A deux pas du parc de Dosan, Hermès a ouvert à Séoul sa nouvelle Maison, toute de verre et de lumière. Bien plus qu’une bouti-que, ce cube sérigraphié de lignes dorées accueille aussi un café de lecture et un musée retraçant l’histoire de la marque. Weekend était du voyage.

Depuis quelques jours déjà, la question était sur toutes les lèvres des fashionistas de Séoul. Avaient-elles reçu le bracelet de papier cuivré, indispensable sésame à porter au poignet pour assister à l’inauguration de la Maison Hermès, à Dosan Park ? Sans lui, inutile d’espérer entrer ce soir-là dans l’élégant cube de verre mordoré devant lequel se pressent des centaines de curieux attirés par le show qui se prépare autant que par la présence, dans cette rue affichant une incroyable concentration de sacs Birkin au m2, des personnalités les plus en vue de la société coréenne.

Le long des vitrines scénographiées par le collectif d’artistes flyingCity, finaliste en 2004 du prix Hermès Corée pour l’art contemporain, quatre fillettes – manteaux marine, socquettes blanches, souliers vernis et couettes enrubannées – s’accrochent tant bien que mal à leur grappe de ballons or qui ne demande qu’à s’envoler. Soudain, alors que toute la façade de l’immeuble est plongée dans l’obscurité, un groupe de sonneurs fait retentir ses trompes de chasse. Témoins géographiquement décalés dans cette belle nuit coréenne d’un certain art de vivre à la française. Rappel vivant aussi qu’avant d’être le groupe au rayonnement international qu’il est aujourd’hui, la Maison Hermès était une manufacture de selles et de harnais…

Fière de son histoire et de ses traditions, cette entreprise toujours familiale – la sixième génération occupe aujourd’hui des postes-clés à tous les niveaux – déteste d’ailleurs qu’on la compare aux multinationales du luxe avec lesquelles elle cohabite le long des plus belles artères du monde. Cette fois, c’est à Dosan, dans un quartier à vocation plus résidentielle, que la marque, reconnaissable entre mille à ses boîtes orange estampillées de son  » duc attelé « , a choisi de bâtir sur un terrain carré – une forme qui lui était prédestinée… – sa quatrième Maison Hermès. Cela à deux pas d’un des rares parcs de cette métropole tentaculaire, gangrenée à toutes les heures du jour et de la nuit par une circulation dévorante.

 » Quand on parle de Maison, chez Hermès, il s’agit de bien plus qu’un magasin, insiste Christian Blanckaert, directeur général en charge des affaires internationales. Ce sont bien sûr de très belles boutiques mais il s’agit avant tout d’un lieu de rencontre. Elles représentent aussi un investissement culturel majeur. Chez Hermès, on aime s’imprégner de la culture des autres. C’est pour cela que nous remettons chaque année – depuis 2000 – le prix Hermès Corée pour l’art contemporain et que nous avons initié il y a cinq ans un partenariat avec le Festival du film international de Pusan au cours duquel nous récompensons annuellement un réalisateur coréen. Nous apprécions également le regard des autres porté sur notre propre action. Les Coréens ne nous connaissent pas assez. C’est la raison pour laquelle nous avons ouvert un musée, véritable promenade dans la mémoire d’Hermès. Car nous n’avons pas besoin de nous développer tous azimuts pour tenter d’attraper toutes les mouches. C’est au c£ur même de nos métiers que se trouve l’innovation.  »

La Corée, 4e marché pour Hermès

L’attachement tenace à son savoir-faire artisanal n’a pas empêché Hermès de s’exporter rapidement à l’étranger, comme en témoigne l’ouverture d’un premier point de vente aux Etats-Unis dès 1924… En Corée, la marque était déjà présente en 1974,  » dans un petit rayon parfumerie, avant la libéralisation des échanges « , rappelle Patrick Thomas, gérant d’Hermès International depuis mars 2006. Créée en 1997, la filiale Hermès Corée réalise aujourd’hui plus de 100 millions d’euros de chiffres d’affaires et occupe ainsi la quatrième place au classement mondial, derrière le Japon, la France et les Etats-Unis. Trois pays qui disposaient déjà d’une Maison. Séoul attendait la sienne depuis près de sept ans.  » En Corée, nous avons des clients fidèles, qui achètent des pièces audacieuses, exceptionnelles, poursuit Patrick Thomas. Ici, à deux pas de ce joli parc, ils pourront prendre le temps de choisir. La culture coréenne et celle d’Hermès y mêleront leurs racines et partageront leurs rêves.  »

Posé sur un terrain ouvert, le cube allongé, perforé de passerelles et de terrasses verdoyantes organise autour d’un vide central toutes les fonctions (espaces de vente sur deux niveaux, lieu d’exposition, musée, café de lecture…) du bâtiment.  » Nous nous sommes inspirés du design des maisons coréennes traditionnelles, précise Rena Dumas dont l’agence RDAI, qui réalise l’ensemble des boutiques Hermès dans le monde, signe ici la conception architecturale. En ajoutant des cours et des jardins pour en faire un lieu d’accueil et d’échange.  » Habillé d’une double peau en verre sérigraphié de fines lignes d’or, l’immeuble palpite au gré des diverses lueurs du jour et protège aussi ses occupants des regards indiscrets tout en laissant deviner le monde extérieur par un jeu subtil de clairs-obscurs et de tamisage.

