigantesque Nomadic Museum, imaginé par Shigeru Ban, avec ses 152 containers, ses deux galeries et son théâtre, qui a fait escale à New York, Santa Monica, Tokyo et Mexico.

Moins ambitieuse mais non moins stimulante, la GAD (8.) galerie d’Oslo, conçue par MMW Architects of Norway, a été pensée pour voyager avec le minimum de contraintes grâce à un assemblage light qui permet de déboulonner la structure en quelques jours à peine. Ce principe itinérant est celui qui a guidé LOT-EK. Ce bureau new-yorkais a élaboré pour l’équipementier Puma (5.) et le label de prêt-à-porter japonais Uniqlo des boutiques intégralement réalisées en containers et démontables. Les boutiques en kit ont fait escale, entre autres destinations, à Boston ou Alicante.

LE RÊVE MODULAIRE

Il n’est pas toujours nécessaire d’écumer les quais pour revendiquer l’esprit container. Le bureau parisien Mésarchitecture s’est contenté d’un cadre en métal et de deux polyèdres qui rappellent les caissons de transport pour créer un espace de méditation – officiellement baptisé Tea House (11.), salon de thé – hors du commun. Une silhouette arachnéenne suspendue à 20 mètres de hauteur qui surplombe la mer de Corée comme une vigie…

Plus près de nous, non loin du port d’Anvers, Pieter Peerlings et Silvia Mertens de l’agence Sculp(it) (9.) ont assemblé verticalement quatre boîtes colorées pour glisser au chausse-pied leurs bureaux et leur habitation privée. Sans emprunter ses matériaux au monde maritime, le duo respecte scrupuleusement les dimensions d’un container type.

Lorsqu’en 1956, Malcolm McLean inventa le fameux cube pour optimiser les coûts de transport et protéger efficacement les marchandises qui étaient jusque-là transbahutées dans des caisses en bois, l’entrepreneur américain ne devinait sans doute pas la créativité qu’il susciterait de par le monde. Objet de tous les détournements, y compris purement plastique comme l’illustrent les belles interventions du Belge Luc Deleu (10.), le container n’est cependant pas qu’une affaire purement esthétique.

Les propriétés mécaniques de l’objet, son faible coût unitaire et son (apparente) facilité d’adaptation, ravivent le fantasme de l’architecture modulaire pour tous. Une idée récurrente chez les architectes visionnaires… Le génial Buckminster Fuller imagina dès les années 40 une maison prêt-à-habiter, standardisée, bon marché et belle à voir. Sans parvenir à concrétiser son rêve. Qu’importe les échecs, l’utopie deviendrait enfin réalité grâce aux containers.

Adam Kalkin a mis au point une habitation container pour moins de 100 000 dollars (72 000 euros), le Français Clément Gillet n’est pas loin de s’en rapprocher avec sa Crossbox (12.) et les architectes de Distill Studio étendent le principe éco-friendly au secteur tertiaire. Les bureaux qu’ils ont baptisés Box Office à Providence, sur la côte est des États-Unis, ont vu le jour après la crise de 2008. L’établissement composé de 35 cubes d’acier serait à la fois économe sur le plan constructif et énergétique. Un enthousiasme qui ne cache pas les couacs de certains projets… Inaugurée il y a neuf mois au Havre, la cité universitaire A Docks, conçue par l’architecte Alberto Cattani, devait être un modèle de coûts compressés. À l’arrivée, l’assemblage minutieux d’une centaine de containers s’est avéré plus complexe et plus cher que prévu. Et certains studios ont la fâcheuse tendance à prendre l’eau… Pas de quoi dissuader pour autant les défenseurs de la  » cargotecture  » pour qui boire la tasse n’a jamais fait renoncer à prendre la mer.

PAR ANTOINE MORENO

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