Vous aurez beau courir… Les pantalons de jogging, leggings moulants caleçons (mi-)longs et autres « pantalonnades » modeuses finiront par vous rattraper. Ce printemps, rester élégante, c’est tout un sport!

On les croyait oubliés dans les archives les moins glorieuses des années 1980 – genre Madonna à ses débuts et Olivia Newton-John à sa fin -, ou enterrés avec l’ère du cocooning vers la fin du XXe siècle… Eux, ce sont les improbables cousins (très) éloignés du futal des villes et du blue-jean des champs. Eux, ce sont les caleçons en Lycra fluo et les pantalons de jogging « foot-télé-bière-le dimanche ».

Si, si, de la race de ceux qui pochent aux genoux et pendent aux fesses.

Dans les très parisiens bureaux de tendances, on range ces affûtiaux dans la rubrique « glam’ sport » voire de la « nonchalance chic » et du « néo-streetwear ». Okaaaaay. Car entre les idées souvent ébouriffantes des créateurs de mode, leur concrétisation et présentation sur podium par des créatures pesant 28 kilos pour 1 mètre 90, la mise en image hyperléchée propre aux campagnes de pub et le résultat (?) sensé se retrouver dans nos garde-robes, il y a comme une faille…

Un caleçon moule-pompon sur la germano-brésilienne Gisèle Bundchen ( NDLR: accessoirement l’ex-madame Leonardo DiCaprio et surtout, le top model du moment), c’est plutôt seyant. La même chose sur Gisèle Van Piperzeel, c’est pathétique. Ou dans le meilleur des cas, vulgaire. Un pantalon de jogging sur les belles grandes quilles de l’actrice Julia Roberts suscite une certaine émotion Son semblable porté par Julia-près-de-la photocopieuse provoque le fou rire. Ou parfois, la pitié.

Que faire, alors? Parce que pour toutes celles qui suivent la mode comme un setter irlandais la piste d’un faisan, le printemps à venir met en exergue les vêtements susnommés. Pas de quoi se froisser; ce dilemme au demeurant fort peu cornélien aura même son dénouement. Mais comment, me direz-vous, transformer un sac à patates en habit de lumière?

Mesdames, la solution réside dans le bricolage et l’art d’extrapoler.. En d’autres termes, il faut combiner, customiser, casser les codes et accessoiriser jusqu’à l’opulence. Prenez la créatrice Sonia Rykiel par exemple: la rousse artiste, égérie du Saint-Germain-des-Prés en 1968, approche doucettement de sa quarantième année au service de la mode. Et du pantalon de jogging, non seulement elle a fait , depuis 1975, un fond de garde-robe mais en outre, elle le porte sans avoir l’air d’être astiquée comme l’as de pique. Chez dame Rykiel, le jogging

se conjugue de préférence en velours éponge de couleur noire avec ici et là, quelques jolies traces de strass ou l’ombre d’une broderie. Et toujours sur le mode d’une féminité extrême, ladite tenue de loisirs (NDLR: le mot « jogging » issu du verbe « to jog » – courir -, rejoint le vocabulaire vestimentaire au début des années 1970) côtoie chaussures à talons hauts, touches de fourrure, bijoux en forme de fleur et de papillon, etc.

Tissus glamour, accessoires raffinés (sandales hautes, ceintures raffinées, corsages soyeux et sexy…), couleur inattendues, jeux de proportion subtils et détails dignes de la haute couture seraient donc, aux yeux d’une certaine frange de créateurs, la clé qui ouvre la porte de l’élégance au plus mou des falzars. Le quotidien « Le Monde » salue d’ailleurs avec une certaine émotion ces « vêtements effleurant l’histoire de la mode sur un nuage » (1).

Chic, le jogging? Dans le ton, le caleçon? Oui, s’ils adoptent le confort mâtiné d’élégance nonchalance – italienne, évidemment -, d’un Valentino, d’une Mariella Burani, d’un Trend Les Copains, d’un Giorgio Armani ou d’un Dolce & Gabbana. Oui, s’ils s’affichent sobres et volontiers sort comme dans la nouvelle ligne Y-3 de Yohji Yamamoto pour Adidas ou chez Boss Woman et sa division plus jeunette, Hugo.

Oui, s’ils ont le sens de l’humour et la distance qu’impose une ironie de bon ton à la façon d’un Tom Van Lingen par exemple. Hollandais d’origine mais parisien de coeur, le créateur propose un jogging qui vient se fondre sur l’empeigne d’un escarpin léger tandis que sa vision du caleçon « fait du pied » aux années 1980, rappelant les jambières arborées par les stakhanovistes de l’abdo-fessier dans les salles d’aérobic. Alors que chez la Japonaise Rei Kawakubo de Comme des Garçons ou les belges labels Bellerose et Rue Blanche, le survêtement en question acquiert un petit côté ethnique-dégingandé grâce à quelques mélanges des genres bien torchés. Toujours chic-choc-classe dans sa façon d’envisager la mode, John Galliano confère, pour Dior, un vague air militaire à ses pantalons de jogging, travestissant de la sorte les guerrières du temps jadis ( NDLR: d’avant le 11 septembre 2001) en pacifiques baroudeuses prêtes à battre la campagne. Chez ces maestros du détournement – on épingle un habit banal au tableau des tendances et on le décline dans sa version la plus smart -, il y a comme un air de conte de fées, où les citrouilles deviennent des limousines et les Cendrillon, des divas ultra-glam’. Jet-set et jogging… une même consonne destinée à débuter deux concepts qui se rejoignent là où on ne les attendait pas. Comme le souligne l’écrivain dandy François Baudot,

 » L’allure reste avant tout affirmation. Un petit bloc de certitudes fondé sur la connaissance intime de soi, qualités et défauts compris » (2).

Autre solution pour « porter la culotte » sans avoir la mine de Bonnemine – femme du chef Abraracourcix – , qui aurait piqué les braies de son brave mari ou pire encore, celles d’Obélix? Intégrer le jogging dans le registre du « sport-urbain », à l’instar des baskets, blousons tout-terrain, maillots de foot et autres polos de rugby qui ont quitté leurs terrains et pistes d’origine afin de mieux flirter avec le bitume. Côté legging, mieux vaut opter pour un caleçon discret (opaque, voire noir) glissé sous les flots généreux d’un jupon ou le flottement d’une robe-tunique. Quant à celles que seuls les horizons lointains attirent, elles pourront même, aux premières jonquilles, enfiler le modèle « jogging des Mille et Une Nuits », à savoir le sarouel ou saroual, ce pantalon bouffant doté d’un entrejambe très ample, que maints stylistes ont développé dans des matières soyeuses, plutôt brillantes et dans des tons croquants. Idéal pour entamer un remake du film Un thé au Sahara.

Ou plus sérieusement, pour flâner sans fausse pudeur du sofa au divan, avec un maintien digne des Janissaires chargés de la protection du Grand Turc.

Qu’à cela ne tienne, vous refusez quand même de sauter dans des « grimpants » aussi gonflés? Nul ne peut vous en tenir rigueur. Puisque dès lors, vous aurez choisi d’appliquer à la lettre l’une des légendaires citations d’ Yves Saint Laurent, selon laquelle « les modes passent, le style demeure. »

Marianne Hublet [{ssquf}], (1) »Le Monde » du 12 octobre 2002., (2) »L’allure des Femmes », éditions As

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