Un pays ? Plutôt une myriade d’îles éparpillées dans les mers chaudes du sud-est asiatique. Certaines sont grandes et peuplées, d’autres minuscules et désertes. Dépaysement garanti sur terre, mais aussi sous la mer, où la diversité marine atteint son apogée. Plongée au coeur des Visayas, la perle des mers d’Orient.

Le bangka fend une mer d’huile au lever du soleil. C’est l’un de ces bateaux de pêche traditionnels à balancier, tout en bambou, légers et rapides comme le vent. Les plus petits sont à rames, le nôtre est à moteur. Nous naviguons au large mais la terre est partout, au loin, où que porte le regard. Des îles ou des îlots, parfois de simples rochers, par dizaines. D’autres bangkas convergent vers le même point, où les premiers ont déjà jeté l’ancre. L’eau est claire en surface mais on la sent profonde, on devine les abysses. C’est ici que nous allons plonger à la rencontre d’un poisson rare, quasiment disparu, mais d’une beauté saisissante : le requin renard, avec sa queue – sa nageoire caudale – démesurée et ses grands yeux écarquillés. Comme s’il s’étonnait de nous voir l’observer. Il faut aimer l’élément eau pour partir aux Philippines, la bien surnommée  » perle des mers d’Orient « . L’ancienne colonie espagnole baignée au XXe siècle par l’influence américaine n’est pas une île, c’est un archipel qui en compte très exactement 7 107, disséminées sur un ruban de près de 2 000 km. Bordées, d’est en ouest, par des morceaux de Pacifique aux noms évocateurs : mer des Philippines, mer de Chine, mer de Sulu, mer des Célèbes… Certaines sont vastes et parfois surpeuplées, d’autres des îlots inhabités… ou privatisés pour le bonheur des touristes fortunés. La plupart sont des coins de paradis.

Entre ces parties terrestres, on se déplace en bateau quand les distances sont raisonnables, en avion si l’on veut carrément changer de secteur. Sauf quand on dispose de temps à rallonge, mieux vaut tout de même se concentrer sur une région déterminée, selon les envies. Il n’y a que l’embarras du choix. Farniente sur les plages immaculées, snorkeling et sports nautiques dans les lagons translucides, immersion culturelle auprès d’un peuple avide de fêtes et de cérémonies, randonnée dans les forêts primaires ou les rizières du nord, ascension d’un volcan faussement endormi, robinsonnade sur un îlot désert, exploration de fonds marins parmi les plus riches de la planète… Ou même fiesta dans un complexe hôtelier bondé, il en faut pour tous les goûts ! A chacun sa petite portion de Philippines. Si le tourisme s’y développe à la vitesse grand V depuis la fin des années plombées par la dictature Marcos, elles restent l’une des dernières destinations relativement préservées du sud-est asiatique. Authenticité garantie. Hospitalité à l’avenant.

RECONVERSION TOURISTIQUE

Cap sur les Visayas, qui forment le coeur de l’archipel autour des îles de Cebu et Negros. Une région marquée par de récentes catastrophes naturelles – tremblement de terre et typhon l’ont dévastée en 2013 – dont il reste des stigmates, mais qui ont comme décuplé l’appétit de vivre des habitants. Notre présence coïncidait avec les élections présidentielles et législatives, en mai dernier. Totale effervescence, jusque dans le moindre village. Pas une voiture qui n’affiche les couleurs de son favori, pas une terrasse sans discussion animée, pas un Philippin qui ne soit concerné et l’exprime joyeusement. C’est le Trump populiste local qui l’a emporté. Mais on sent le peuple avide de démocratie.

Cebu, avec sa capitale du même nom, est l’île la plus peuplée du pays, du moins au kilomètre carré. On y vient pour ses plages et pour ses fonds marins. Pour l’ambiance de la ville et la gastronomie locale, son musée de la colonisation et pour rayonner dans toutes les îles des environs. Ici, les ferrys ne naviguent pas, ils dansent un ballet permanent. Pleins à craquer. Negros, son imposante voisine, est plus grande et plus sauvage, traversée par une chaîne volcanique qui appelle à la randonnée, à l’immersion dans une nature dense et luxuriante. Excursions à la journée ou treks de plusieurs jours, au choix. La jungle évoque par endroits ces images de Marines embourbés pendant la reconquête des Philippines, en 1945. Il n’en reste plus trace mais la forêt est toujours aussi épaisse.

C’est plus encore sa côte sud qui attire les visiteurs du monde entier – et tous les expats qui s’y sont installés : elle regorge de sites de plongée uniques par la beauté des fonds et la diversité de la faune, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Du requin baleine à l’hippocampe pygmée. Et dans les Visayas, il fait beau toute l’année.

De Cebu – la ville – à Malapascua, il y a cinq heures de route chaotique puis deux de bangka. Cet îlot de quelques kilomètres carrés se remet du passage du typhon Yolanda, qui en a emporté les palmiers et une partie des toits, aujourd’hui reconstruits. Atmosphère de bout du monde où les routards viennent s’échouer pour reprendre des forces. Un village de pêcheurs animé, des enfants qui courent partout et traquent les hippocampes et les tortues à marée basse, de ravissants hôtels de charme plantés au bord de plages paradisiaques. Il y en a pour tous les budgets mais tout reste abordable, la vie n’est pas chère aux Philippines. En prime, des couchers de soleil à brûler la rétine.

