Il y a dix ans, déjà, il avait eu le flair de lancer  » Wallpaper* « . Aujourd’hui, Alasdhair Willis pilote Established & Sons, le nouveau label londonien qui en quinze mois à peine a fait monter la cote du design  » made in Britain  » à travers le monde. En exclusivité pour Weekend, le charismatique CEO, mari à la ville de Stella McCartney, décode le succès de ce modèle britannique.

Le mur à l’éclairage rouge sang, bordé d’une nuée de photographes et de cameramen, annonçait fièrement la couleur : l’élégante façade géorgienne du 9, Grosvenor Place, à Londres, était le théâtre ce soir-là d’un événement caritatif à haute fréquentation people assurée : on se pressait ici pour découvrir en primeur une nouvelle série limitée de tables Aqua, rouges cette fois, créées par l’architecte Zaha Hadid pour Established & Sons. Soit douze exemplaires et un prototype, tous mis en vente au profit de la campagne (Red) que soutient le leader du groupe U2, en faveur des malades du sida du continent africain (lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 13 octobre dernier). Bono d’ailleurs était déjà passé la veille, tout comme la créatrice d’origine irakienne, pour cosigner les exemplaires exposés sur lesquels les invités triés sur le volet poseraient quelques heures plus tard leur coupe de champagne ou leur cocktail, assourdis par les  » vibes  » de Will Champion, batteur du groupe Coldplay, aux platines pour la soirée.

Pas de doute, si la société a tout juste quinze mois, sa notoriété n’a rien de celle de débutants… En matière de promotion du design, le séduisant PDG d’E&S, Alasdhair Willis, sait de quoi il parle. Cofondateur du magazine  » Wallpaper* « , il y a dix ans, l’homme est aussi le mari de la styliste Stella McCartney. La présence de son célèbre beau-père lors de la soirée n’avait donc rien d’un mirage.  » Paul McCartney a toujours soutenu les projets d’Alasdhair « , nous assure Karen, la pétillante responsable de la communication d’E&S. Ajoutez à tout cela un concept simple et brillant à la fois – on rassemble sous une même enseigne talents confirmés et espoirs de demain – soutenu par un partenaire financier, le groupe Caparo, doté d’un outil de production pointu. Voilà réunis les ingrédients d’un succès qui n’a guère tardé à se confirmer.

En moins de deux ans, dix designers ont déjà rejoint les rangs d’E&S. Et l’on nous promet l’arrivée de deux nouveaux noms (un  » established  » et un  » débutant « ) pour le prochain Salon du meuble de Milan. Deux collections complètes sont déjà en production. Une boutique s’apprête à ouvrir à New York, dans le très branché Meat Packing District, une deuxième à Londres, où l’on trouvera les pièces les plus accessibles d’Established & Sons. Comme le déjà culte Crate de Jasper Morrison, clone policé d’une simple caisse de bouteilles de vin qui, depuis sa présentation, en avril dernier, divise la planète design (lire page 18).  » Nous avons adoré ce projet dès que Jasper nous l’a présenté, assure Alasdhair Willis. Il n’y avait vraiment que lui pour oser une chose pareille. Nous nous doutions des réactions que cela allait susciter. Et c’est très bien ainsi.  » Dont acte : imaginer à tout prix un design consensuel ne fait pas partie du briefing maison. Explications…

Weekend Le Vif/L’Express : En moins de deux ans, Established & Sons a acquis une renommée inespérée pour une si jeune société ? Vous attendiez-vous à un tel succès ?

Alasdhair Willis : Quand vous créez une société, votre premier objectif est de la faire connaître, ce qu’elle est, ce qu’elle représente. Et nous y sommes parvenus au-delà de nos espérances. Nous avons réussi à promouvoir l’histoire et la mission d’Established & Sons dans les marchés clés du monde. Bien sûr, le nom ne suffit pas. Il fallait aussi développer des collections complètes. C’est chose faite. Et nous avons réussi à faire passer très vite nos projets des coulisses vers les magasins. Cela fait quinze mois que nous avons lancé la société à Milan et nous avons déjà deux collections en production et disponible à l’achat.

Vous considérez-vous comme des ambassadeurs du design britannique ?

Totalement. Tout est créé, basé et fabriqué en Grande-Bretagne. Et cela, peu de designers peuvent l’affirmer car il y a très peu d’outils de productions qui subsistent dans ce pays. C’est d’ailleurs un problème auquel E&S essaie de remédier. Le Royaume-Uni possédait énormément d’excellents artisans. Et il en subsiste qui peuvent fabriquer des produits mieux que partout ailleurs dans le monde. Chez E&S, c’est avec eux que nous avons la chance de travailler. Nous voulons faire éclore de jeunes talents. Pas seulement des designers. Aussi des artisans, des ouvriers spécialisés. Si vous ne travaillez pas avec des jeunes aujourd’hui, si vous ne les formez pas, demain, ce sera trop tard, car les plus anciens s’arrêtent et le savoir se perd.

