Si certains clament que la crise des hommes s’aiguise, Willy Pasini, lui, préfère s’interroger sur ce tournant identitaire et les changements nécessaires. Psychiatre, sexologue et psychothérapeute, il prône l’union entre masculinité et émotions. Explications.

L’égalité entre les sexes n’est pas encore acquise, mais il y a déjà du progrès. Aujourd’hui, les femmes brandissent leur d’indépendance professionnelle et personnelle, leurs désirs et leur droit au plaisir. Un peu dépassés par le tempo, les hommes ne savent plus sur quel pied danser. Dans l’intimité, ils sont même carrément déboussolés par ce qu’on attend d’eux. D’autant que les femmes semblent elles-mêmes indécises… Les machos, elles les ont relégués aux oubliettes. Mais si un homme se montre trop émotif, féminin ou câlin, il est taxé  » d’homme-lette « . Dans son dernier opus (*), Willy Pasini estime qu’on doit redéfinir la virilité. Ses propos visent à désamorcer une crise douloureuse et taboue. En panne de modèles, les hommes devraient essayer de ressembler à des chevaliers, au c£ur tendre. A l’image du centaure, dont le corps renferme une part de force et de sensibilité. Objectif : être bien dans leur peau et mieux dans leurs relations avec les femmes.

Weekend Le Vif/L’Express : Peut-on dire aujourd’hui, pour paraphraser Simone de Beauvoir,  » On ne naît pas homme, mais on le devient  » ?

Willy Pasini : Je dirais plutôt qu’on le redevient. Poussé par les femmes, le cow-boy a abandonné son rôle de macho. En renonçant à son c£ur, il était amputé d’une part importante de son être. Depuis qu’elle s’est enrichie d’une touche de féminité, la virilité se situe entre la masculinité et la sensibilité. Ainsi, elle conjugue désormais sexe et c£ur, dont on n’a plus peur. Devenir un homme signifie qu’on n’aspire plus à déléguer les sentiments à la femme. C’est surtout dans la paternité qu’on ose les affirmer sans honte. Cette découverte s’applique ensuite à sa relation à sa compagne.

Le  » nouvel homme  » est-il arrivé ?

Au lieu d’être un Peter Pan attardé, l’homme contemporain prend ses responsabilités en main. Il est content d’être un homme, car il s’est fait tant taper dessus, qu’il n’osait plus l’être dans la sphère privée. Du coup, il renoue avec des initiatives viriles. Chose qu’il ne faisait plus que dans le champ public. Quant aux  » nouveaux hommes « , le  » métrosexuel  » est en train de s’éteindre. Trop narcissique, il est obsédé par ses chaussures en python et sa veste Dolce & Gabbana. Ni homo, ni hétéro, il n’aime que lui. Or sa beauté ne sert pas la séduction. A l’image d’Adonis,  » l’übersexuel « , lui, incarne la nouveauté, car il combine le c£ur, la virilité et le sexe.

En quoi les médias ont-ils influencé l’image que les hommes se font d’eux-mêmes ?

Toujours axés sur la performance, les médias ont mis l’homme désirable en avant. A savoir, le footballeur à la David Beckham qui est jeune, beau, riche et célèbre. Masquant sa fragilité intérieure, ce modèle s’applique plus au public qu’au privé. Comme ces valeurs font rêver, les hommes veulent lui ressembler. Cela crée un malentendu car les femmes ne cherchent pas seulement le prototype de la virilité –  » l’homme agir  » – mais également celui avec qui elles peuvent parler et rire.

Qu’entendez-vous par  » développer leur sensualité  » ?

L’homme doit apprendre à penser au corps plutôt qu’au sexe. Au lieu d’être obnubilé par la prestation, mieux vaut qu’il se concentre sur l’échange de plaisirs. Nous sommes à un tournant important de l’Histoire car pour la première fois, la sexualité est indépendante de la procréation. C’est pourquoi elle nous renvoie à quelque chose de léger et de ludique.

Le  » premier sexe  » est-il menacé ?

S’il l’est, c’est essentiellement dû à lui-même et partiellement à la femme. Outre l’absence de modèles héroïques, il peine à en trouver de nouveaux. Cow-boys et play-boys ne sont plus à la mode. Seul le prince charmant demeure, mais il est parfois davantage un accompagnateur qu’un homme. Les femmes se demandent d’ailleurs où sont les Hommes. Face à ces dobermans (trop violents) ou ces cockers (trop mous), elles aspirent à quelqu’un qui réunisse la parole et l’action. C’est pourquoi je préconise la figure du  » centaure « , qui possède à la fois un côté sauvage et un côté sage.

Pourtant, il y a plus de violence envers les femmes.

