Au dernier Festival des arts de la mode de Hyères, la Belgique s’est une fois de plus illustrée en décrochant le Grand Prix grâce au talent de Sandrina Fasoli. Gros plan sur un événement incontournable qui fait rimer jeune création et expérimentation.

L e pas est vif et décidé. Profitant du rythme électro-pop de  » Strict Machine « , morceau tiré du tout dernier album de Goldfrapp, les mannequins de Sandrina Fasoli affichent leur détermination et leur belle suffisance. Leurs tenues semblent sobres, voire parfois négligées, mais elles sont en vérité finement travaillées. Légères, hybrides et audacieuses, les robes s’acoquinent de lingerie sensuellement greffée dans une collection baptisée  » Les Tricheuses  » et dédiée à l’artiste américaine Vanessa Beecroft. Fascinée par le travail de cette photographe-vidéaste qui filme des jeunes femmes à moitié nues pendant des heures, la Belge Sandrina Fasoli a eu simplement envie de les rhabiller à coups de bodys-manteaux, de vestes-jarretières et de culottes-jupes. L’effet est saisissant. L’assistance retient son souffle. Les baffles hurlent  » I’m in love  » sous le grand chapiteau transparent, tandis que les flashes crépitent à l’apparition des filles dopée au beat répétitif…

Comme chaque dernier week-end d’avril depuis dix-huit ans déjà, le Festival international des arts de la mode de Hyères met la cité varoise en ébullition. Stylistes, journalistes, attachées de presse et chasseurs de têtes envahissent la ville l’espace de quatre jours dédiés au vêtement et à la photographie. Côté mode, dix jeunes créateurs ont été sélectionnés parmi une bonne centaine de candidats venus majoritairement d’Europe. Une fois de plus, la Belgique est joliment représentée avec Grégory Georgescu, fraîchement diplômé de l’Académie d’Anvers, et surtout quatre étudiants de l’école bruxelloise de La Cambre : les Belges Chrystel Fischer et Sandrina Fasoli et les Français Laurent Edmond et Jeremy Dhennin. Autour d’eux, d’autres nations illuminent la compétition, de l’Autriche au Danemark, en passant par l’Allemagne, le Maroc et les Pays-Bas. Dix stylistes en devenir pour dix défilés de dix silhouettes chacun.

Comme toujours à Hyères, la Belgique a de l’avenir : à l’issue du festival, Sandrina Fasoli décroche le Grand Prix de l’édition 2003 pour sa collection volage et franchement féminine. Mieux, elle partage une deuxième récompense de prestige ex aequo avec Laurent Edmond, également étudiant en quatrième année à La Cambre : le Prix  » 1, 2, 3 « , une bourse de 15 000 euros remise par la marque du même nom et qui garantit aux lauréats la production et la distribution d’une mini-collection pour l’été 2004. Intitulée  » Loving me, houssing you « , la collection de ce Français de Belgique joue subtilement avec la frontière qui existe entre la deuxième et la troisième dimension. Posés sur le sol, ses vêtements ressemblent à des formes géométriques souvent circulaires, mais une fois portés, ils révèlent toute la beauté de leur volume. D’où ce néologisme inventé par Laurent Edmond : le verbe franglais  » housser  » qui désigne, à ses yeux, ce passage délicat d’un aplat plutôt abstrait vers des silhouettes très concrètes, élégantes et irrésistiblement sensuelles.

 » Je suis heureux que La Cambre soit de retour sur le podium de cette édition 2003, notamment pour le Grand Prix du festival, confie Jean-Pierre Blanc, organisateur de la manifestation. Entre la Belgique et Hyères, il y a une grande histoire d’amour qui a commencé en 1989 avec Sami Tillouche. Depuis, le bouche-à-oreille a fonctionné et notre événement fait désormais partie des grands rendez-vous prisés par les jeunes créateurs belges. Ils viennent ici dans un état d’esprit bien spécifique où se mêlent la fête, la découverte, la convivialité, l’ouverture d’esprit et le professionnalisme.  » Dans le jardin de la villa Noailles, centre névralgique des festivités, une exposition rend précisément hommage à cette complicité qui s’est nouée, au fil des ans, entre Bruxelles et Hyères ( lire l’encadré en page 16). De Billie Mertens à Valéria Siniouchkina, en passant par Bertrand Sottiaux, Crstof Beaufays et Christian Wijnants, la scénographie immortalise quelques moments forts des participations belges au Festival international des arts de la mode.