Comment trouvez-vous de nouvelles recrues ?

Il y a énormément de talents dans ce pays qui sortent de l’école, qui ont travaillé ici quelques années. Ce n’est pas difficile à trouver. Il faut savoir choisir. Nous avons toutefois nos critères. C’est une décision de groupe, qui inclut aussi les designers confirmés avec lesquels nous travaillons déjà. Nous nous voyons comme une famille, et nous voulons les inclure autant que possible dans le processus de décision. La première question que nous nous posons est toujours la même. Voudrions-nous vivre avec ce type de design à la maison ? Et dans trente ans, pensons-nous que ce design, nous le voudrons, nous y croirons et nous l’aimerons encore. Fera-t-il toujours partie de notre vie ? C’est un point de vue assez égoïste mais c’est un point de départ. Puis nous le confrontons à nos distributeurs.

Vous suivent-ils toujours ? Même pour les pièces ambitieuses ? L’Aqua Table de Zaha Hadid, par exemple, ne doit pas être facile à vendre tous les jours…

Pour certaines pièces, nous savons tout simplement que nous voulons les produire. Car elles vont nous permettre de souligner la qualité et le talent de nos manufactures. C’est pour cela aussi que nous avons des éditions limitées. C’est une belle manière de pousser les limites du possible avec des pièces qui ne seront pas produites en grande quantité. C’est considéré par certains collectionneurs comme de l’art. D’ailleurs, le design se rapproche de plus en plus du monde de l’art. On y investit de la même manière. Nous maintenons un équilibre entre les types d’objets que nous proposons. Certains bien plus chers que ce que la moyenne des gens paient pour un meuble de ce type et en revanche vous trouvez à ses côtés un meuble de Jasper Morrison à 70 livres ( NDLR : environ 104 euros) tout à fait abordable.

De grands designers comme Jasper Morrison, Zaha Hadid, Michaël Young n’avaient a priori pas besoin de vous… Avez-vous eu du mal à les convaincre de se joindre à l’aventure ?

Pas du tout. Nous leur avons parlé de notre projet, de notre engagement. Mais surtout, ils ont pu voir qu’il y avait des producteurs derrière nous. Ce n’était pas simplement des types qui venaient les trouver pour dire : voilà, on veut fabriquer vos pièces. Nous avions un partenaire et une idée claire de ce que doit être le design dans ce pays. Et les créateurs ont cru en nous, en ce que nous faisons.

Sont-ils totalement libres dans l’expression de leur créativité ?

Bien sûr, il y a un briefing, mais nous essayons que les choses restent aussi ouvertes que possible. Pour faire place à la créativité. Les designers savent tous que dans le business, il y a aussi des contraintes. Nous devons garder un certain contrôle. Ils doivent être conscients que nous avons une entreprise à faire tourner, que nous voulons vendre leurs produits. Ainsi, la première fois que nous avons discuté avec Zaha, son idée de l’Aqua Table était ridicule, elle voulait qu’elle fasse 10 mètres de long ! C’était insensé ! Le projet a évolué. A terme, nous devons être rentable. La pression existe comme dans n’importe quelle affaire. Notre partenaire n’est pas venu nous voir en nous disant, amusez-vous, allez-y ! Nous avons un conseil d’administration à qui nous devons évidemment rendre des comptes. Mais ils ne contrôlent pas nos choix éditoriaux. Nous avons heureusement réalisé un très bon démarrage bien au-delà de nos objectifs initiaux.

Affirmeriez-vous qu’il existe aujourd’hui un  » british style  » ?

Non, il n’y en a pas. Le style british est très varié, à l’image de tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Il a plusieurs langages propres à l’histoire de chacun. Vous ne pouvez pas y accoler un  » isme « . Et c’est cela que nous voulons faire ressentir aussi dans nos collections. S’il y a un dénominateur commun, ce serait Londres. Ici, il y a une vibration, une créativité incroyable. Les gens ne parlent pas de ce qu’ils vont faire, ils le font, point barre ! Et cette créativité est stimulée par la confrontation des backgrounds différents. Voyez la musique dans ce pays, elle est tellement multiple, et la mode, les plus grands designers du monde viennent d’ici. Il n’y a pas une approche unique, basée sur une histoire, comme cela peut être le cas à Paris. Les Français ont une manière bien particulière d’approcher les choses. A Londres, nous sommes prêts à prendre plus de risques.

Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content