Ils sont Belges et leurs labels respectifs débouchent sur des métissages réussis entre la créativité et le commercial. La preuve par quatre.

Carnet d’adresses en page 153.

I ls possèdent des flagship stores où se concentre leur image globale tandis que leur chiffre d’affaires porte beau, à l’instar de leur mode, d’ailleurs. Weekend Le Vif/L’Express zoome sur quatre marques (Chine, Xandres, Essentiel, Bellerose) sachant conjuguer style, savoir-vivre et savoir-vendre.

Chine : un succès planétaire et stylé

Femme de tête et d’allure, rebelle mais raisonnable, Nathalie Gabay, ex-épouse de Luc Duchêne ( NDLR : le boss de Chine et de Mer du Nord avec qui elle a eu deux enfants) se définit comme une touche-à-tout autodidacte.  » Je suis une femme de terrain, pas une intello.  » Véritable connexion entre les créations de Guillaume Thijs û le styliste de Chine basé à Hongkong û, et les stratégies financières de Luc Duchêne, Nathalie possède un sixième sens pour la mode.  » Concernant la communication et la diffusion de l’image de Chine, je supervise le choix des mannequins, l’approche du photographe maison Marc de Groot, le graphisme des catalogues qui doivent parfaitement adhérer à l’image de la marque, le suivi des campagnes, etc.

En outre, je participe au style du label : je visite les salons professionnels comme Première Vision avec Guillaume, on sélectionne ensemble les tissus et les imprimés, on effectue les recherches inhérentes au développement de la collection, je tempère parfois les initiatives de Guillaume qui ignore le mot  » limite  » û en fait, on se complète très bien. Je m’occupe de la vente car je connais les desiderata de nos grands clients à l’export, ainsi que des contacts avec nos multiples boutiques… Je passe plus de six semaines par an à Hongkong et parfois, je l’avoue, c’est pompant. Mais je suis autant passionnée par ma vie privée que par mon boulot, en particulier par le volet artistique qu’il comporte. Et devinez quoi, je parviens même à manager les deux « , précise Nathalie Gabay. Cette  » femme-orchestre  » û au début des années 1980, elle a d’ailleurs sorti un disque à succès  » J’ai mon c£ur qui craque, craque, craque  » û, la joue décidément sans fausse note.  » L’image est le reflet direct de la marque ; elle permet aux gens de découvrir, de  » palper  » le produit avant de l’avoir réellement touché. D’où le besoin, pour les photos, d’être suffisamment parlantes, voire percutantes.  » Magique et haut de gamme sans pour autant pratiquer des prix coup de fusil, l’univers de Chine ( NDLR : hormis sa ligne de prêt-à-porter, le label fondé en 1991 propose une collection plus couture, Chine de Luxe, ainsi que Mimi Chine, destinée aux enfants) possède également un écrin digne de lui. A Bruxelles, sur l’avenue Louise, le magasin pilote (flagship store) a  » boosté  » la marque. Au-dessus de la boutique proprement dite se trouvent les showrooms où les clients peuvent  » chiner  » leurs commandes sans stress aucun.  » La compta, les stocks et l’administration restent à l’Arsenal, dans les bureaux initiaux de Chine et Mer du Nord, à deux jets de pierre des ateliers Delvaux. Ici en revanche, tout est axé sur le commercial.  » L’année dernière, les ventes de Chine ont progressé de 30 % tandis que le chiffre d’affaires flirte allègrement avec les 15 millions d’euros. De plus, le belge label cartonne à l’étranger (Londres, Tokyo, Saint-Barthélemy, Dubaï…) et notamment sur ce marché difficile qu’est la France où Chine dépasse les 40 points de vente.  » Cet été, j’ai voulu augmenter encore l’impact de Chine, en appuyant particulièrement sur la féminité, la fluidité des matières, la fraîcheur, les détails traités de façon totalement artisanale et le jeu des couleurs. Le catalogue, par exemple, évoque les fardes où les peintres glissent leurs croquis. J’estime que la personnalisation permanente du vêtement et de son image contribuent largement au succès d’un label.  »