Des arbres oniriques habillés de cuir

Un escalier arrondi comme un coquillage vous mène en douceur vers le café de lecture posé à côté d’une bibliothèque regroupant pas moins de 250 ouvrages traitant du cheval et de l’art équestre. A droite, un couloir bleuté conduit vers l’entrée du musée-clairière conçu par le plasticien américain Hilton McConnico. Dans la salle principale, le sol lumineux et blanc se réfléchit au plafond tapissé de miroirs, tandis qu’une forêt imaginaire s’étire, comme en apesanteur.  » C’est le projet dont je suis le plus fier, nous confie le décorateur qui a travaillé autrefois pour Chabrol, Miller, Truffaut ou Beineix. Trois ans se sont écoulés depuis mes premiers croquis. Mais pratiquement rien n’a changé.  » Sous le charme, le visiteur se faufile entre les troncs recouverts de cuir Vibrato. Ce n’est que lorsqu’il se retourne qu’il découvre des écrans et des vitrines enchâssés dans le corps de ces souches oniriques. Dans ces écrins habillés de feuilles d’argent défilent les images léchées des huit films thématiques réalisés par Hilton McConnico. Hors du temps, les objets des collections Hermès semblent flotter dans ces bonbonnières précieuses, toujours aussi beaux malgré (ou grâce…) aux années qui se sont écoulées depuis leur création.

 » Tout change et rien ne change, c’est un peu notre mantra, rappelle Pascale Mussard, directrice artistique de la maroquinerie, bijouterie et accessoires. Nous devons penser des objets qui seront plus beaux dans vingt-cinq, cinquante ans. Qui se transmettent et vont vivre avec vous.  » Des produits qui se doivent aussi de séduire une clientèle exigeante et de plus en plus internationale, avide de goûter à  » l’air de Paris  » que sait si bien insuffler la marque… Et si l’on n’aime pas parler chez le maroquinier de mondialisation, on sait toutefois poser ses jalons dans les marchés porteurs.

Boom programmé en Chine et aux Etats-Unis

Face à la montée en puissance de la Chine qui verra s’implanter 2 à 3 boutiques Hermès par an dans les prochaines années, et sans doute aussi la prochaine Maison, l’Europe où la griffe réalise encore 40 % de son chiffre d’affaires aujourd’hui devra s’appuyer sur la Russie pour maintenir son rang. Aux Etats-Unis, aussi, le groupe entend bien doubler son CA en cinq ans en ouvrant des magasins dans des villes de taille moyenne, comme Seattle, Denver ou San Diego, visant davantage une clientèle locale que les touristes de passage.  » C’est là que se centreront nos efforts à moyen terme, reconnaît Christian Blanckaert. Mais nous ne sommes pas un grand groupe multinational. Nous restons une maison d’intimité, de complicité, de proximité. D’artisanat d’art aussi. En Corée, nous bénéficions d’une image absolument exceptionnelle. Celle de la très belle société française, élégante, assez élitiste, un peu trop peut-être. Il n’y a pas de place pour le gigantisme chez Hermès.  »

Appellation  » made in France  » garantie

Pas question d’ailleurs de délocaliser, en tout ou en partie la fabrication de ses sacs mythiques pour en accélérer la commercialisation à l’autre bout du monde.  » Il faut des années pour former un artisan, et c’est d’autant plus long dès que l’on parle de sacs en croco « , insiste Guillaume de Seynes, directeur général adjoint. Comme tous les cadres de la famille, il a dû lui aussi passer par l’atelier pour réaliser pas-à-pas un portefeuille qu’il conserve jalousement.

La Maison de Séoul, comme celle de Manhattan et de Gynza, à Tokyo, accueillera d’ailleurs son atelier de réparation.  » C’est là que nous envoyons nos meilleurs artisans, poursuit Guillaume de Seynes. A New York, « monsieur Claude » comme on l’appelle là-bas est une véritable star.  » D’autres passent du côté de la création, n’hésitant pas à proposer leurs propres modèles qui viennent étoffer la gamme des best-sellers d’Hermès.

 » Les listes d’attente pour un Kelly ou un Birkin, ce n’est pas de la frime. Si nous voulons conserver notre niveau de qualité, nous ne pouvons pas les fabriquer plus vite « , assure Guillaume de Seynes.  » C’est pour cela d’ailleurs que vous ne trouverez jamais chez nous de mégastores, ni de « bars à sacs », renchérit Christian Blanckaert. Il nous faut souvent des mois pour les fabriquer, alors vous imaginez les files interminables qui se formeraient devant la boutique.  » On a eu aucun mal à s’en convaincre. Ce soir-là, derrière son établi devant lequel défilaient coupes de champagne et petits-fours, accompagné par une soprano qui roucoulait des airs de Bizet, l’artisan maroquiner à l’£uvre – il avait pour la circonstance appris quelques mots de coréen – a tout juste eu le temps de terminer la bandoulière d’un sac Kelly bleu nuit…

Isabelle Willot

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