Tom Ford, très médiatique directeur artistique de Gucci pendant de nombreuses années, est passé derrière la caméra pour l’épatant A Single Man. Un film cousu à petits points, et attendu de longue date. Colin Firth et Nicholas Hoult, ses acteurs, racontent.

Adapté du roman éponyme de Christopher Isherwood, A Single Man ( Un homme au singulier) consacre le passage derrière la caméra d’une icône de la mode, Tom Ford. On y découvre, dans le Los Angeles du début des années 60, le désarroi d’un homme dans la cinquantaine, George Falconer, que la perte accidentelle de son compagnon a laissé hagard.  » Se réveiller chaque matin est une douleur « , observe-t-il, à l’aube d’une existence vidée de sens, l’avenir en berne.

La lecture du roman, explique Tom Ford dans sa déclaration d’intention, avait laissé en lui une marque indélébile. Empreinte qui transparaît à l’écran, pour un film d’une fulgurante intensité, transcendée par l’interprétation exceptionnelle de Colin Firth (qui devait d’ailleurs lui valoir le Prix d’interprétation à la Mostra de Venise, en septembre dernier). Une affaire de style, également, l’action s’inscrivant dans un cadre millimétré et millésimé, chaque plan laissant filtrer un art consommé de la composition – un coup d’£il à celui, sublime, dominé par un poster de Psycho suffit à s’en convaincre.

Une présence tranquille

On ne peut à proprement parler de surprise : vingt ans de direction artistique dans le domaine de la mode ont, à l’évidence, ciselé le regard du cinéaste débutant. Ce que confirme Nicholas Hoult, jeune acteur britannique dont le nom n’est peut-être pas familier, mais qui n’est pas un inconnu pour autant : on l’avait découvert aux côtés de Hugh Grant dans About a Boy (2002), avant de le retrouver aujourd’hui dans le rôle de Kenny, étudiant dont la présence agit comme un révélateur pour le professeur Falconer.  » Je ne connais guère le milieu de la mode, confie-t-il. Lorsque j’ai rencontré Tom Ford pour la première fois, je n’avais pas la moindre idée de son passé. Il m’a expliqué, très honnêtement et modestement, ce qu’il avait déjà fait. Rentré chez moi, j’ai fait des recherches et j’ai découvert ce qu’il représentait dans le monde de la mode. D’emblée, j’ai eu la conviction que ce tournage pourrait s’avérer très spécial, et je n’ai pas été déçu. Tom semble avoir l’£il aiguisé pour toute choseà  »

Sentiment corroboré par Colin Firth :  » Tom Ford vaut tous les metteurs en scène avec lesquels j’ai travaillé.  » Pas un mince compliment, si l’on considère que le Marc Darcy de Bridget Jones (2001) exerce son charme singulier à l’écran depuis une bonne vingtaine d’années maintenant. Et que, si on l’associe généralement aux comédies romantiques, il a su se montrer non moins à son affaire dans les registres les plus divers, incarnant avec un égal bonheur le Vermeer de Girl with the Pearl Earring (2003) que le Lord Wessex de Shakespeare in Love (1998) , par exemple.  » Un metteur en scène parfait devrait réunir un nombre considérable de qualités, et pouvoir assumer plus de choses qu’il n’est humainement possible, poursuit-il. Je ne pense pas que quiconque puisse à la fois être un expert en objectifs, s’y connaître en costumes, savoir travailler un texte, comprendre le rythme, conduire les négociations avec les producteursà En général, un réalisateur possède deux ou trois de ces qualités. Tom impose pour sa part une forme de présence tranquille sur le plateau par laquelle il inspire tous ceux qui sont impliqués, acteurs, chef-opérateurà et les amène à un niveau optimal. C’est le propre des grands, et il y arrive sans devoir recourir à beaucoup de mots. Un jour ou deux, à peine, ont suffi pour que tout le monde avance dans la même direction, sans qu’il ait eu besoin d’explications superflues : nous avons simplement senti ce qu’il désirait, et lui, pour sa part, répondait à ce que nous faisions. C’est devenu un échangeà  »

 » Tom vous laisse essayer des choses, épingle quant à lui Nicholas Hoult. En tant qu’acteur, on peut éprouver la peur d’échouer. Mais je ne l’ai pas ressentie avec lui, parce qu’il nous laissait jouer, essayer, même s’il savait très précisément où il voulait amener chaque personnage. Il agissait de façon très subtile, sans nous mettre trop de pression. « 

Avec la manière

Le résultat à l’écran est rien moins que suffocant, pour un film qui, brassant des sentiments intimes, trouve une résonance bouleversante.  » Ce tournage a baigné dans une grande qualité d’émotion, souligne Colin Firth. Il y a des rôles dont on se débarrasse une fois le film terminé, mais le personnage de George Falconer est de ceux qui restent.  » Et accompagnent le spectateur dans la foulée, signe qu’en la matière Tom Ford a su trouver la manière.

Et Colin Firth de conclure :  » Mettre en scène est une question de personnalité, de vision, et de capacité à transmettre cette dernière. Je n’ai pas souvent rencontré des gens plus compétents dans ce domaine que Tom, qui a en outre une intelligence et une sensibilité extraordinaires. Si, dans un premier temps, j’ai été étonné d’être approché par quelqu’un issu du monde de la mode, j’ai rapidement surmonté ce sentiment en découvrant un brillant metteur en scène. Je ne serais d’ailleurs pas surpris qu’il poursuive exclusivement dans cette voie.  » A en juger par A Single Man, nul doute, en effet, que Tom Ford en ait l’étoffeà

A Single Man, sortie le 24 février. Critique dans Focus Vif.

Par Jean-François Pluijgers, à Venise

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