C’est d’ici que nous sommes partis approcher les requins renards, guidés par Werner, qui dirige le centre de plongée local. Un passionné. S’il n’est pas en voyage, il se lève chaque jour aux aurores pour refaire la même plongée et revoir les mêmes squales. Depuis des années.  » Il n’en reste qu’une poignée dans le monde, tant ils ont été massacrés par les pêcheurs, explique ce Suisse allemand tombé amoureux du pays. Ce site est un sanctuaire, mais il y a encore des braconniers.  » Tenus à l’écart par le tourisme, heureusement. Qui se veut ici respectueux de l’environnement.

Au point de convaincre les populations locales de l’intérêt de s’y consacrer plutôt que de s’échiner à piller la nature. Du moins certaines d’entre elles, ne soyons pas naïf. Au sud de Cebu, les pêcheurs traquaient encore récemment les majestueux requins baleines, ces géants placides en voie d’extinction. Les autorités les ont convaincus de troquer leurs chalutiers contre des pirogues et leurs harpons contre des rames, pour emmener les vacanciers – et les locaux, qui adorent ça – barboter avec ces monstres inoffensifs de 12 à 18 mètres de longueur. Dans le sanctuaire marin d’Oslob, ils se savent en sécurité et se laissent approcher sans broncher. Toucher même, en pleine mer. Avec ou sans bouteille, en snorkeling ou en plongée, l’expérience est de celles qui vous marquent. A vie.

BAPTÊME DE PLONGÉE

De Cebu à Negros, un bac et quelques heures de route, de villes en villages animés. On croise partout des Jeepney bariolés, ces anciens 4×4 typiques de l’armée US customisés en moyens de transport collectifs, où les voyageurs s’entassent jusque sur les toits. Certains arborent fièrement plusieurs dizaines de phares et de rétroviseurs. Au sud de l’île rayonne Dumaguete, la grande ville étudiante festive et chaleureuse, où vivent quelques milliers d’expatriés, notamment européens. Encore une excellente base pour explorer les environs et les îles voisines.

On s’y bouscule le matin au marché central, l’un des plus grands et vivants du pays, on s’y balade le soir sur le célèbre Rizal Boulevard, sorte de Promenade des Anglais locale déroulée depuis tout juste un siècle à front de mer, sur près d’un kilomètre. Vendeurs de breloques, échoppes à souvenirs, cantines à ciel ouvert y font le bonheur des visiteurs et des habitants, qui s’y mêlent joyeusement.

Au sud-ouest de la ville, se succèdent le long de la côte les resorts et petits hôtels de charme, souvent doublés d’un centre de plongée. On l’a dit, l’exploration des fonds marins, qui comptent parmi les plus habités et préservés du monde, est ici une activité phare. Il y en a pour tous les niveaux, du plongeur averti au débutant motivé : quel plus bel endroit pour un baptême, voire un premier brevet, entre les mains expertes d’instructeurs le plus souvent formés à l’européenne ?

Du côté de Dauin, la plage en pente douce mène très vite au tombant, même ceux qui barbotent en PMT (palmes, masque et tuba) en prennent plein la vitre ! C’est un foisonnement d’espèces plus exotiques les unes que les autres, du poisson-grenouille à la mantisse, en passant par des dizaines de variétés d’hippocampes, de murènes, de poissons-clowns, de crustacés, de poulpes et de calamars, de nudibranches et de serpents, de syngnathes et de mandarins, de rascasses, anguilles des sables et autres poissonnailles surprenantes, sans parler des coraux, anémones et crinoïdes d’une rare diversité. Nous sommes guidés par le Français Pascal Kobeh, photographe sous-marin réputé et fin connaisseur de cet incroyable monde du silence. Un inconditionnel de l’endroit, lui qui les a (presque) tous explorés.

On y resterait immergé des journées entières. Sinon des nuits, la plongée nocturne offrant à son tour d’incroyables surprises, à l’heure où toutes ces bestioles se mettent en chasse. Rien à craindre pourtant, l’homme n’est jamais au menu, il ne fait que profiter du safari aquatique. Même les requins, quand il y en a, s’avèrent inoffensifs. A la sortie, des enfants nous alpaguent sur les plages, pour le plaisir d’un mot d’anglais ou nous vendre une babiole à trois sous – pardon, à 30 pesos. On n’hésite pas longtemps.

En face de Dauin, Apo Island est un minuscule îlot volcanique doté d’un micro village et de sublimes plages de sable fin. C’est le royaume des tortues marines qui se nourrissent dans les gorgones, à quelques mètres de profondeur à peine dans une eau translucide. On ne se contente pas de les regarder, on nage réellement avec elles. Aux Philippines, sur terre comme sous la mer, l’immersion est totale. Et permanente.

PAR PHILIPPE BERKENBAUM

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