Homme objets

Renouant avec une certaine idée de la parure, le fashionisto s’entiche d’accessoires. Sur fond de sophistication du vestiaire masculin. Sacs à main, bijoux, chapeaux, rien n’est trop beau pour se pavaner.

C’est une tendance de fond, observée depuis plusieurs saisons sur les catwalks : l’homme retrouve le goût des accessoires de mode. Ou, du moins, lui suggère-t-on de s’y remettre. Cet hiver, par exemple, si vous craquez pour le style Giorgio Armani, il vous faut absolument vous couvrir le chef d’un chapeau en feutre et adopter la démarche nonchalante des raggazzi des années 1940-1950. Si c’est dans le vestiaire Burberry Prorsum que vous vous aventurez, vous en reviendriez paré de bonnets, casquettes, gants, cabas et écharpes aux couleurs mélancoliques de l’automne. Chez Lanvin, Lucas Ossendrijver propose d’épingler de délicats bijoux animaliers au revers de votre veste ; pour Gucci, Frida Giannini impose le sac 48 h et le foulard en guise de ceinture, tandis que Jean Paul Gaultier remet au goût du jour le couple chapeau melon et parapluie.

Rupture de codes

Dernier avatar d’une sophistication exponentielle du dressing masculin, la surenchère d’accessoires présentés sur les podiums s’inscrit en droite ligne de la révolution stylistique entamée durant les années 1980 par une poignée de créateurs avant-gardistes tels que Yohji Yamamoto ou Jean Paul Gaultier qui décomplexèrent les fils d’Adam à la faveur de défilés-manifestes incluant jupes, coupes audacieuses et autres pièces radicales. L’idée défendue : les hommes peuvent, tout comme leurs compagnes, compter sur les stylistes pour combler leurs désirs de mode les plus fous et étancher leur soif de délicatesse et de distinction.

 » Une rupture après cent cinquante ans de costume sombre, l’uniforme de l’homme au travail « , souligne Florence Müller, historienne de la mode et professeur à l’Institut français de la mode. Si, au départ, cette philosophie décomplexée de la coquetterie XY ne percole que dans un milieu très restreint, vingt ans plus tard,  » ces changements sont lourds de conséquences, poursuit la spécialiste. Les créateurs ont revu les codes de respectabilité incarnés par le costume. Ce qui a d’autant plus d’écho aujourd’hui que l’on assiste à une féminisation des valeurs et de la société en général où l’on a davantage le droit d’exprimer sa personnalité. Regardez les ados. Ils ont créé une nouvelle démarche en matière de vêtements et d’accessoires ; de la ceinture aux bijoux en passant par les sacs et les chapeaux qui viennent couronner la parure, compléter la coiffure, exactement comme les femmes dans les années 1920, 1930.  » La variété des formules vestimentaires n’est effectivement plus une caractéristique réservée au vestiaire des filles. Dans lequel les fashionistos n’hésitent d’ailleurs plus à piocher au gré de leur humeur.

 » Murses « 

Le cas du sac à main est à cet égard emblématique. Rappelons-nous. Saison 5 de Friends, la série culte. Joey se rend à une audition où il doit épater l’assemblée. Rachel le convainc de porter un cabas pour homme, qu’il trouve à ce point pratique qu’il ne peut plus s’en séparer. Les moqueries de Chandler et Ross ne se font pas attendre… C’était au début des années 2000. Autant dire une éternité sur le calendrier modeux. Si l’épisode devait être réalisé aujourd’hui, pas sûr que Chandler et Ross s’accorderaient pour chambrer leur pauvre ami. Il y aurait débat. Sans aucun doute. Car, si d’aucuns jugent encore le sac à main dévirilisant, de plus en plus de mecs se mettent à lui trouver une plus-value en termes de chic.

 » Le sac à main concourt à une pratique de la sophistication chez les garçons, insiste Florence Müller. Je pense qu’ils ont toujours eu cette envie mais que ce domaine leur était interdit. Ils avaient peur de paraître ridicules. » Aujourd’hui,  » Un vrai marché du sac pour homme commence à se développer, avance-t-on chez Longchamp à Paris. Plus décontracté que le porte-document classique, moins sport que le sac à dos ou le body bag. Les hommes sont davantage attirés par des contenants plus mixtes, tels que des grands cabas, des besaces ou des petits sacs de voyage ». Témoin de la vitalité du secteur, les sacs masculins de Florian Denicourt, nouvelle coqueluche de l’accessoire parisien, devancent à présent leurs homologues féminins dans un rapport 45/55, rapporte le Fashion Daily News (1).