Parmi la douzaine de silhouettes exposées, un autre grand nom de la mode bruxelloise attire forcément l’attention : Xavier Delcour, lauréat en 1995 et qui, cette année, fait partie du jury au même titre que les créateurs Pierre Hardy, Haider Ackerman et Ena Capasa (Costume National), les directeurs artistiques Terry et Tricia Jones (ID), mais aussi de grands commerciaux de la mode tels que Sidney Toledano (Christian Dior), Florence Calvet (Henri Bendel), Christine Samain (Le Bon Marché) ou encore Sarah (Colette). Telle est la force du festival hyèrois : réunir un joli panel de professionnels de la mode pour élire les futurs grands de demain qui viendront sans doute, à leur tour, désigner d’autres talents prometteurs. A titre d’exemple, Gaspard Yurkievich, Viktor & Rolf, Sébastien Meunier et le duo Alexandre Matthieu sont également passés par là…

Bien sûr, la tâche du jury n’est pas aisée car il convient de canaliser, en définitive, des points de vue forcément différents. Ainsi, le Prix Homme 2003 a suscité de vifs débats entre des membres plus ou moins séduits par les trois candidats en lice : le Danois Henrik Vibskov, le Français Jeremy Dhennin (étudiant à La Cambre) et l’Autrichienne Ute Ploier qui a finalement remporté la mise pour sa mode matelassée à la grande colère de certains participants ! En revanche, le Grand Prix du festival (attribué à une collection Femme) a causé nettement moins de remous dans le jury. Parmi les sept candidats restants, trois noms ont rapidement émergé : le Marocain d’Arnhem Hamid Ed-Dakhissi, auteur d’une mode raffinée et théâtralisée, la Belge Sandrina Fasoli et le Français Laurent Edmond déjà évoqués. Tous sont finalement repartis avec un prix puisque, en dehors du Grand Prix et du Prix  » 1, 2, 3  » attribués aux deux  » Cambriens « , Hamid Ed-Dakhassi s’est vu décerner, quant à lui, le Prix Henri Bendel avec, à la clé, l’achat de sa collection par le célèbre magasin new-yorkais. Outre ces récompenses accordées par les professionnels du secteur, un ultime prix est venu couronner le festival et ses dix défilés : le Prix de la Ville d’Hyères, fruit du vote du public donné cette année au tandem français Dominique Bastard et Antonin Ghirardi pour leurs silhouettes délibérément féeriques.

Précieux tremplin vers une reconnaissance attendue, le Festival des arts de la mode de Hyères est surtout l’occasion, pour les jeunes créateurs, de nouer facilement des contacts privilégiés avec de grands acteurs de la mode généralement inaccessibles. En quelques années seulement, la manifestation a en effet gagné les galons de sa crédibilité et draine désormais son lot de personnalités et de sponsors prestigieux tels que LVMH ou encore L’Oréal. Certes, les nostalgiques de la première heure regrettent un peu l’amateurisme bon enfant qui présidait jadis à sa destinée, mais le pèlerinage à Hyères fait aujourd’hui partie – à raison – des tout grands rendez-vous de la mode européenne. Indice révélateur : les journalistes, photographes et directeurs artistiques des magazines pointus s’y retrouvent volontiers au milieu d’artistes en vogue et d’autres personnalités de la mode (aperçus entre autres cette année  » hors jury  » : Andrée Putman, Martine Sitbon, Jean Colonna, Isabelle Ballu ou encore Francine Pairon).

Véritable aubaine pour les finalistes sélectionnés, cette concentration de contacts professionnels est donc une excellente raison d’être déjà présent à Hyères. Des cartes de visite s’échangent sans aucune formalité, des interviews s’organisent spontanément avec des journalistes venus parfois de loin, des silhouettes se prêtent pour des productions de mode improvisées et des projets de stage se dessinent avant même l’annonce des résultats, comme le confirme la lauréate Sandrina Fasoli :  » Le simple fait d’être sélectionnée à Hyères est déjà une finalité en soi, précise la jeune femme de 26 ans. Quel que soit le résultat, le festival ouvre des portes qui resteraient fermées en temps normal. Nous avons tous eu, par exemple, la visite de grands bureaux de recrutement italiens. Personnellement, et avant même la proclamation des prix, deux de mes silhouettes ont été réquisitionnées par le magazine  » Elle  » (France) et le supplément mode du journal anglais  » The Independent  » pour des shootings. Et puis, j’ai eu aussi l’accord d’Alexandre Matthieu pour un stage de trois mois chez eux l’été prochain. Tout ça parce que j’ai eu l’opportunité de montrer mon travail à des professionnels de la mode présents comme moi à Hyères. C’est précieux.  »

Malheureusement boudés par le jury et le public d’Hyères, les deux autres Belges présents au festival ne regrettent pas pour autant leur séjour ensoleillé à la Villa Noailles. Tant Chrystel Fischer et ses intrigantes robes patchwork que Grégory Georgescu et ses silhouettes délicieusement sarcastiques ont noué des contacts intéressants et savouré l’ambiance particulière de la manifestation. Vivier bouillonnant de la jeune création vestimentaire, le Festival d’Hyères reste, en effet, un haut lieu de la mode en devenir où il est toujours bon d’être vu. Car l’événement donne généralement le ton des tendances futures. Hyères, c’est déjà demain. Avec ou sans prix.

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