C’est un pays à l’histoire millénaire et mouvementée. Un véritable bouillon de cultures où l’on se noie avec délice dans un océan de beauté, de saveurs et d’hospitalité. Au fil de l’eau, omniprésente. Entre la pluie et la Mer de Chine, le Mékong et les rizières. Immersion au cour du mythe.

Au pays de l’oncle Ho (Chi Minh), tout commence par un pho bo. On déguste ce plat national à toute heure du jour et de la nuit, le plus souvent à même le trottoir et au petit déjeuner. C’est une excellente entrée en matière. Pas seulement gastronomique : ce savoureux bouillon aux pâtes de riz et au b£uf, dont la composition et les parfums varient selon les régions, est souvent l’occasion d’une conversation avec des Vietnamiens – pour autant qu’ils parlent un peu l’anglais, ce qui n’est pas rare, ou que quelqu’un veuille bien jouer les interprètes. Ne comptez pas trop sur le français : l’Indochine, c’est terminé depuis la victoire du général Giap à Dien Bien Phu, en 1954. Et aujourd’hui, la référence culturelle de la jeunesse locale est clairement américaine, n’en déplaise aux anciens combattants Vietcongs.

LE B.A.-BA DU PHO BO

Mais revenons au pho. Nam, notre guide volubile, en révèle le secret :  » Tout l’art du pho bo réside dans le bouillon et dans la façon dont on l’aromatise. On utilise jusqu’à 24 épices et condiments qu’on peut laisser macérer jusqu’à 24 heures. Ensuite on le filtre avant de le remettre à bouillir. Avant de servir, on trempe les pâtes une seconde, puis la viande, on les dépose au fond du bol et on verse le bouillon par-dessus. Quelques rondelles d’oignon frit, de la coriandre, un zeste de citron, une tranche de piment rouge, il n’y a plus qu’à savourer.  » Le jeu va consister à en goûter tous les jours du voyage, pour tenter de distinguer les variations de saveur locales. Essayez, vous verrez : les plus subtils vous resteront à jamais sous le palais.  » Tout le Vietnam est dans le pho, conclut Nam. Ce pays n’est qu’un immense bouillon de culture(s).  » Rien n’est plus vrai. Des hauts plateaux des montagnes du nord, dont les villages abritent des minorités ethniques aux coutumes ancestrales, aux rives du Mékong, le fleuve-mère dont le delta irrigue tout le sud-ouest du pays, la culture est omniprésente et le brassage culturel étonnant. Le Nord et le Sud, longtemps en guerre, les influences chinoise, française, américaine et communiste… Détonnant, parfois. Mais dans la joie et la bonne humeur.  » On se critique entre nous, mais la cible commune, c’est le gouvernement et la corruption « , nous dira ouvertement un Vietnamien rencontré dans le sud.

Le bouillon, c’est également l’eau qui coule partout au Vietnam. Celle des moussons qui ruisselle plusieurs mois par an, celle des fleuves et des rivières qui irrigue, des rizières qui nourrit… Celle de la Mer de Chine qui borde 2 000 km de côtes et de plages paradisiaques, des fontaines qui ensorcellent les parcs, les temples et les jardins… Et celle, aussi, de la sueur qui dégouline, dans ce pays où l’air ambiant atteint des taux d’humidité records une bonne partie de l’année. On s’y habitue, l’air conditionné n’est jamais loin. Mieux vaut tout de même s’habiller léger.

