A quoi pensait donc Picasso lorsqu’il s’est saisi d’une enveloppe décachetée pour griffonner cette incroyable phrase au dos ?

 » Quand je vois « Le Déjeuner sur l’herbe » de Manet,

je me dis des douleurs pour plus tard « 

L’artiste sortait sans doute de la rétrospective de son aîné organisée au mois de juin et juillet 1932 au musée de l’Orangerie. S’était-il emparé du premier bout de papier qui traînait – en l’occurrence un courrier qui lui avait été adressé par la galerie Simon, propriété du marchand Daniel-Henry Kahnweiler – pour dédramatiser son respect ? A-t-il voulu se prémunir d’une trop forte impression à la façon des histoires d’amour que l’on devine obsessionnelles avant même qu’elles aient débuté ?

À cette époque, la galerie Georges Petit consacre au peintre catalan une exposition majeure.

Certains critiques font le parallèle entre les deux événements. Le second étant qualifié de  » repoussoir  » comparé  » à la belle exposition Manet « .

Aujourd’hui, à la faveur de la Picassomania qui déferle sur Paris, le musée d’Orsay a eu la bonne idée de ressortir cette petite note prémonitoire, préambule à une monomanie géniale. Cent cinq tableaux, dessins, gravures, céramique ou maquettes ont été inspirés de 1954 à 1970 à Picasso par le scandaleux tableau impressionniste peint en 1863. Une cinquantaine de ces £uvres sont exposées jusqu’au 1er février 2009 dans la pénombre de quatre salles minuscules.

Démarrée par une série de croquis, poursuivie par de gigantesques peintures, des gravures sur bois ou linoléum, d’une pièce de céramique, de petites silhouettes découpées dans du carton et l’évocation de sculptures monumentales en béton, l’exploration s’achève par une eau-forte représentant l’artiste en  » cul-de-jatte  » peignant encore et encore la même toile.

Il aura tout osé : déshabiller, rhabiller, colorier ou modifier les protagonistes de la toile originale, changer le décor, simplifier le paysage, déplacer les pommes près du modèle nu, supprimer la canne du personnage à droite, lui mettre ou lui retirer son chapeau, le priver de sa pipe.

Il paraît que les visiteurs passent en moyenne quinze minutes à regarder ce foisonnement.

Cette visite au pas de course n’est-elle pas l’ultime message de liberté du maître ? J’ai l’impression de l’entendre nous dire :  » On vous assomme avec mon travail ? Surtout amusez-vous. « 

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