Le charisme chic de Xandres

 » L’une des forces de Xandres, c’est l’efficacité avec laquelle la compagnie effectue son réassort et sa capacité à répondre rapidement à la demande du client « , constate Henk Goewie, directeur artistique de la marque. Pas de temps mort, de pièces manquantes, de budget galvaudé ou d’image faiblarde… La griffe autrefois baptisée Andres ( NDLR : fondée à Gand en 1926, elle a dû transformer son nom à la demande du label français de chaussures André) et sa  » petite s£ur  » plus sportswear Hampton Bays, née en 1993, assurent côté notoriété, image et rentabilité. Fin 2001, un peu après l’inauguration du vaste flagship store bruxellois aménagé par l’architecte-star Vincent Van Duysen, le label affichait un coquet chiffre d’affaires de 26 millions d’euros. Et quelque 200 points de vente rien que sur la Belgique, en sus des flagships de Knokke, Bruxelles et Gand.  » Nos clients sont des pros du détail et connaissent leur marché par c£ur. Parmi eux, certains nous suivent depuis un quart de siècle, nous accordent leur entière confiance et continuent à ouvrir de nouvelles boutiques où Xandres occupe automatiquement une position privilégiée. Certains magasins misent jusqu’à 70 % de leur budget d’achat sur nous ! De plus, nos boutiques et nos flagship stores sont davantage complémentaires que concurrents : les propriétaires des magasins plus modestes doivent opérer un choix dans nos (vastes) collections, choix qui  » colle  » évidemment avec la personnalité desdits magasins dont la clientèle est très fidèle et plus traditionnelle. Les mégaboutiques, elles, se trouvent à des endroits stratégiques ; la clientèle du flagship store du boulevard de Waterloo à Bruxelles, par exemple, est essentiellement internationale.  »

L’entreprise, dirigée depuis trois ans par Isabelle Santens û la famille Santens a fait fortune dans les peignoirs et les serviettes de bain en éponge û, a connu quelques années assez grises. La marque devenait assez  » bobonne « , avant de rebondir magistralement, suite à une politique léchée de management, de marketing et de diffusion.  » Outre le marché belge, nous avons des présences en Allemagne et aux Pays-Bas. Et nous développons également une collection destinée aux grandes tailles sur le principe du  » personal shopping  » (uniquement sur rendez-vous). Nous innovons mais pas à n’importe quelle sauce : la qualité, le style, les divers besoins des clients entrent toujours en ligne de compte.  »

Après avoir étudié le graphisme puis le stylisme-modélisme dans plusieurs instituts aux Pays-Bas, Henk Goewie dessine des collections pour différentes grandes entreprises textiles où il est chargé d’apporter du  » sang neuf  » aux produits tout en respectant l’esprit maison. Fort de ce bagage commercialo-créatif, cet adepte d’un style pur et sobre entre chez Xandres en 1995 où il travaille en compagnie de deux collaboratrices (l’une s’occupe de la maille et l’autre, du chaîne et trame).  » Leur savoir-faire, leurs opinions m’apportent beaucoup car j’aime m’impliquer à fond dans les recherches sur les matières et les couleurs. J’estime que cette démarche confère plus de liberté, d’originalité au vêtement qu’un  » tailoring  » complètement délirant. Cette saison, nous avons notamment orienté la collection vers une ambiance latino û il y a toujours plusieurs atmosphères au sein d’une même saison. J’adore le mélange de rigueur, de fraîcheur et de passion qui caractérise l’esprit sud-américain. Sans virer dans l’extravagance, voire la vulgarité, les vêtements ont un  » styling «  assez épicé, doté d’une juste touche de sensualité et d’un soupçon de frivolité mesurée.  » On dirait une recette… et dans le cas de Xandres, elle est particulièrement réussie.

L’allure va bien à l’Essentiel

 » C’est vrai que notre label a la pêche et quand on y songe, on a eu une sacrée chance « , estiment Esfandiar Eghtessadi et sa tendre moitié Inge Onsea qui posa, il y a peu, pour les plus grands créateurs du plat pays.

