Aristocrate de la mode, l’égérie d’Yves Saint Laurent Beauté bouleverse les codes. Rockeuse, tatouée, connectée, elle s’attaque aujourd’hui à Hollywood, avec six films bientôt à l’affiche. Et elle n’a que 22 ans.

On dit que les yeux sont les fenêtres de l’âme, mais quand on tente de percer le mystère Cara Delevingne, la courbe de ses sourcils constitue sans doute le plus éloquent des indices : elle les fronce, les arque, les détend… vous lance un regard de bourrasque à la Frida Kahlo, une grimace moqueuse à la Groucho Marx. Depuis Kate Moss, aucune top n’avait fait couler autant d’encre.

Belle, drôle et extraordinairement versatile, Cara Delevingne est à la fois une reine des podiums, la descendante du premier vicomte Greenwood qui joue de la batterie avec un look à la Clash lors d’une party chez le prince Harry et la personnalité suivie par plus de 10 millions de followers sur Instagram. Egalement chanteuse et collaboratrice de Pharrell Williams, la belle n’en finit pas d’étonner. Et de conquérir tout ce qui la fait rêver. Après son rôle dans Anna Karenine de Joe Wright (2012), elle a séduit Hollywood, et sa performance dans The Face of an Angel de Michael Winterbottom (2014), présenté au Festival de Toronto, a fait l’unanimité : un critique du Hollywood Reporter a encensé une  » profondeur dramatique rarement atteinte « . Icône d’une génération, la jolie Britannique évoque ses mille et une vies, avec la franchise parfois abrupte d’une enfant du rock. Qu’elle sera sans doute, puisqu’on l’a aperçue en studio avec Beyoncé. Plus qu’une promesse…

Comme Twiggy dans les sixties, et plus tard Cindy Crawford et Kate Moss, vous représentez les aspirations, le look et les idéaux d’une génération. Est-ce une question de beauté, de charisme, ou plus que cela ?

La beauté aide au début, mais elle ne mène pas loin, tout comme le talent, si on n’en fait rien. Twiggy, Cindy et Kate sont bien plus qu’un joli visage. Elles ont marqué leur époque, redéfini les codes de la beauté par leur physique et leur personnalité. Elles ont symbolisé des aspirations qui relevaient de la place de la femme dans la société. Quand je pense à elles, je les imagine avec un miroir à la main, réfléchissant aux femmes et à leurs questionnements quant à la sexualité, à la liberté d’expression et des moeurs.

En quoi étaient-elles différentes des autres top models aujourd’hui oubliées ?

Ces filles se sont imposées par leur côté totalement inattendu. J’ai retrouvé un article de la fin des années 60 dans lequel une journaliste américaine décrivait Twiggy comme  » tout ce à quoi une femme ne devrait pas ressembler  » : trop mince, androgyne, bizarrement maquillée et avec des jambes arquées… à l’opposé du modèle de l' » American housewife  » de l’époque. Cette fille était maladroite, très rock’n’roll. Impossible d’oublier son visage sur la pochette de l’album Pin Ups (1973) de David Bowie. Kate (Moss) s’inscrit exactement dans sa lignée. Quand elle est apparue dans Vogue, à 19 ans, elle échappait à tous les canons en vogue, s’imposant davantage comme une icône rock qu’un mannequin. Et, au même moment, Cindy (Crawford) et Naomi (Campbell) échappaient elles aussi à leur statut, par exemple en dansant avec George Michael dans le clip de Freedom. Personnellement, je ne me définirais pas comme une icône, mais il est certain que je ne corresponds pas aux critères classiques : je mesure 1,73 m, ce qui ne m’a pas empêchée de défiler. Ni d’être surnommée, par plaisanterie, par Marc Jacobs,  » my beautiful dwarf  » (ma belle naine).

Que ressentez-vous quand on vous présente comme la  » nouvelle Kate Moss  » ?

Je suis flattée, évidemment ! C’est comme si on me comparait à Edie Sedgwick, la muse d’Andy Warhol, ou à Nico, ancien mannequin, devenue chanteuse du Velvet Underground… Des filles qui, comme Kate, ont réussi à tisser une passerelle entre le monde de l’art et celui de la mode. Kate a une allure incroyable : c’est à la fois la fille qu’on rencontre à tous les concerts, le mannequin inaccessible et l’amie de grands artistes, comme le regretté Lucian Freud. Il a peint un merveilleux portrait d’elle nue et enceinte, et c’est lui qui a tatoué au creux de ses reins deux sublimes hirondelles…

Etes-vous devenue mannequin par hasard ou par vocation ?

