Fêlure, dérapage, déchéance, addiction, overdose, violence ou mort… Le biopic – contraction de biographical picture – explose avec le Control d’Anton Corbijn consacré à Ian Curtis, le leader déjanté de Joy Division qui a fini par se pendre. Weekend zoome sur le succès du film biographique… et imagine quatre scénarios

made in Belgium.Dans Control, actuellement à l’affiche, le photographe-cinéaste néerlandais Anton Corbijn filme Ian Curtis, le leader du groupe mythique de rock anglais Joy Division, qui se suicidera à l’âge de 23 ans. Si le nom de Curtis n’est pas forcément connu du (tout) grand public, l’ombre de Joy Division pèse terriblement sur des formations aussi actuelles qu’Arcade Fire ou The National. C’est d’abord au jeune homme du nord de l’Angleterre que Corbijn s’intéresse, à sa silhouette new wave perdue dans la grisaille de Manchester et à ce destin qui fait basculer la vie d’un ado fan de Bowie en dark-star involontaire. Victime de crises d’épilepsie et déstabilisé par son propre adultère (avec une jeune femme belge), Curtis est englouti par la gloire naissante de Joy Division et l’échec de son mariage. Le 18 mai 1980, à la veille d’une tournée américaine qui doit consacrer le groupe anglais comme une formation rock majeure des années 1980, il se pend…

Même si Control, film d’auteur en noir et blanc graineux, avec Sam Riley en tête de distribution, refuse tout cliché lacrymal des blockbusters hollywoodiens, il possède un élément commun à tous les biopics : le drame. Pas de biopic sans fêlure, dérapage, déchéance, overdose, addiction, mort ou violence : ce sont les vitamines qui définissent la starisation et propulsent les étoiles dans la comète People. Peu importe que le ou la biopicsé(e) soit un personnage historique (Marie-Antoinette – on se souvient de la prestation de Kirsten Dunst dans le film de Sofia Coppola, en 2006), une chanteuse (Piaf), une artiste peintre (Frida Kahlo), un boxeur (Mohammed Ali) ou un homme politique (Nixon). Le biopic travaille les démons extravertis plutôt que les anges de l’intime.

Le genre n’est pas récent : Le Dictateur de Chaplin, sorti en 1940, évoque sur le mode de la parodie, Hitler et Mussolini. En 1955, To Hell and Back de Jesse Hibbs raconte les exploits militaires d’Audie Murphy, le Brad Pitt de l’époque, devenu star hollywoodienne après avoir été le soldat américain le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale. Audie Murphy y joue son propre rôle. En 1966, The Singing Nun, de Henry Koster , avec Debbie Reynolds, adopte à la sauce (très) américaine l’histoire ébouriffante de S£ur Sourire, religieuse belge qui décroche un tube mondial, en 1963, avec Dominique, le récit palpitant de la lutte de saint Dominique contre les Albigeois…

Philippe Cornet

Mais le succès du biopic date des années 1980-1990, époque où la starification de la vie publique s’accélère sous le coup de la multiplication des médias. Adepte de l’exercice, le cinéaste américain Oliver Stone s’est récemment illustré avec Alexandre (2005) qui narre la fulgurante  » carrière  » d’Alexandre le Grand, (356-323 av. J.-C). Tourné façon peplum, Alexandre a provoqué une poussée d’urticaire chez les Grecs, outrés par la représentation de la gay attitude dans le film, et a fait ricaner quelques historiens remarquant que le phare d’Alexandrie présent dans les décors, est postérieur à la vie d’Alexandre… Mais Stone a la réputation de s’arranger personnellement avec la vérité historique : son JFK (1991) propose sa propre théorie sur l’assassinat de Kennedy et son Nixon (1995) prend volontiers des allures d’hallucination conspirative.

Stone semble accro au principe du biopic agité : The Doors (1991) est une chronique plutôt clichée du célèbre groupe californien et Born On The Fourth Of July (1989) raconte la lutte contre la guerre du Vietnam d’un vétéran brisé et conscientisé, Ron Kovic, interprété par un Tom Cruise convaincant. Peut-être parce qu’il ne rajoute pas d’effets inutiles dans le montage et semble réellement au service de l’histoire, Stone produit là son meilleur travail cinématographique, certes plus recommandable que son récent World Trade Center (2006).

Et la vérité historique ?

Au hit-parade des tubes biopics, La Môme (2007) d’Olivier Dahan est l’un des rares exemples français où le cinéma dévore son passé (récent) en mêlant paillettes, glamour et biographie. Si les addictions, la gouaille, la passion et, in fine, la déchéance de Piaf, sont véridiques, on peut se poser des questions sur la charge de l’ensemble. Bien qu’étonnamment interprétée par Marion Cotillard, La Môme est un film saturé d’effets dispensables. En ce sens, il échappe à la réalité de l’histoire originale. On aurait aimé que l’audace du réalisateur soit à la mesure de la vie de Piaf. En résumé, qu’il bazarde l’excès de couleurs pour oser un tragique noir et blanc piafien !