 » Tout est arrivé naturellement : on a commencé (très) modestement, dans notre appartement bruxellois, puis on a emménagé au-dessus du magasin de Nicole Cadine ( NDLR : de son vrai nom Nicole Catulle, la maman d’Esfandiar fut et est toujours un personnage dans la mode belge et internationale) et enfin, on a investi cette magnique maison de maître en plein c£ur d’Anvers, là où Walter Van Beirendonck, que l’on connaissait très bien, avait ses quartiers auparavant. Ce qui nous a permis de donner un fameux coup d’accélérateur à notre business.  » Bingo supplémentaire, le flagship store principal d’Essentiel û les autres sont au Zoute, à Hasselt et à Bruxelles û se trouve à cent mètres des bureaux du couple.  » De la sorte, on a un écho quasi quotidien des réactions de notre clientèle via notre responsable boutique. Au point de vue de la stratégie commerciale, on sait sans retard s’il faut transformer, retravailler voire annuler certains produits, enchaîne Esfandiar qui se flatte d’avoir une cible largement partagée entre les demoiselles de 16 ans et les belles quinquas.  » Il faut être en permanence à l’écoute des gens, anticiper leurs désirs.  » Né en 1998 et concentré sur les basiques  » essentiels  » de la garde-robe féminine, Essentiel accouche d’une ligne pour fillettes, Essentiel Girls, au printemps 2001.  » Nous essayons de rester proche de la réalité tout en évoluant progressivement vers davantage de créativité. Je crois que cette stratégie explique, en partie, notre succès.  »

Axés sur le thème ethnique û l’année passée, Inge et Esfandiar ont effectué un fabuleux voyage en Inde et en sont revenus la mémoire chargée d’images et d’inspirations bouillonnantes û, les modèles de l’été 2003 adressent un clin d’£il aux amazones urbaines, nonchalantes et classe à la fois. Cuir, lin lourd, voiles virginaux et toile un brin militaire mènent donc l’offensive pour une femme charmante mais pas chattemite.

Esfandiar et Inge sont, comme on dit, au four et au moulin : de la création des vêtements en passant par leur fabrication et leur production jusqu’à leur diffusion à travers une centaine de points de vente (Belgique) et sur un marché extérieur de plus en plus confortable (140 points de vente rien qu’en France, démarrage sur les chapeaux de roue aux Pays-Bas, présences en Italie, aux Etats-Unis, au Japon, à Londres, au Koweit…), ils répondent pile-poil aux demandes de leurs 500 clients et régissent l’ensemble de leurs activités avec maestria.  » Nous ne pourrions atteindre nos buts sans l’aide de notre team : on travaille (beaucoup) avec des personnes qui ont la même sensibilité que nous, des interlocuteurs de choix qui apportent un autre regard, un coup de fouet à nos créations. Notre domicile privé et nos diverses boutiques, par exemple, ont été aménagés par le même tandem de jeunes architectes. Les vitrines changent d’aspect tous les quinze jours mais sous le contrôle du même merchandiser qui imprime un joli roulement aux collections, etc.  »

Encouragé par une maman dingue de mode qui commença sa carrière en important sur la Belgique des griffes (Sonia Rykiel, Paco Rabanne, Kenzo, Versace !) débutantes mais prometteuses, Esfandiar développe, logiquement, une solide fibre textile.  » Cette fibre, vous devez la posséder si vous tenez à exercer ce métier. Moi, j’ai reçu un véritable bagage textile grâce à ma mère et puis, j’ai appris toutes les subtilités commerciales en travaillant pour Luc Duchêne, chez Mer du Nord, dix ans durant. Ces expériences, pas toujours évidentes, s’avèrent indispensables. J’étais sûr d’aller vers quelque chose qui me convenait, palier par palier. Et franchement, sur quatre ans à peine, on n’a pas traîné. Parfois, j’ai l’impression que l’on va même un peu trop vite (sourire).  »