Il suffit de se balader dans les rues de Paris, New York ou Milan. On commence à y voir fleurir sur les bras et les épaules de ces messieurs des sacs 24 ou 48 h, baptisés par les Anglo-Saxons  » murses « , contraction de men (hommes) et de purses (bourses). Le murse se porte à la saignée du coude façon Kate Moss ou, pour faire le dur, sur l’épaule, à la Jude Law. Selon WGSN. com, société en ligne d’analyse des dernières humeurs en matière de textile, de style et de design, le port du sac à main était d’ailleurs sans conteste la  » it-attitude  » à adopter de l’été dernier à New York. Conclusion du rapport de tendances : si le sac pour hommes est un attribut fashion immédiatement identifiable, il doit également son succès à son aspect purement pratique.

Forme et fonction

A une époque où l’on se promène avec sa vie sur son dos (GSM, ordinateur portable, iPod, voire console de jeux), le sac spacieux, à la fois classe et confort, semble la solution toute trouvée. Didier Vervaeren, directeur de la création auprès de la maison Delvaux ne dit pas autre chose :  » Dans cette vie urbaine, où l’on est souvent loin de sa maison, où l’on a tellement d’objets à emmener avec soi le jour comme le soir, le sac s’impose. Les hommes ont compris qu’il ne s’agissait pas seulement de coquetterie mais d’une manière de vivre. » Comme Soren, 42 ans, amené à voyager régulièrement dans le cadre de son job, passé bag-addict en quelques années.  » J’en possède quelques-uns, c’est vrai. Et puis, comme l’a écrit à raison Tyler Brûlé dans sa chronique du Financial Times, la valise à roulettes dans les aéroports, c’est  » out  » : pas pratique pour les contrôles, et encombrant dans les avions maintenant que de plus en plus de personnes voyagent.  » Pragmatisme encore. Mais couplé à un sens de l’esthétique naturel. Récemment Soren a ramené d’un voyage d’affaires en Inde un sac 24 h en cuir noir gaufré de motifs végétaux. Même si sa femme le lui pique à tout bout de champ, quand il l’emmène il n’a pas la sensation que ce sac à main lui ôte sa virilité. Au contraire :  » C’est une manière de me démarquer « , assure-t-il. Le sac à main semble être le véhicule idéal à cet effet. Bien qu’il soit plus présent que jadis, il reste en effet un élément distinctif dans le paysage urbain.

Relais de croissance

 » Le sac pour hommes reste encore cantonné à un petit milieu, observe Guillaume Erner, sociologue spécialisé dans la mode (2). Mais il se peut qu’il réponde au phénomène d' » habituation  » qui veut que lorsqu’on voit quelque chose pour la première fois on le trouve ridicule, la deuxième pas si mal et la troisième indispensable. Comme les cosmétiques masculins, d’abord jugés dévirilisant, mais dont la base de consommateurs s’agrandit avec d’autant plus de vigueur que l’on part de rien.  » A marché vierge, croissance à deux chiffres assurée. Par-delà son explication sociologique, le foisonnement inédit d’accessoires masculins s’explique aussi et surtout pour des raisons économiques.  » Le marché de la femme est saturé, constate Guillaume Erner. Les marques de mode cherchent donc des relais de croissance en prenant d’assaut les marchés de l’enfant et de l’homme.  » D’où le boom des propositions en matière d’accessoires. Par ailleurs très rentables pour les marques : portes d’entrée dans l’héraldique du luxe, les petites pièces de maroquinerie, foulards et autres chapeaux marchent très bien auprès des jeunes : ces produits permettent d’afficher son logo préféré sans faire exploser son budget. Quant au sac à main, plus cher, il suffit à situer son propriétaire dans la saison sans l’obliger à craquer pour le total look hors de prix.  » Grâce au sac à main un garçon qui n’a donc pas les moyens de se griffer de la tête aux pieds peut malgré tout émettre un message mode très fort « , souligne Florence Müller. Les filles appellent ça un  » it-bag « .

(1) Fashion Daily News, 4 janvier 2008.

(2) Lire aussi Sociologie des tendances, par Guillaume Erner, collection Que sais-je ? Ed. P.U.F., 128 pages.

Baudouin Galler

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