Si un film ne respecte pas la vérité historique intégrale, s’il prend – légitimement – des raccourcis par rapport à la vie vécue, il ne peut se permettre de sonner faux. Et là où La Môme flanche dans une débauche dramatique, Ali de Michael Mann (2002) trouve, lui, un ton plus crédible, plus fascinant. Pourtant l’idée de faire jouer Mohammed Ali par Will Smith sonne a priori d’une façon aussi vraisemblable que de faire jouer Bob Marley par Sean Paul. On n’est pas tout à fait au même rayon idéologique, mais sous la direction de l’impeccable Mann, Smith subit une métamorphose physique et sensorielle dans sa manière de bouger, de danser, de sourire, de ramasser la pluie de coups de Foreman avant de l’étendre. Smith ne joue plus Ali, il le personnifie intensément.

Même performance pour Jamie Foxx dans le Ray de Taylor Hackford (2004) où il adopte la morphologie de Ray Charles – sa façon unique de chanter et de rire – sans céder au numéro de singe savant. Le degré de réussite est équivalent dans Walk The Line de James Mangold (2005) où le fulgurant Joaquin Phoenix se glisse dans la peau et les chansons de Johnny Cash : non seulement, Phoenix trimballe le même souffle que Cash, mais il chante lui-même, en live, les morceaux sardoniques et misanthropes de la star du country-rock.

Que dire de Forest Whitaker ? Cet étonnant acteur noir américain, né au Texas en 1961, a déjà bluffé le spectateur en endossant le costume difficile du mythique saxophoniste Charlie Parker dans le très beau Bird de Clint Eastwood (1988). De son corps lourd et grave, il y propulse des torrents de jazz en lave alors que sa vie perso vire au désastre sous le coup de l’alcool et de l’héroïne. C’est là où l’on comprend que la ressemblance physique est moins importante que la nécessité d’épouser l’identité plurielle du personnage. L’acteur est tout aussi étonnant dans Le Dernier Roi d’Ecosse de Kevin Macdonald (2007) où sa composition du dictateur ougandais Idi Amin Dada balance entre cruauté bestiale et sincérité panafricaine. Contrairement à Bruno Ganz, crédible en Hitler de fin de parcours dans La Chute de Oliver Hirschbiegel (2004), Forest Whitaker laisse à la monstruosité de son personnage fou, quelques parcelles d’humanité.

Le biopic ne fonctionne donc que s’il revient au c£ur qui bat, aux petits matins sans gloire, aux plaisirs inhérents à notre condition humaine. Alors là, cet opus qui accumule les entrées déshabille la star la plus hollywoodienne de ses oripeaux glamour. Une dernière preuve avec Man On The Moon (1999) : où raconter la vie iconoclaste du  » performer  » new-yorkais Andy Kaufman, le cinéaste Milos Forman fait appel à Jim Carrey. Davantage connu pour ses mimiques que pour ses capacités d’introspection, Carrey y campe un remarquable Kaufman, vitriolique, cruel, désabusé, un brin suicidaire. Après coup, une vraie révélation pour Jim Carrey.

Le rock, éternel pourvoyeur

On est dès lors particulièrement curieux de voir comment Elijah Wood va endosser le rôle d’Iggy Pop dans The Passenger de Nick Gomez, l’un des nombreux projets biopics rock du moment. Quelles transformations – physique, morale, sexuelle – faudra-t-il pour que le Frodon Sacquet du Seigneur des anneaux entre dans la peau du  » parrain punk  » ex-héroïnomane et grand consommateur de groupies ? Pas sûr que l’entraînement aux coups et blessures d’Elijah (voir sa prestation dans Hooligans de Lexi Alexander en 2006) suffise à lui bomber le torse à la puissance Iggy. Plusieurs noms se sont, eux, longtemps bousculés autour de diverses adaptations de la vie de Janis Joplin. La chanteuse Pink, l’actrice Renée  » Bridget Jones  » Zellweger, ont finalement été évincées au profit de la semi-inconnue Zooey Deschanel, 27 ans. Pas sûr que l’intéressée ait l’ampleur charismatique et outrancière du modèle original…

Parmi les toutes prochaines sorties, on pointe une adaptation classique de la vie de la star de salsa, Hector Lavoe ( El Cantante, avec Jennifer Lopez en femme d’Hector) et surtout, surtout, le I’m Not There, revisitation de la vie de Bob Dylan par Todd Haynes. Le metteur en scène américain évite tous les problèmes de casting et de ressemblance en alignant… six acteurs différents, dont la craquante Cate Blanchett ! Dans cette évocation de l’homme qui a passé sa vie à truquer les cartes – celles de sa musique, de ses évocations amoureuses et de sa célébrité -, Haynes trouve la parade idéale en multipliant Dylan, y compris par la personnification d’une femme ! Dylan n’est plus un chanteur ou un symbole politique, il devient une espèce à lui tout seul.

Il semble difficile de reproduire ce procédé avec toutes les rumeurs de biopics concernant Jimi Hendrix, Bob Marley, Marilyn Monroe ou Presley : globalement, plus le personnage est mondial et star absolue, plus la tâche de lui accoler un acteur semble complexe. Et plus la possibilité de lèse-icône semble proche. Aux dernières nouvelles, la recherche d’un comédien susceptible de jouer The Notorious B.I.G., rapper historique fusillé avant l’âge de 25 ans, est tellement vaine que Hollywood a décidé de recueillir les  » candidatures spontanées « . Avis aux amateurs. La connaissance de l’anglais est un bon point.

Philippe Cornet

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