MÉKONG, LE FLEUVE NOURRICIER

Une brise légère nous rafraîchit alors que nous dégustons… un pho (du sud) sur le pont du Bassac, ce confortable bateau de bois qui nous promène pendant deux jours sur les bras du Mékong et de ses affluents. Dans l’immense delta qui s’étend pratiquement de Saigon/Ho Chi Minh Ville à la frontière cambodgienne. Nous sommes loin de l’oppressante équipée du capitaine Willard, dont le patrouilleur traquait le colonel Kurtz, dans le mythique film Apocalypse Now. Mais on ne peut s’empêcher de frissonner en scrutant les frondaisons qui bordent les eaux limoneuses. Si denses, parfois, qu’elles paraissent menaçantes. À tort ! La plupart du temps, la forêt s’ouvre sur la vie grouillante et animée des villages posés sur les berges, les pieds dans l’eau. Il n’est pas rare qu’une maison se laisse emporter par un ressac trop violent, tant la démographie galopante du Vietnam repousse chaque jour les limites de l’urbanisation sauvage. Les 86 millions d’habitants n’ont pourtant pas faim. Du moins dans les campagnes. Et ils le prouvent, au gré d’une hospitalité désintéressée. Le bateau jette l’ancre pour nous permettre d’explorer les terres voisines, où un village au nom imprononçable émerge discrètement d’une végétation luxuriante. Ici, un couple pêche abondamment dans un affluent du grand fleuve, immergé jusqu’à la poitrine. Là, des femmes cueillent la profusion de fruits qu’elles nous serviront plus tard, à même la terre de leur jardin d’Éden. Des mangues, trois variétés de litchis, du jacquier odorant, de l’ananas gorgé de sucre, d’autres merveilles jusqu’alors inconnues. Autour de nous, la jungle est civilisée, domestiquée par l’homme qui en tire de confortables moyens de subsistance. Ce qu’il ne consomme pas, il le vend sur les marchés flottants qui parsèment le Mékong tous les matins. Le spectacle, sous les rayons du soleil levant comme sous une pluie battante, est féerique. Barques et sampans s’entrecroisent dans un ballet aquatique parfaitement réglé, où les clients voguent de boutique en boutique. Au mât de chaque bateau pendent quelques exemplaires des produits qu’il propose, et les affaires vont bon train. Partout, les marchands proposent au public de quoi se sustenter. Le fumet du pho bo plane, désormais familier.

HA LONG ENTRE MER ET TERRE

Même si le Vietnam communiste s’est largement ouvert au tourisme depuis une vingtaine d’années (la réforme économique ou Doi Moi date de 1986) et autorise les étrangers à circuler librement, il reste malaisé de s’y promener sans assistance. On s’y perd vite, tant les indications explicites sont rares. À moins de suivre, en gros, l’itinéraire classique. Il commence à Hanoi, la capitale du nord et aujourd’hui du pays réunifié, pour s’achever à Saigon, la capitale du sud, devenue Ho Chi Minh Ville et le poumon économique du pays. Entre les deux, 1 700 km de routes à peu près praticables.  » Nous avons aussi un TGV, s’amuse Nam. Ça veut dire : Train à Très Grandes Vibrations. Il met entre 33 heures et trois jours pour relier les deux villes. « 

À Hanoi la langoureuse, la vie coule tranquillement autour du Grand Lac de l’Ouest, dit aussi Lac des Brumes, et du plus modeste Hoan Kiem ou Lac des Tortues. Ils invitent à la promenade et à la méditation : de nombreuses légendes les concernent, qui renvoient à la mythologie chinoise, bien avant que le peuple Viet ne conquière son indépendance. Elles parlent de dragons, de renards à neuf queues, de tortues géantes – ces dernières peuplent toujours les eaux du lac des Tortues, paraît-il.

Le mythe, celui des cartes postales, est à trois heures de route, vers l’est. La fameuse baie de Ha Long et ses milliers de rochers karstiques, qui émergent de la Mer de Chine. On n’y est évidemment pas tout seul ! Là encore, il faut plonger avec délice et de préférence en bateau, voire ponctuellement en kayak, pour explorer ce paysage géologique unique au monde. La nuit, ancrés entre deux mégalithes, nous y avons pêché le calamar et attrapé des méduses. L’eau, ici, est surtout propice à l’observation… en surface.

PLONGÉE DANS LE TEMPS

Entre Hanoi et la région du centre, on découvre le pendant terrestre de Ha Long. Autour de Ninh Binh, des formations karstiques impressionnantes se déploient sur fond de rizières verdoyantes. Moins fréquentées, presque plus authentiques. La promenade à vélo à travers les villages, les temples et les palais de cette région qui fut capitale du premier empire Viet, il y a mille ans, et où la vie agricole suit aujourd’hui son cours, offre une plongée dans le temps qu’un vilain crachin ne réussit pas à ternir. Au contraire : l’équipée détrempée rend les villageois euphoriques. La route de Saigon est encore longue. Au centre, elle passe par Hue, qui fut également capitale de l’empire jusqu’au XIXe siècle, baignée par la rivière des Parfums. Ou par Hoi Han, dont le charme historique est classé au patrimoine mondial. À Nha Trang, où les plages magnifiques attirent surtout les vacanciers du cru, des villages de pêcheurs flottants parsèment la baie. Poussez l’incursion un peu plus loin, jusqu’aux îlots qui constituent autant de spots de plongée exceptionnels… Peut-être aurez-vous la chance d’apercevoir un chasseur qui attrape un autre trésor : des nids d’hirondelle qui valent plus que l’or. Les Vietnamiens (et les Chinois) les plus riches les dégustent plongés dans un bouillon… De luxe.

Carnet pratique en page 58.

PAR PHILIPPE BERKENBAUM

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