Non, cela s’est fait par hasard. J’ai démarré ma carrière à 10 ans, après avoir été repérée à l’école par la mère d’une copine : elle travaillait dans une agence de mannequins et avait découvert Kate Moss ! Depuis, j’ai travaillé avec Kate et nous sommes devenues amies. C’est une sorte de gourou pour moi. Comme elle, je ne voudrais pas être seulement la  » fille dans le vent « .

On vous a découverte chanteuse au côté de Pharrell Williams, dans Reincarnation, le court-métrage de Karl Lagerfeld, puis en duo avec Taylor Swift…

Je suis une  » music freak « . J’écris des chansons en m’accompagnant à la guitare depuis mon plus jeune âge et, à 12 ans, j’ai commencé à jouer de la batterie. C’est l’instrument qui me correspond le plus : il demande une rigueur implacable, il fait battre mon coeur plus fort, c’est incroyablement physique. Et j’adore chanter. A 13 ans, j’ai monté un groupe, les Clementines, et, depuis, j’ai enchaîné des collaborations musicales, comme ce duo improvisé avec Taylor Swift. Quand on m’a proposé de chanter avec Pharrell sur CC the World et d’être filmée, j’ai d’abord eu peur. Mais il est tellement doué, drôle et rassurant qu’il m’a poussée à accepter le risque d’être nulle, ridicule. Il m’a dit :  » Eh bien, Cara, tu le prends en main, ce talent, ou on le jette parce que tu as peur ?  » Je rêve d’une carrière musicale, de collaborer avec Beyoncé, mais je ne parlerai de mes projets que lorsqu’ils auront abouti.

Vous avez tourné dans six films qui sortiront cette année. Une comédienne sommeillait donc en vous ?

J’ai toujours adoré le cinéma. Il y a quelques années, j’ai même posté sur Internet une vidéo dans laquelle je suppliais Scorsese, Tarantino et Spielberg de me donner un rôle. C’était une blague… mais pas tant que ça. Ce désir vient de loin. J’ai commencé à tourner dans des petits films dès l’âge de 13 ans et je n’ai jamais arrêté. J’aime provoquer des émotions chez les gens – le rire, les larmes, la colère… C’est addictif. J’ai suivi à Londres la méthode Stanislavski, enseignée par un professeur russe octogénaire. Une école passionnante mais très dure. Il nous demandait de creuser au plus profond de nos émotions pour entrer dans la peau du personnage. Je n’ai jamais vécu de moments si forts.

Parlez-nous de ces rôles que vous avez joués…

Par exemple, dans La Face cachée de Margo de Jake Schreier (*), adaptation d’un livre de John Green (Nos étoiles contraires), j’incarne une étudiante paumée de 18 ans, qui fuit son passé. Comme moi, elle agit à l’instinct, sans mesurer les conséquences. Pour The Face of an Angel, de Michael Winterbottom, un film racontant le viol et l’assassinat, en Italie, de Meredith Kercher, cette étudiante britannique de 21 ans, j’ai déployé tout ce que j’avais en moi pour servir le scénario. Je n’ai pas peur des rôles durs. Mes modèles sont des comédiennes comme Tilda Swinton et Cate Blanchett. Des femmes puissantes, inspirées.

Vous n’arrêtez jamais. Avez-vous des méthodes pour décompresser ?

Le yoga et la méditation, que je pratique tous les jours, parfois même dans un avion ou dans les coulisses d’un shooting… La campagne, le contact avec les animaux, les chats surtout. Et puis me retrouver parmi mes proches.

Qu’avez-vous hérité de votre famille ?

Les sourcils de ma grand-mère paternelle, que j’ai malheureusement perdue cette année. Elle avait 102 ans. C’était une femme extraordinairement drôle, cultivée, anticonventionnelle. Le côté un peu fou de ma mère, même si je n’ai pas sa classe ; le panache de mon père… Je suis très proche de ma famille et de mes soeurs aînées Chloe et Poppy, qui ont toujours été de bon conseil pour moi.

Vous êtes omniprésente sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

C’est ce besoin de partage irrésistible que nous sommes nombreux à éprouver. C’est excitant, immédiat, compulsif aussi sans doute. J’aime prendre des photos, faire des vidéos et les partager. Il n’y a pas longtemps, je me suis retrouvée à un concert des Pink Floyd, l’un de mes groupes préférés, et j’ai passé mon temps à filmer. Je crois que toutes ces images, ce besoin de laisser une trace sont comme un témoignage de notre vie, une façon de vouloir graver les émotions de la rétine et du coeur. Des instantanés de la mémoire.

(*) En salle le 22 juillet prochain.

PAR PAOLA GENONE

 » J’aime provoquer des émotions chez les gens… C’est addictif.  »

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