Les hommes violents ne sont pas guidés par Eros, mais par l’envie de retrouver un pouvoir perdu. Pour eux, le sexe est un moyen de s’imposer (cf. les films pornos, où la femme n’est qu’un objet soumis). Bien que les femmes soient plus libres, la prostitution a beaucoup de succès. Les clients paient pour assouvir leur envie de dominer, et renouer ainsi avec leur côté doberman.

En quoi l’évolution féminine a-t-elle déstabilisé les hommes ?

De par leur liberté sexuelle, les femmes ont inversé les rôles. Dans le cerveau primitif, elles étaient la proie du chasseur. Or, comme elles désirent avant les hommes, elles sont devenues des prédatrices. Ceci est incompatible avec le cerveau primaire masculin, qui se voit toujours comme prédateur. Cela provoque, en lui, une perte de désir. Fréquent en consultation, ce constat se retrouve même chez des ados. L’érection est plus fragile qu’on le croit. L’anxiété de la prestation est telle, que les jeunes demandent du Viagra pour leur première fois. Comme l’a démontré la série  » Sex and the City « , les femmes en parlent désormais entre elles. Ils craignent que s’ils loupent leur coup, ils seront grillés partout.

Se sentent-ils  » castrés  » ?

Cela ne concerne qu’un petit pourcentage : les machos, qui ont perdu leurs privilèges d’antan. Si le sexe peut être corrigé par des médicaments, il n’en va pas de même du désir. Alors qu’avant il était le monopole de l’homme, il doit être à présent partagé avec la femme. C’est assez déstabilisant. Nous vivons dans une période  » d’extimité « , qui est l’inverse de l’intimité. Les sous-vêtements qui se portent sur les habits sont une métaphore de la sexualité actuelle, qui n’est plus cachée, mais publique. Une peur ancienne, comme la taille du pénis ou des seins, a pris de l’ampleur en raison de ce phénomène.

Vous dénoncez aussi  » l’urgence  » dans laquelle on vit aujourd’hui.

Si la  » rapidité  » est une qualité, l’urgence est un défaut. En régnant dans nos sociétés, elle modifie les rapports entre les êtres, et entre hommes et femmes. On dispose d’autant de temps qu’avant, mais on a le double de choses à faire ! Les Wonderwomen sont en fébrilité, car elles doivent gérer leur carrière tout en faisant des enfants. Alors qu’avant, le nid était vide à 50 ans, il est actuellement archi-rempli : les enfants restent et les parents sont toujours vivants. Quant au timing relationnel, on brûle les étapes. Les jeunes font l’amour avant de communiquer. Il est donc nécessaire de réintroduire le flirt !

Qu’est-ce qui vous étonne dans l’évolution du couple ?

C’est qu’on a beau pester contre lui, on n’a toujours pas trouvé d’autre alternative ! Même les  » singles  » représentent plutôt une étape, un passage entre deux couples. Aussi faut-il l’améliorer et l’assouplir, au lieu de le détruire. Je suggère le  » syndrome du marin  » : mettre une certaine distance dans le couple, pour attiser l’envie de se retrouver.

Comment la paternité a-t-elle évolué ?

L’arrivée d’un enfant est déterminante pour désinhiber ses sentiments. Lorsqu’un papa tient son bébé dans ses bras, il découvre une sensualité sans ambiguïté. Relégué au rôle masculin traditionnel, il va alors révéler un chevalier sans cuirasse. L’intégration naturelle du rôle paternel – le papa poule – est un progrès. Mais en perdant sa fonction d’autorité, il ne rend pas service à ses enfants, qui ont besoin de barrières pour se constituer. En agissant ainsi, le père espère redevenir un ado, mais c’est un leurre !

N’y a-t-il pas finalement beaucoup de souffrance en jeu ?

Non, il y a plutôt plus de soucis pour se trouver. Longtemps, les rôles féminins et masculins ont été prédéfinis par la société. Si on ne s’y retrouvait pas, c’était très dur. Aujourd’hui, c’est à nous de les définir et de s’y adapter. Cela requiert, certes, plus de difficultés, mais c’est tellement plus riche de pouvoir vivre plusieurs rôles !

Quelles sont vos prédictions pour l’avenir ?

Avant, le père constituait l’unique modèle social d’un fils. S’il était problématique, c’était loupé pour lui. Actuellement, un enfant dispose de plein d’autres alternatives. Je suis optimiste quant au futur des hommes. Ce qu’ils vont devenir ne dépend pas que du dedans, mais également du dehors. Un régime totalitaire les obligera à remettre leur cuirasse, alors qu’une démocratie les aidera à être flexibles.

(*)  » Des hommes à aimer – Comprendre et gérer les fiancés, les maris et les amants « , par Willy Pasini, Odile Jacob, 221 pages.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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