Bellerose, la fine fleur du sportswear chic

 » Mon produit est de qualité, il a toujours eu un côté authentique mais c’est un produit commercial, situé entre le créneau moyen et celui haut de gamme. Et je suis créateur de marque, pas artiste du vêtement, déclare d’emblée Patrick Van Heurck, responsable de Bellerose. Ce qui ne signifie pas que je ne veux pas faire évoluer les collections (homme, femme, enfant), les sortir de leur image de basics américains bon genre et clean. J’ai envie de leur conférer un design plus mode.  » Par  » mode « , Patrick Van Heurck n’entend évidemment pas des vestes tailladées au rasoir, des caleçons taggés ou des strings à perlouzes.  » Nous restons fidèles au profil de notre marque, et ce renouvellement doit s’effectuer en douceur. J’avoue cependant que j’aurais aimé entamer plus tôt ce processus mais il a fallu compter avec notre distribution, très traditionnelle, à travers de nombreux magasins multimarques. Ces clients nous demandent des pièces classiques, réellement estampillées Bellerose et frissonnent devant la nouveauté.  » Qu’à cela ne tienne, Bellerose renverse la vapeur, ce printemps-été, en misant d’abord sur les pièces  » fortes  » de la collection où pointent des modèles résolument vintage ( NDLR : les tissus ont été prématurément vieillis, ont subi des lavages spécifiques débouchant sur un effet ancien, etc.) et, entre autres sujets, un thème axé sur le Vietnam.

Quant à son flagship store bruxellois, ouvert début 2002 sur les vestiges du Hard Rock Café, place Stéphanie, il ne fonctionne ni mieux ni moins bien que les boutiques d’Uccle ou d’Anvers, par exemple.  » Tant les flagships que les multimarques participent à la continuité et la progression du label. A Knokke, par exemple, nous avons un détaillant à 500 mètres du magasin Bellerose et pourtant, il réalise des volumes de vente plus que confortables.  »

En 1982, Patrick Van Heurck effectue ses premiers pas dans la mode comme agent commercial pour diverses lignes de vêtements. Chargé, durant plusieurs années, du suivi des magasins exclusifs Ralph Lauren en Belgique, il lance aussi, en collaboration avec sa cousine Marie Chantal Regout, le concept Rue Blanche, une autre marque belge qui pète des flammes. Fin 1989, il fonde Bellerose û inspiré par un lieu-dit près de Kennedy Airport à New York û, et propose des pièces masculines de base.  » Des choses que j’avais envie de porter moi-même, voilà.  »

Neuf ans plus tard, la marque se conjugue au féminin, à la demande enthousiaste de maintes clientes qui piochent dans le vestiaire de leur chéri. Aujourd’hui, les lignes femmes représentent près de 60 % du chiffre d’affaires total tandis que Bellerose s’internationalise lentement (deux magasins éponymes ont fleuri aux Pays-Bas, des points de vente existent hors Paris) en visant d’abord le Benelux.  » Chi va piano va sano « , précise Patrick Van Heurck.

Mélange de business familial (depuis 2000, Philippe partage avec Marie-Chantal Regout alias  » Madame Rue Blanche « , un superbe espace à Grand-Bigard, où se retrouvent les bureaux et les showrooms des deux marques) et d’actionnariat bien jaugé, Bellerose a dégagé un CA de 15 millions d’euros pour l’année 2002. Et prévoit de monter à 25 millions d’euros d’ici deux ans.  » Certes, j’ai su bien m’entourer mais, avant tout, j’ai cru en ce que j’allais entreprendre et j’aime profondément mon boulot.  » A son fils aîné de 17 ans, Patrick Van Heurck dit souvent :  » Choisis le métier qui te botte. Tu veux être peintre en bâtiment ? Eh bien, si tu y crois, tu y arriveras.  » Hasard ou coïncidence, le fiston en question révèle déjà une grande sensibilité envers le vêtement et la mode. Chouette.

Marianne Hublet n

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